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Roger Bozzetto : écrits sur la Science-Fiction

Quelques auteurs choisis…

J.G. Ballard : écrivain, auteur de Science-Fiction

Première publication : Métaphore, nº 18, décembre 1989, p. 61-77

J.G. Ballard est un écrivain à la fois mythique et mal connu, même des amateurs de science-fiction.

Mythique parce que, pour ceux qui ont une connaissance même superficielle de la SF, il a été avec Moorcock, l'animateur de la légendaire revue New Worlds, qui, dans les années 1965-1970, fut l'une des premières à tenter de renouveler la SF. Ce qui implique alors, d'un point de vue esthétique, des types de récits différents et d'un point de vue idéologique, une implication critique, illustrée par Jack Baron et l'éternité [1], sur l'impact des médias, mais aussi une attitude très anti-Campbell, avec le refus de glorifier la science ou les technologies. Enfin par la volonté de faire participer la SF au grand mouvement contestataire qui prend pour cible les représentations codées, banalisées, consensuelles de la réalité et des valeurs produites par les médias. Mouvement qui en Angleterre avait commencé avec les angry young men des années 50, et se trouve alors contemporain du “Nouveau Roman” français, de la “Nouvelle Vague” française au cinéma, alors qu'aux USA William Burroughs va lancer des appels à la guérilla électronique, et donner des mots d'ordre d'assaut contre le “studio réalité”. Comme il l'annonce dans Nova Express :

« Le but de mon écriture est de révéler, de dénoncer et d'arrêter tous les Criminels Nova. […] Avec votre aide nous pouvons occuper le Studio de Réalité […] »

et dans La Machine Molle :

« Coupez les lignes-mots. Cassez les images-contrôle ».

Ce que font les “garçons sauvages” dont l'arrivée est imminente « Garçons sauvages très près maintenant », que l'on devine à la présence des « grenades-films » et « des explosions de cratères lunèraires sur l'écran » (Les garçons sauvages). Est-ce une simple provocation ou ces visions renvoient-elles une déontologie de l'écriture ?

« Un écrivain ne peut décrire qu'une seule chose : ce que ses sens perçoivent au moment où il écrit » (Le festin nu[2]. Bien que moins provocateur, moins violent dans ses manifestations apparentes, Ballard est en fait très proche de Burroughs à qui il consacre un article très important, voyant en lui un créateur de mythes à la mesure de notre temps [3].

Mythique aussi, parce que sa trajectoire recoupe celle d'un autre auteur états-unien, P.K. Dick dont l'influence sur la SF, y compris sur la SF française, n'est plus à démontrer [4]. Tous deux ont en tête et comme visée de faire servir l'univers de la SF à autre chose qu'à l'illustration des conquêtes de la science. Tous deux visent la rencontre entre les moyens d'une nouvelle représentation du monde et la thématique spécifique et originale de la SF. C'est ce qu'affirme Dick :

« Avec le Maître du Haut Château et Glissement de temps sur Mars, je croyais avoir relié les deux bords de l'abîme qui sépare le roman expérimental de la SF. Tout à coup j'avais trouvé le moyen de faire tout ce que je voulais comme écrivain… la vision d'un nouveau genre de SF qui aurait découlé de ces deux romans » [5].

Ballard n'en demeure pas moins mal connu et cela tient à plusieurs causes. D'une part, il n'a pas un statut médiatique reconnu, comme certains auteurs ont su se le construire : pensons à Harlan Ellison avec ses provocations, ou sur un autre registre à l'aura entretenue du “bon docteur Asimov”. De plus ses textes n'ont pas donné lieu à la création d'un mythe comme c'est le cas pour Lovecraft, bientôt confondu avec sa créature Cthulhu, une maison d'édition — Arkham House — des disciples autour de qui une aura de mystère plane. Il ne prend pas non plus, comme Dick après sa mort, un statut de gourou, ou de maître à penser.

Ballard reste ce qu'il est, un écrivain original qui s'exprime dans le domaine de la SF et dont les textes ont paru dans des revues spécialisées, puis — en France — dans des recueils édités dans des collections comme "Présence du futur" (maintenant en J'ai Lu), avec un succès critique certain, et dont les plus importants ont été présentés par Robert Louit dans un "Livre d'or" [6]. Il a écrit aussi de nombreux romans dans ces mêmes collections ou dans la défunte collection "Dimensions SF" chez Calmann Levy. Ils ont été appréciés, sans pour autant “créer l'événement” sauf peut-être avec Crash [7], à qui J. Baudrillard a consacré un article important. Sans séduire pour autant les lecteurs “spécifiques” de SF, ce texte a donné lieu à des interviews de Ballard dans le Magazine Littéraire et à une préface originale pour l'édition française [8]. De plus, ironie de l'histoire, le seul roman touchant un public étendu, situé en dehors des amateurs de SF, a été Empire du soleil [9], sans doute parce qu'il a été porté à l'écran par Spielberg — mais il ne relevait pas de la SF.

Ballard est, on l'a compris, mal perçu dans le champ de la SF, parce que c'est un écrivain original et dérangeant. Il ne se contente pas de produire des variantes romanesques dans le cadre d'une mythologie dominante. Il sait pourtant donner le change, et il a, par ses premiers romans, donné des gages de savoir-faire à propos de la SF “à l'ancienne”. Cependant même là, et malgré les apparences, il s'agissait déjà d'autre chose.

Mais dès qu'il a commencé à “travailler” le genre pour en faire quelque chose de radicalement nouveau, comme dans ses textes de New Worlds, puis dans ses romans de la “vie moderne” que sont Crash, L'île de Béton et IGH, cela a troublé les amateurs “purs et durs” de SF. Ils étaient et demeurent souvent des lecteurs traditionalistes, s'intéressant surtout aux aventures prévisibles d'un héros dans un monde légèrement décalé par rapport au nôtre, mais pas trop. Et surtout avec des valeurs aisément repérables. Avec Heinlein, avec Vance on sait où l'on va, et cela n'empêche en rien de trouver du plaisir à les lire. Or Ballard, comme les écrivains modernes, construit des univers qui ne reflètent pas une réalité idéologiquement programmée et consensuellement acceptée, telle qu'on la voit dans les séries américaines, les sitcoms ou les actualités télévisées. Sa fiction explore la complexité d'une réalité donnée comme un entrecroisement de mythologies et des paysages technologiques qui en dérivent, un monde proche de la notion de “multivers” de Moorcock. Les textes de Ballard construisent des modèles qui ont pour vocation de faire rêver, de faire penser et de procurer du plaisir. Mais ils requièrent aussi, pour ce faire un effort d'accommodation de la part du lecteur. Ce qui ne signifie pas que ces textes soient ennuyeux, ou difficiles à lire, mais le plaisir qu'ils procurent — s'il est bien plus profond — est peut-être moins immédiat, et suppose une participation plus intense du lecteur. Nous sommes loin d'une SF d'évasion — escapist diraient les anglo-saxons. C'est en ce sens que Ballard n'est pas un auteur de SF populiste : il ne propose rien de frelaté ou de démagogique, ce qui l'a sans doute empêché d'accéder au succès, et explique qu'il soit mal perçu, même de la part d'anciens lecteurs de SF — sans pour cela être reconnu dans le champ du mainstream pour ses qualités propres.

S'ajoute à cela une autre difficulté qui ne tient pas à Ballard, mais aux nouvelles modalités d'accès des lecteurs à la SF. Quand les auteurs de SF étaient d'abord publiés dans des revues spécialisées, ils étaient bien situés et les lecteurs pouvaient en suivre le cheminement et parfois les errances. Ces mêmes lecteurs recevaient les échos critiques de ces textes, et une accommodation à leur lecture pouvait se produire sur des œuvres comme celles de Ballard. Cela accoutumait le goût des lecteurs à ces choses nouvelles. Des revues comme Fiction et Univers en France ont joué pendant longtemps ce rôle d'acclimatation à la nouveauté, qui permettait à la SF d'évoluer et au goût des lecteurs de s'affiner. Phénix en Europe, Solaris ou imagine… au Québec jouent un rôle comparable pour une acculturation, suivant le même processus.

Reconnaissons cependant que la plupart des lecteurs actuels de SF, surtout s'ils sont adolescents, rencontrent aujourd'hui des textes et des auteurs dont ils ignorent tout. Ils ont trouvé un titre par hasard, ou par le bouche à oreille, sur les rayons des librairies, où s'étalent en vrac aussi bien les auteurs d'un ancien âge d'or et ceux de la dernière vague des cyberpunks, dans un patchwork culturel assez curieux. Pour des textes d'auteurs de SF traditionnelle, comme Asimov, Simak ou Bradbury, cela n'a guère d'importance, car ce que le lecteur en attend, à savoir un exotisme sans trop de dépaysement, est directement et immédiatement présent dès le titre et l'illustration de couverture. Pour les textes des cyberpunks, le contact est sans doute médiatisé par une certaine culture musicale et la pratique de vidéogames. Mais pour des auteurs plus subtils, comme Sturgeon, Dick ou Ballard, l'absence de contexte peut provoquer des réactions de recul. Ces lecteurs non avertis, devant ce qui leur apparaît au premier abord comme de la sophistication, et donc un obstacle à l'immédiateté du plaisir recherché, abandonnent parfois.

C'est pour cet ensemble de raisons qu'une présentation de l'œuvre de Ballard, qui compléterait celle, toujours intéressante, donnée par Robert Louit dans son "Livre d'or", ne serait pas inutile. C'est pourquoi on peut proposer trois axes d'approche qui tracent un itinéraire. Celui d'un auteur expérimentant dans le domaine de la science-fiction, conçue comme un arsenal de mythes dépareillés présentés en vrac. Celui d'un univers où un créateur va nous “bricoler”, au sens ou l'emploie Lévi-Strauss, l'un des “mythes de notre futur proche” après la mort de notre obsolète et illusoire “modernité”. Celui enfin d'un écrivain qui, après le no future se situe dans la post-modernité.

Un itinéraire littéraire plein de surprises

Une culture différente de celle des écrivains de SF

Les auteurs de SF de la génération de Ballard, qui commencent à écrire dans la fin des années 1950, font preuve d'une culture littéraire et artistique assez mince, à l'exception notable de Dick. Quant à ceux de la génération suivante, s'ils ont bien appris à écrire dans les workshops, ils ont surtout été amenés à maîtriser des techniques d'expression, et des stratégies de positionnement sur le marché. La culture, au sens littéraire et artistique du terme, n'a jamais fait partie des éléments présentés comme indispensables pour vendre de la SF. Ce qui ne signifie pas que tous soient incultes, mais la culture littéraire relève alors d'un choix personnel, comme chez K.S. Robinson par exemple.

Les auteurs de la génération des années 30 présentaient quant à eux un cas différent. Nombre d'écrivains de cette époque possédaient une culture scientifique comme John Taine ou "Doc" Smith par exemple, mais la plupart sont des “horribles travailleurs” comme dit Rimbaud. C'est-à-dire des gens qui écrivent par nécessité, souvent sans avoir appris, et qui tentent de gagner leur vie en trouvant des créneaux éditoriaux spécifiques dans les revues spécialisées qui se sont créées aux USA à la fin de la première guerre. Revues et magazines qui segmentent le marché en magazines policiers, fantastique comme Weird Tales et bientôt de science-fiction, avec Amazing Stories d'abord et bien d'autres ensuite.

Les écrivains de la génération de la 2e guerre mondiale, comme Heinlein, possèdent aussi une culture technologique. De plus ils participent à un système éditorial où les directeurs de revue, comme John Campbell, ont une poigne de fer, imposent des thèmes et ont des exigences idéologiques claires. C'est aussi l'époque où naît, avec Damon Knight, puis James Blish, une critique spécifique de la SF. Mais celle-ci demeure quand même axée sur les notions de vraisemblance technique et scientifique, et qui doit être écrite dans un langage simple, véhiculaire. Des écarts se font jour cependant. Van Vogt a lu Korzybski, un sémanticien, et Ron Hubbard a fondé l'Église de Scientologie, mais ce ne sont peut-être pas des exemples probants.

En général, les écrivains de SF, états-uniens surtout, s'ils s'intéressent à la science et à la technique, puisent d'abord leur information dans les revues de vulgarisation scientifique, et les utilisent afin de donner des effets de vraisemblance aux univers qu'ils imaginent. Ils ne s'intéressent que de très loin à la culture littéraire et artistique. Voyez le petit nombre de textes de cette époque mettant en scène des artistes, ou une réflexion sur l'art. Ce qui ne signifie d'ailleurs pas qu'ils soient dépourvus d'une sensibilité d'artiste : il suffit de lire Sturgeon pour s'en convaincre. On peut donc soutenir que les auteurs états-uniens de SF apparaissent dans la norme qui est celle des écrivains de ce pays en général, et non comme leur caricature.

Un écrivain anglais cultivé

Ballard est un cas à part, ne serait-ce que parce qu'il est anglais, et qu'il existe une tradition différente en Angleterre, plus littéraire qu'aux USA, et qui remonte à Wells, De plus, les revues sont plus académiques, moins axées sur l'aspect pseudo-scientifique : on le voit déjà dans les New Worlds ou les Science fantasy édités par Ted Carnell. Enfin, à la différence de la plupart des auteurs de SF qui commencent par écrire dans les fanzines, et deviennent ensuite des professionnels de la “littérature industrielle” [10], Ballard a commencé par écrire de la poésie, puis en 1951 un pastiche, complètement illisible de Finnegans Wake de Joyce [11]. Lorsqu'il participera, avec Moorcock en 1964, à la rénovation de la revue New Worlds, c'est dans un contexte de modernité littéraire. En liaison avec la littérature d'avant-garde de l'époque, qui était alors le “Nouveau Roman” français, et en relation avec son intérêt personnel pour la peinture. Le tout inspirera la création d'une science-fiction nouvelle qu'on nommera par la suite new wave. Les comptes rendus de ses ouvrages montrent que les lecteurs qu'il touche se situent à la fois chez les amateurs de science-fiction et en dehors de ce public captif [12]. Il est vrai que, dans ses études et par goût, Ballard a rencontré ce qui sera une source de son inspiration et des images qui la sous-tendent, à savoir les textes et les peintures surréalistes. Plus tard, la rencontre des peintres américains du pop art donnera une nouvelle impulsion à son inspiration.

Les surréalistes ont beaucoup écrit, et dans presque tous les genres, en général pour les subvertir — les placer dans une lumière neuve, correspondant à leur désir de modernité. Ils n'ont pas ignoré les romans où des personnages et des objets modernes hantent les villes, ou entretiennent avec elles et entre eux d'étranges relations. Le Paysan de Paris, et Nadja sont là pour nous le rappeler. Ils ont élu certains écrivains comme précurseurs de leurs tentatives, se situant parfois dans des espaces proches de la rêverie sur l'imaginaire scientifique, comme Alfred Jarry ou mieux encore Raymond Roussel — qui a toujours avoué une passion pour Jules Verne [13]. Cette présence de la modernité technique est encore plus évidente chez les plasticiens qu'ils admirent, comme Marcel Duchamp ou Francis Picabia au début, puis Dali, Magritte, Delvaux, Max Ernst et Yves Tanguy par la suite.

Curieusement, on ne trouve pas en France de texte écrit par des surréalistes dans le domaine de ce qui deviendra la SF, et qui n'a pas alors de nom générique. Il faudra attendre les textes d'un post-surréaliste comme Boris Vian pour en trouver quelques rares exemples [14]. En revanche, certains auteurs anglo-saxons, dont Ballard, se sont explicitement référés à ce mouvement, et s'en sont manifestement inspirés. Selon quelles modalités, et pour quels effets ?

Nous envisagerons donc l'évolution de l'œuvre de Ballard en soulignant comment ces références directes ou obliques au surréalisme ont contribué à donner un contenu à la dérive du sigle SF, depuis la Science-Fiction jusqu'à la spéculative fiction, et de l'outer space à l'inner space. Nous verrons aussi comment à un changement de références picturales, dû à l'apparition du pop art des Lichtenstein, Raushenberg et Warhol, a correspondu une nouvelle “manière” pour la SF de Ballard. Ce dernier a influencé la SF en général dans son esthétique comme dans sa visée, aussi bien aux USA avec les poulains de Judith Merrill, qu'en France avec d'abord Dominique Douay, Serge Brussolo à qui il a sans doute apporté la caution d'une liberté totale accordée à l'artiste et écrivain de SF, y compris pour sortir de la SF si celle-ci corsette trop étroitement l'inspiration, — et quelques autres (alors) jeunes auteurs.

Fuir le futur

Compte tenu que Ballard « écrit comme un auteur de mainstream » [15], le fait qu'il choisisse de s'exprimer dans le domaine de la SF par une mise en travail des thèmes qui dérivent de l'imagination scientifique, ne peut être porté au compte de la “facilité”. Il s'agit bien d'un choix esthétique : la SF, avec son univers, constitue le matériau qui lui permet d'exprimer au mieux sa vision du monde. Ce n'est pas non plus un désir de lucre : on notera la fidélité de Ballard aux magazines anglais, bien moins généreux que les Américains. Il y publiera 154 des 174 textes qu'a recensés Robert Louit [16]. Outre cette fidélité, on peut y voir une volonté de cohérence dans la démarche. D'autant qu'à la lecture de ses nombreuses préfaces, de ses articles et de ses éditoriaux, Ballard nous apparaît comme un écrivain doté d'une rare conscience critique, de qualités de réflexions originales à la fois sur son art, sur la réalité du monde où il vit et sur ses inspirateurs — parmi lesquels les peintres surréalistes comme Salvador Dali, à qui il consacre préfaces et articles [17]. Le lien entre sa SF et certains aspects du surréalisme est donc conscient. Comment se manifeste-t-il ?

Ballard commence à publier en 1956, simultanément mais selon deux veines apparemment distinctes : l'une renvoyant à la description “réaliste” de la vie quotidienne avec une série qui dépeint “le futur des villes surpeuplées”, l'autre qui imagine un temps lointain à venir, et dont les textes d'abord épars formeront la fresque intimiste et décadente du monde de Vermilion Sands.

La série urbaine commence en décembre 1956, avec "Chronopolis", "Urbi et Orbi" et surtout "Billenium". Ces textes dépeignent des avenirs terrifiants. Des univers où les contraintes de la surpopulation et de la bureaucratie, sont saisies dans l'optique d'un “homme quelconque” qui voit l'espace qu'on lui alloue se restreindre à chaque distribution et qui finit par se retrouver dans un placard. Avec cette remarque « Tu as raison, les gens sont capables de vivre n'importe où », mais sans révolte, avec un fatalisme “existentialiste” qui rappelle certains héros de Kafka, ou Buster Keaton, proches aussi de ceux de Beckett qui vient d'écrire, en français, dix ans auparavant Molloy, Malone Meurt et En attendant Godot.

Parallèlement, toujours en décembre 1956, Ballard publie dans Science Fantasy le texte inaugural de la série de Vermilion Sands, "Prima Belladonna". Le lieu est, ici “une sorte de Riviera” dans un futur si vague qu'il semble un ailleurs. Parfois, dans "Studio 5 les étoiles", une technologie rappelant la nôtre affleure, mais n'a aucune incidence sur la conduite du récit. Liés à cette technologie future on trouve des “ordinateurs poètes”, des statues ou des plantes qui chantent : la présence de la technologie est liée à des innovations artistiques, mais celles-ci sont vécues par les personnages dans une sorte d'univers de la décadence — l'inspiration est mécanisée, comme la vie, il en résulte une sorte de mélancolie sans rivage. En fait, cet univers renvoie à une imagerie mal définie. Ballard a parlé de l'Orient, insistant sur les sables et les coraux, qui lui rappellent son enfance sous d'autres cieux [18]. Mais on y retrouve aussi les espaces mous des tableaux de Tanguy. Les personnages — Aurore LeJour, ou les sculpteurs de Nuages — sont comme déconnectés de toute motivation psychologique, leurs actes, leurs trajets semblent participer d'un univers onirique — comme dans les toiles de Delvaux. Ce flou se retrouve dans l'espace granulaire, le temps déliquescent, proche des univers “fin de siècle” d'un Beardsley. Rappelons que les surréalistes, et surtout. Breton, aimaient beaucoup Huysmans qui inspira Wilde, illustré par le même Beardsley.

Cet univers n'est pas celui de la plénitude, malgré l'absence de toute contrainte et la liberté totale : le désir semble avoir fui, comme le sens. Ne demeure qu'un paysage de l'ennui, sur des plages de fin de civilisation, que semblent hanter des voyageurs temporels égarés, attendant on ne sait quels barbares, comme on en trouvera l'écho dans "Le jardin du temps" [19]. Il s'y figure un mal être sournois, celui d'un “futur sans avenir”. Le contraste est douloureux entre la beauté morbide des lieux et la nostalgie habite les personnages, les sature au point de les engloutir dans ces paysages mentaux en forme de mirage.

Un écrivain venu d'ailleurs…

Futur des villes surpeuplées ou dérive déliquescente, ces deux veines ont pour effet de donner à la SF une visée paradoxale, Loin de l'optimisme qui est celui de la SF depuis Jules Verne et qu'a repris Gernsback, puis J. Campbell Ballard va peindre un monde sans avenir tracé à l'avance, tourné vers des futurs improbables.

Ceci réclame sans doute une explication : elle est de deux ordres. D'une part, cela tient à l'histoire personnelle de Ballard et d'autre part, à ce qu'il veut mettre “en travail” dans le genre de la SF, des visées esthétiques et philosophiques.

Ballard est né en Chine, et de 12 à 15 ans, il a été interné dans un camp de concentration japonais : il a donc vécu cette “expérience des limites” décrite par B. Bettelheim dans Le cœur conscient [20]. C'est à partir de cette expérience “modèle” que Ballard tente d'appréhender l'émergence des temps à venir. Ce qui justifie les deux modalités : d'un côté, l'oppression extrême, figurée à l'aide d'extrapolations ou par le biais de thèmes empruntés à la SF et à la dystopie classique — voilà pour les villes surpeuplées. De l'autre, par la mise en place d'un ailleurs, où la liberté n'est qu'apparente puisque sans objet, et où l'angoisse affleure. En fait, moins qu'un ailleurs, ce sont des blocs erratiques d'un présent éternisé, figuré avec des objets venus de l'avenir, mais mal dégagés des ombres du passé. En effet, de ce camp où enfant il a été enfermé par les Japonais, ce qui l'a le plus marqué, ce ne sont ni les privations ni les tortures, c'est l'absurdité, qui amenait même une collaboration — à la fois rationnelle et surréelle — entre les détenus et les gardiens, pour protéger, contre d'éventuels voleurs venus de l'extérieur, les légumes plantés autour des baraquements. Si toute contrainte peut ainsi être intériorisée pour aménager un substitut d'enfer, quelle est la place de la liberté pour un être humain ? Ce qui pose, pour l'enfant qu'il était, la vie comme situation limite : il n'existe aucune norme spécifique de l'humain, l'homme est abominablement plastique, toujours susceptible de collaborer à son avilissement. Les rêves ne peuvent le soustraire à cette évidence que le temps d'un bref instant : ils n'offrent aucun horizon fiable.

Quant à la science, dans laquelle les auteurs de SF traditionnelle voyaient un outil pour “changer la vie”, Ballard en a vu les retombées délirantes à Eniwetock [21].

Ces deux images d'un futur impossible, en apparence opposées, présentent nombre de points communs. D'une part elles ne sont pas le lieu du moindre espoir. De plus les personnages qui les hantent — qui appartiennent à la même couche sociale dans les deux mondes, fraction de la bourgeoisie qui fournit les professions libérales, biologistes, médecins, libraires ou poètes — sont curieusement, passivement, semblables. Est-ce pour cela qu'ils n'ont aucune prise sur le décor où ils sont englués plus qu'ils n'y jouent un rôle ? La pièce leur est incompréhensible : le décor pourrait se passer d'eux. Cette absence de réaction, cette inhibition des personnages entraîne un récit qui privilégie la description lente, minutieuse et fascinée du décor, équivalent métonymique de leur intériorité somnambulique. C'est là que se déposent — dans les décors, les paysages — les signes mal dégagés de ce qu'ils nous donnent à percevoir de leur essence. C'est déjà, avant la lettre, l'utilisation d'un espace intérieur qui ne peut pas vraiment devenir onirique, mais qui en porte les stigmates culturels.

Ballard en a conscience, comme de la qualité de ces signes, qu'il situe expressément :

« Les images du surréalisme sont l'iconographie de notre espace intérieur. Alors que la SF ancienne s'investissait dans les espaces extérieurs, nous nous sentons attirés par les paysages psychiques et nous les explorons, en créant des images où le monde externe et celui de la psyché se rencontrent et fusionnent. La SF que nous visons s'attache à des objectifs ontologiques : la compréhension du temps, du paysage, de l'identité » [22].

Cette fusion, il la donnera à voir dans "L'homme saturé", et dans "L'homme subliminal" : des chaînes d'hypermarchés érigent d'immenses totems sur les routes (ce sont en fait des incitateurs de consommation) et le récit scande l'invasion mentale par les objets, ainsi que la frénésie de combustion vitale qui en est la conséquence. Ballard en fera la trame de ses premiers romans.

Paysages de cataclysmes et d'angoisses.

Ses quatre premiers romans sont des rêveries cataclysmiques sur la destruction du monde naturel : désir de table rase. Quatre fins du monde articulées sur les quatre éléments. L'air dans Le vent de Nulle part : un vent dément rase toute construction humaine, y compris celle du dernier nabab. L'eau, avec Le Monde Englouti, le feu dans Sécheresse, la terre dans La forêt de cristal. Cette apocalypse est chaque fois liée à l'aventure d'un personnage. Mais, à la différence de la science-fiction classique, ce n'est pas aux péripéties de son action héroïque mais à son aventure intérieure que nous sommes affrontés. L'intérêt pour l'itinéraire intérieur prend de plus en plus d'importance à mesure que l'on approche du dernier roman du cycle, qui montre la terre, les animaux et les hommes mourant en se recouvrant d'une couche de pierreries [23]. Ici, le héros, Saunders, médecin dans une léproserie, est appelé en Afrique. La remontée vers l'endroit où il doit se rendre, Mount Royal, avec les difficultés et les obstacles laisse subodorer que quelque chose — que l'on cache — a eu lieu : des signes mal expliqués affleurent cependant.

On est dans un monde parent de celui du Rivage des Syrtes. À la différence qu'ici nous sommes confrontés à une métamorphose effective de l'apparence des choses, comme si une lèpre faite de cristaux enrobait toute chose. Cependant tout est amoureusement peint et décrit, comme un état nouveau et merveilleux de la matière et de l'univers [24]. Car cette présence cristalline n'est pas vue comme négation de la vie, mais comme présence fascinante d'une autre modalité de l'existence des choses — une dimension nouvelle avec laquelle les personnages (surtout féminins avec les personnages des deux femmes englouties) sont présentés en harmonie et trouvent du bonheur à cet abandon dans une éternité du gel. Le héros, Saunders est indécis, secret, passif : loin de dénouer des situations, d'offrir des solutions positives. Il n'est qu'errance somnambulique, suite d'actes inexpliqués. D'autant que, mis à part cette cristallisation du monde, il ne se passe, en apparence, rien dans ce roman, au sens où les aventures sont absentes et que le seul avenir qui demeure pour les héros est celui d'une pétrification.

Comme dans la fresque de Vermilion Sands, l'absence d'action véritable focalise l'intérêt sur l'environnement et ses mutations, qui apparaissent comme la trace visible de comportements impensés. Malaises et contraintes, comme désir de fuite impossible, renvoient à cet enserrement des choses et des êtres par cette glaciation. D'où ces cadavres en semi-vie, ce crocodile qui remue vaguement dans sa gangue de gemme, ce bras de Saunders pris dans cette armure de cristal figé — ainsi que l'intense sensation de bonheur qui en résulte. Paysages et personnages se répondent, dans une symbiose difficile à atteindre, comme le montre le personnage de Serena pris dans sa châsse d'éternité. Ou le dernier départ de Saunders, vers la dissolution qu'il sait inéluctable, dans les labyrinthes cristallins.

On pourrait lire dans la conduite de Saunders, un comportement proche de celui des schizophrènes : à l'époque l'antipsychiatrie de Cooper et de Laing tentait d'en saisir le sens de l'intérieur, en partageant certains des voyages de leurs patients [25]. Dans les deux cas : passage de l'espace externe au monde intérieur, d'une brève pseudo-vie à une éternelle semi-mort ; l'involution au lieu de l'évolution ; l'absence de prise sur le temps, et une sorte de stase. Sans aller, comme l'ont fait les surréalistes, jusqu'à “une écriture de la folie” [26] Ballard — qui n'ignorait pas les tentatives des antipsychiatres — tente, par le biais d'images qui empruntent beaucoup aux univers picturaux oniriques, une sorte d'équivalent métaphorique de la métamorphose propre aux itinéraires des “voyages intérieurs”, le tout avec une série de références picturales aux univers des peintres surréalistes, utilisées de façon originale.

Mises au point de révélateurs

1964 est une année charnière. Ballard compose, La forêt de cristal [27], mais aussi l'"Ultime plage", et il entame une période de réflexion qui aboutira en 1966 à l'article "The coming of the unconscious" in New Worlds — première mouture des variations sur l'inner space et la nouvelle science-fiction.

Jusqu'alors, après avoir exploré diverses modalités dans le cadre de nouvelles, Ballard avait synthétisé ses créations imaginaires dans le cycle des romans cataclysmiques. Pour ce faire, il s'était surtout appuyé sur des éléments de la science-fiction classique, qu'il avait travaillés pour obtenir des effets renvoyant à un côté semi-onirique, comme dans certaines toiles surréalistes. Aussi peut-il avouer qu'il n'a jusqu'alors peint que des “mondes imaginaires”. À partir de cette époque, tout change, et la perspective se renverse : c'est le monde de la réalité qui sera considéré comme une “fiction”. Quant à la SF (qui se transforme donc en speculative fiction), elle devient le moyen de donner son visage à une “nouvelle réalité”.

Tentons de situer, dans les diverses dimensions de son contexte, cette tentative de révolution copernicienne.

Ce ressourcement de la SF dans la réalité doit être mis en parallèle avec ce qui, à l'époque se produit en peinture, à savoir l'irruption du pop art, et l'arrivée sur le devant de la scène d'artistes américains comme Lichtenstein, Rauschenberg et Andy Warhol — avec lesquels Ballard est en contact [28]. Or les tableaux de ces peintres, de Warhol en particulier, se veulent “en travail” dans le champ de la réalité imaginaire du quotidien. Pour s'en convaincre, il suffit de se reporter aux titres de certaines de ces œuvres : Marilyn (1962), Liz Taylor (1963), Jacky Kennedy (1964 et 1965), et Accident de voiture (1963). Ou encore de lire les titres des textes qui seront repris dans La foire aux atrocités (1970) [29] : "You : Coma: Marilyn Monroe" (1966) ; ou "L'assassinat de J.F.Kennedy considéré comme une course de côte" (1966).

Aussi bien Ballard que Warhol se donnent pour but de rendre perceptible aux yeux du monde, par une déconstruction des mythes médiatiques, le présent en train de se construire. De même que la SF est née dans la frange non légitimée de la littérature, le pop art naît sur les franges de la culture picturale — la BD par exemple, pour Lichtenstein, la photo et ses manipulations chez Warhol. Le regard neuf, porté sur le monde réel est d'autant plus percutant qu'il vient d'un lieu “illégitime”. Comme le regard du picaro sur le monde du 16e espagnol, celui de l'exilé, du dissident dans le monde soviétique défunt, ou de l'intellectuel aux prises avec les intégristes, comme Salman Rushdie et les écrivains égyptiens ou algériens actuels [30].

Ajoutons à cela des raisons d'opportunité pratique. En 1964, on s'en souvient, New Worlds passe aux mains de Moorcock. Celui-ci ne cache pas son désir d'utiliser les conventions de la science-fiction pour écrire quelque chose de fondamentalement différent. Il pense que :

« Les auteurs de science-fiction sont limités par les contraintes du genre, et ils ont besoin de sortir de ce champ pour aller vers d'autres lieux où la vraie créativité existe » [31].

On trouverait des propos analogues dans de nombreux éditoriaux ou articles de New Worlds nouvelle formule, et tenu par Moorcock, Charles Platt ou d'autres. Cela ne signifie pas que Ballard prenne ces propos à son compte, mais ils sont dans l'air. Et cela explique qu'il puisse dire à propos de son roman le plus célèbre de l'époque suivante, Crash,

« Ce n'est pas un roman de science-fiction mais il peut être lu ainsi » [32]

et

« Crash en un sens, appartient à la science-fiction, à la science-fiction sérieuse d'aujourd'hui » [33].

Cette tentative de briser les codes se retrouve alors dans le cinéma français de la “Nouvelle Vague” avec Godard et Truffaut par exemple, ainsi que du jeune cinéma anglais. Loin des constructions codées antérieures, ils se veulent, chacun à sa manière, à l'écoute du présent, au risque de le détruire pour en améliorer la perception, créant un “mixte” entre la fiction et le document, l'un renforçant l'autre [34].

Sans que l'on puisse déterminer le rôle spécifique de ces divers éléments, ils forment une constellation qui constitue le contexte contemporain du moment où Ballard passe des “mondes imaginaires” à la découverte du “réel mythique”, des plages de Vermilion Sands à la Foire aux atrocités.

L'inner space et les paysages technologiques

Jusqu'en 1964, Ballard avait reconstitué des paysages mentaux à l'aide de matériaux empruntés à la culture de la science-fiction et aux tableaux surréalistes. "L'Ultime Plage" marque un changement : le paysage intérieur dont le héros, Traven, explore — comme dans les textes précédents — les méandres dans le cadre d'un itinéraire qui traduit son aventure spirituelle est constitué ici de références à la réalité. Mais il s'agit d'une réalité exceptionnelle, nous sommes à d'Eniwetock, l'îlot mythique, sursaturé de signes, avec « ses palmiers qui sont les symboles d'un alphabet mystérieux » qui font écho aux rampes de lancement que l'on trouvera dans "L'astronaute mort" « chiffres rouillés d'une algèbre céleste ». L'îlot d'Eniwetock, comme la réalité, est « hanté d'étranges monogrammes ». Il finit par n'être plus un lieu de la nature, mais « un cadre synthétique, un artefact créé par l'homme ». Il se déploie dans un système temporel autonome : ici « le futur est la clé du présent » et Traven ne le voit pas simplement comme « un fossile des temps à venir ». Moins qu'un lieu, il s'agit d'un “état d'esprit”. Un lieu d'affrontement entre deux imaginaires : Traven le vit comme “Jardin d'Eden” alors que ce qu'on en montre est constitué de bunkers, de carcasses d'avions détruits et de mannequins test. En fait, il s'agit d'un paysage technologique (avec ruines) que le héros intègre en lui et auquel il s'intègre. Si, comme Saunders dans La forêt de Cristal, Traven se lance dans l'exploration du labyrinthe réel fait des souterrains et des silos, il ne se dissout pas, lui, dans un imaginaire personnel. Il y rencontre le cadavre d'un japonais, suicidé depuis longtemps, et il peut enfin affronter la question du prix à payer : quel est le prix à payer pour vivre dans une civilisation qui invente la bombe H et s'en sert ? On retrouvera ce type d'interrogations dans L'île de Béton et dans "Un univers en expansion".

L'importance de ce texte ne provient pas de ses implications morales ou philosophiques, mais de ce qu'il donne à percevoir un changement important, chez Ballard, dans les rapports qu'il institue avec l'imaginaire. À l'époque du Romantisme, le paysage était un état d'âme que le poète projetait sur la Nature, pour, dans un effet de retour, se servir des saisons, des lumières, des heures, des montagnes ou des arbres pour rendre compte de son monde intérieur, et le faire ainsi partager. Les surréalistes ont intégré à ces paysages naturels les éléments de la ville moderne, de ses usines, de ses enseignes, de ses passages, comme des collages.

Ballard continue sur cette lancée. Pour ses héros, les villes, les autoroutes, les hypermarchés, les pompes à essence, les fusées, la bombe atomique, les machines et les ordinateurs représentent des rêves humains matérialisés. R. Barthes parlerait de “néo totems”. L'homme moderne ne peut plus rêver devant une Nature qui — comme au temps du Romantisme encore — serait “autre”, car il l'a remodelée, “terraformée” comme s'il s'agissait d'une autre planète. Il ne peut rêver (ou cauchemarder) que devant ses propres rêves matérialisés, à savoir le paysage technologique où il vit après l'avoir rêvé/construit. Et ce paysage extérieur/onirique s'introjecte en nous, nous fait agir en vertu de la charge de rêve qu'il porte, bien plus que nous ne projetons nos propres rêves en lui et sur lui. Le paysage technologique rêve l'homme : il est d'ailleurs un rêve d'homme — le rêve n'est plus — comme l'écrit Nerval au début d'Aurélia “une seconde vie”. Le rêve technologique est notre vie même.

Les œuvres qui succèdent à "L'Ultime plage" seront des réponses fictionnelles au défi lancé à l'homme par cette existence opaque d'un paysage technologique, et débouche sur la conquête d'une “autre réalité” — a new thing.

Écrire c'est combattre, s'engager

La technologie a pu être exaltée, par Mac Luhan en particulier, et dès avant ces années 60, comme une extension de nos sens, de notre système nerveux ainsi extraverti, poussé vers des possibilités de mainmise plus forte sur le monde, qui par là même se trouve devenir un intense et saturé “village planétaire” [35]. Ballard peint cette objectivation de notre espace intérieur comme une étape aliénante et culpabilisante. Aliénante, puisque nous sommes rendus étrangers à notre subjectivité profonde. Culpabilisante puisque, par les artefacts que nous avons créés, nous sommes entraînés à des conduites obsessionnelles. Fétichisme de la marchandise et ritualisation des pensées aboutissent à l'entropie et à la mort.

Or depuis le début, le héros de Ballard refuse l'entropie : il l'a fuie dans le futur impossible des cités, dans les plages oniriques de Vermilion Sands et dans la fusion avec l'univers, comme dans Le Monde englouti.

À partir de 1966, le héros va choisir l'affrontement au lieu de la fuite. Cette lutte va avoir pour objet une récupération de soi dans un accommodement conflictuel avec cette réalité incontournable. Cette attitude implique la nécessité d'un type neuf de fiction, qui ne prenne plus pour objet une histoire — puisque raconter une histoire c'est considérer que tout est déjà accompli. Une fiction neuve qui consisterait en une mise en scène de la réalité officielle et reçue, de façon à la déconstruire, à en démonter les rouages et par là tenter de la maîtriser. C'est ce qui explique ces textes faits de flashes, ces bribes d'événements à “l'état naissant” — une sorte d'“écriture automatique” tournée non plus vers l'inconscient personnel, comme dans les écrits surréalistes — mais vers l'impensé, ou l'inavoué des productions du paysage technologique. Le texte sera le moyen et le lieu de construction de cette “nouvelle réalité”.

Le résultat de ces “actes d'écriture” se donnera à lire dans La foire aux atrocités. Ballard prendra là en compte, sans en privilégier aucune, trois strates de la réalité vécue, qu'il compose en texte.

Il prend en considération la mythologie publique, telle qu'elle apparaît dans l'instance de production de réalité que sont les médias et où se retrouvent Liz Taylor, Kennedy ou Reagan. Le texte "Pourquoi je veux baiser Ronald Reagan" est un exemple de ces “nouveaux textes” à la limite du tract politico-moral engagé des surréalistes.

Il utilise en second lieu l'environnement quotidien banal de la vie courante que sont les vrais rêves technologiques de notre “civilisation”, la “westciv” de Brian Aldiss. Il va donc utiliser les paysages d'autoroutes, d'accidents, d'aéroports, d'immeubles, les totems modernes que sont les postes à essence, les affiches et les néons des supermarchés. Tout ceci sera ramassé et grossi, gauchi, extrapolé et décentré par des effets de montage.

Les fantasmes personnels, troisième strate, seront montrés comme surgissant chez des personnages pris dans ces deux premières tranches de la réalité. Fantasmes que le lecteur est appelé à partager, ou sur lesquels il est invité à greffer les siens pour appréhender cette new thing, cette nouvelle réalité. Celle-ci apparaît comme molle, malléable, inséparable des fantasmes, des mythologies qui traversent et irriguent personnages et lecteurs.

À l'intérieur de ces textes “mixés”, l'auteur intervient subtilement pour donner des exemples de sa propre manipulation. L'aspect ubuesque du pseudo-réel est par exemple donné à lire, dans la nouvelle "L'assassinat de J.F. Kennedy considéré comme une course de côte", parodie du texte bien connu d'Alfred Jarry, cité par Breton dans son Anthologie de l'Humour noir et intitulé "La Passion considérée comme course de côte", carnavalisation grotesque d'un épisode des Évangiles.

Ce désir de mettre en scène la manipulation, qui rappelle la fameuse théorie des formalistes de la “dénudation des procédés” comme technique de fiction, est souligné par le choix d'un héros, présent dans ces nouvelles et que l'on retrouve dans Crash. Il s'agit de Vaughan, le photographe. Quelle meilleure métaphore du traitement manipulatoire de la réalité que cette mise en avant d'un personnage de photographe, magicien de tous les trucages, collages, montages, détournements, créateur de “pseudo-réalités” [36]. La “foire aux atrocités” cesse d'être un piège sans issue pour les héros victimes : ils ne la subissent plus, ils la fabriquent. Ballard va pouvoir écrire des romans différents, intégrant cette conscience neuve de la réalité.

La vie moderne comme roman

L'importance de Crash ne provient pas simplement du fait que son héros se nomme Jim Ballard, mais plutôt de ce qu'il réussit à se débarrasser de son double maléfique, Vaughan, après l'avoir possédé, dans une scène qui eût fait se retourner R. L. Stevenson dans sa tombe. Imaginons le Docteur Jekyll sodomisant le Docteur Hyde après un trip. Mais ce “sacrifice” de Vaughan (au sens où dans le jeu d'échec on “sacrifie” une pièce pour un gain ultérieur) laisse le narrateur, Jim Ballard, dans un monde vide, sans possibilités de contact vraiment humain, et où l'amour est délétère ; un monde proche de celui des tableaux de Marcel Duchamp, ou de certaines toiles de Picabia — (La femme Machine ou Parade amoureuse, par exemple [37]).

Dans Crash [38], les femmes ont des chairs moins douces que les tissus des sièges des limousines, au plastique caressant, à la chaleur vivante et complice. De plus, hors de la voiture, où elles participent à la pulsion vitale des objets, les femmes sont comme mortes. Catherine est allongée près du héros, dans un lit. Il la perçoit « aussi froide qu'une poupée gonflable pour célibataire, dotée d'un vagin de néoprène ». L'exploration des fantasmes du héros, dans cet “enfer moderne” laisse le narrateur triste jusqu'à la mort après le plaisir de ce “coït conceptuel” qu'est l'accident d'automobile. Le langage, d'une neutralité aseptisée, raconte l'érotisme froid de ces rapports, avec des partenaires qui ne sont que le prolongement des objets, et cela manifeste à la fois une frustration du narrateur et une ironie swiftienne de l'auteur. Avec L'île de béton qui marque une sorte de ressourcement dans la nature avec ses « herbes caressantes » et « la terre, chaude rivière d'alluvions », Ballard déplacera Les aventures de Robinson Crusoë pour mettre en scène un survivant d'accident de voiture entre deux autoroutes. Cependant le héros semble retrouver goût à la vie : au même moment, l'île reverdit [39]. Notons encore un fait : les relations à la peinture évoluent. Ici, comme déjà dans Crash, les collages visuels de type pop art se marient avec les images venues des hyperréalistes — l'aspect surréaliste se situe maintenant dans la provocation plus que dans les références picturales.

IGH est l'œuvre qui, dans cette phase de reconquête de l'optimisme, marque une apogée. On peut aussi le comparer aux œuvres de la même époque — et d'une visée semblable — de Robert Silverberg, comme Le livre des crânes. Mais alors que l'auteur étatsunien demeure dans la forme traditionnelle du récit, le texte de Ballard s'inscrit pour se construire dans le cadre de la “nouvelle réalité”.

Comme pour L'île de béton ou Crash, le point de départ est peu extrapolé, le héros est situé dans une situation d'extrême isolement, pour que la crise puisse s'approfondir sans contingences extérieures. Ici ce n'est plus une île, c'est une unité d'habitation, mais très différente de celles qu'il explorait dans l'univers des villes surpeuplées. Non pas un château antique, décrépit et aux fondements minés, comme dans le roman gothique, mais l'immeuble d'un architecte, Royal, une sorte de clone de Le Corbusier. L'immeuble est neuf et fonctionnel. D'ailleurs, Royal y loge, tâchant de régenter depuis le sommet où se situe son appartement, l'espace rationnel qu'il a conçu seul, sur épure — comme le maître de Metropolis dans le film éponyme de Fritz Lang., un berger alsacien à ses pieds, signe de sa puissance. C'est un système clos — à l'harmonie postulée, fondée sur des savoirs extérieurs — et appuyé sur la rationalité comme allant de soi. Tout est fait pour occulter d'éventuelles pulsions, et la folle logique des désirs. Nous avons ici une situation de départ à la fois réaliste dans ses références, mais dont l'agencement suggère un scénario fantasmatique. Le rapide et inéluctable désaccord entre le pouvoir rationalisé et les flux pulsionnels, le programme et l'humain, aboutit à une guerre civile, une remise en désordre sanglante. Le héros, Laing, se situait à mi-chemin, entre Wilder l'homme du bas et Royal l'architecte : il se trouve rarement impliqué dans les scènes de violence, il en reste spectateur, et il en sera le bénéficiaire [40]. Comme dans Crash et l'Île de Béton, un grand nettoyage a eu lieu, mais Laing n'est plus prisonnier du passé (rupture sentimentale) ni de ses pulsions. La lutte, et un épisode “incestueux” l'ont purgé de ses passions. Il s'assimile maintenant les fonctions de Royal, sans sa morgue et il fait rôtir le berger alsacien dans une scène de “sacrifice propitiatoire” qui clôt l'ouvrage :

« La silhouette du grand chien sur la broche, évoquant l'image d'un mutilé volant, planant dans le ciel nocturne, tandis que les charbons ardents jetaient sur sa peau des lueurs de pierres précieuses ».

Ainsi, dans le calme céleste, la paix retrouvée, il va pouvoir contempler sans peur les nouveaux locataires, avant d'envisager de pouvoir reprendre ses activités. Il peut même se pencher sur le passé et sa “dimension inquiétante”, s'en délivrer par un récit — qui apparaît comme une anamnèse où dès les premiers mots du texte « Il réfléchit ». L'avenir aurait-il repris sa « liberté couleur d'homme » (A. Breton) ?

Les textes qui suivent n'offrent pas une réponse claire. Avec Le rêveur illimité, Ballard nous peint la possibilité donnée au rêve de s'épancher dans la vie réelle, au point de la transformer. Le décor quotidien de Shepperton — la ville où le héros s'est abattu, après avoir voulu imiter Icare — est envahi par un décor tropical, une faune exotique, les habitants eux-mêmes deviennent mammifères, oiseaux, et s'élancent enfin dans les espaces aériens. Cette sorte de fable se réfère peut-être à la situation de l'écrivain et, de ce point de vue c'est une sorte de retour en amont. Il en va de même des nouvelles "D'Appareil volant à basse altitude", ou du roman Salut l'Amérique ! Là encore, Ballard demeure un écrivain subtil, qui joue sur les thèmes de la science-fiction, et qui s'inspire des nouveaux peintres hyperréalistes américains, mais il semble que l'aspect subversif soit émoussé. Il ne reste du surréalisme que des signes, des allusions, des images — qui n'apparaissent plus que comme des références culturelles — et les allusions aux “pop artistes” elles-mêmes se dissolvent.

Une suite sans fin comme une fugue de Bach

Comme le signalait Charles Nicol à propos du Géant Noyé, Ballard appelle une lecture à plusieurs niveaux, ce que Ballard lui même admettait pour Crash. Pour un lecteur traditionnel de science-fiction, Ballard est un auteur qui manipule de façon sophistiquée des thèmes classiques, qu'il pousse parfois vers des zones à la limite de l'allégorie. De plus, on lui reprochera la lenteur de ses récits, ses digressions et l'absence d'aventures. Des lecteurs plus frottés de littérature, lui sauront gré, comme au Calvino de Cosmicomics ou de Temps zéro de travailler l'imagerie un peu naïve de la science-fiction avec une conscience littéraire qui lui permet de “rebarbariser” la littérature sans trop l'encanailler. Dans les deux cas, on aura raison, mais on ne se situera pourtant pas au cœur du projet et des réussites de Ballard.

Il semble que la visée de Ballard ait été d'établir une sorte de “dialogue avec le visible”, de répondre à la question : comment pense-t-on à l'aide d'images, dans un monde que les images saturent ? En quoi le choix de telle image, de telle figure — instrument amène-t-il à orienter une pensée, une idéologie ? En somme, Ballard tente de se situer dans la perspective d'un socle iconologique qui servirait de soubassement impensé à un socle épistémologique, lui-même inaccessible dans le moment même. Et qui serait d'autant plus contraignant qu'il est aussi insaisissable que l'idéologie en travail, dont la suprême ruse est de faire croire qu'elle est absente.

Voilà pour l'aspect “conceptuel” de sa démarche, qui cadre l'une des dimensions données à l'aspect “spéculatif” de ces œuvres de SF.

Mais ce n'est pas le seul aspect. Ballard cherche surtout à donner une figure à la quête du désir, dans le cadre de configurations chaque fois différentes. C'est ce qui explique à la fois son intérêt pour l'inconscient, le rêve, les images et les surréalistes, puis le pop art et enfin pour les hyperréalistes. Cet aspect de figuration imaginaire, en relation avec les représentations picturales surréalistes, puis plus récentes, donnera un contenu moderne à sa fiction spéculative, la faisant dépasser l'horizon purement technologique des intérêts de la “science-fiction”, sans pourtant renier le passé du genre. Car les speculative fictions (SF) de Ballard, qui construisent la “nouvelle réalité” présentent des scénarios souvent semblables. Mais ils se trouvent pris dans la lumière d'une imagerie qui change, ce qui amène des textes totalement différents chaque fois, alors que les matériaux de départ (personnages, aventures, et parfois décors) sont identiques. Reste l'aspect fantasmatique et la démarche somnambulique de cette quête, qui font de ces fictions un monde d'une étrange épaisseur et d'une familiarité insolite, où la rêverie — plus que la pensée — est sommée de s'arrêter.

Ballard, on le sait, a obtenu avec son roman auto-biographique, L'Empire du Soleil, et la transposition filmique que Spielberg en a donnée, un succès qui l'a fait connaître au-delà du cercle des lecteurs de science-fiction. Il n'en demeure pas moins qu'il continue à publier des textes de SF. Ceci parallèlement à l'exploitation de sa veine autobiographique avec La bonté des femmes, qui constitue à la fois une suite à Empire du soleil et un retour réflexif sur celui ci, où la rencontre avec le cinéma, pourvoyeur de mythes modernes est thématisée dans le roman.

Avec Le jour de la création, Ballard semble renouer avec la veine de sa première tétralogie. Ce roman apparaît comme un avatar du Monde Englouti. Il se situe, comme ce premier roman, en Afrique. On y remonte le fil du temps sur le lit d'un fleuve surgi miraculeusement dans le désert, comme si Moïse l'avait fait surgir de sa verge sacrée et l'aventure semble retrouver les aspects personnels d'une subjectivité à la recherche de son épanouissement dans un cadre cosmique. Un ouvrage bizarre Le massacre de Pangbourne touche à la SF, ne serait-ce que parce que la postface de la première édition du narrateur est datée de 1993 alors que l'ouvrage est publié en 1988. Il renvoie aussi, de façon assez curieuse aux textes de La foire aux atrocités. On y suit une enquête sur un massacre d'adultes par des enfants qui ensuite disparaissent comme de vulgaires criminels nazis, et reviennent plus tard tenter d'assassiner une ex-premier ministre anglaise qui ressemble à Margaret Thatcher. La technique est un peu celle de Truman Capote dans De Sang Froid, l'impression est d'une froideur absolue.

Ballard publie aussi, sous le titre Fièvre Guerrière, un recueil de nouvelles déjà parues en des revues et dont certaines datent de 1975. On y retrouve les qualités habituelles de Ballard et ses thèmes favoris. Mais avec parfois des aspects dickiens : l'importance de la manipulation par l'ONU des conflits locaux par exemple à Beyrouth pendant les affrontements des années 1980. Ou comment, afin de garder actif pour pouvoir s'en servir en cas d'épidémie, on cache et cultive le virus de la guerre. Cette nouvelle qui donne son titre au recueil est remarquable. Aspects dickiens que l'on retrouve également dans "L'histoire secrète de la IIIe guerre mondiale", où un Reagan sénile, rappelé pour un troisième mandat mais pantin reconstitué fait penser au Lincoln reconstitué de Dick : les cours de la Bourse sont en phase avec les annonces, par les porte-parole de la Présidence, des observations cliniques sur la santé du Président. Selon son taux d'urée les pharmaceutiques montent, selon ses prothèses c'est le cours de l'acier qui fait sauter le plafond du Dow Jones, etc. Mais le plus original se trouve dans deux nouvelles qui se font écho "Rapport d'exploration concernant une station de l'espace non identifiée" et "Univers en expansion". Dans les deux nouvelles, qui reprennent d'ailleurs un thème déjà présent dans "Trou d'homme Nº 69", l'espace comme le temps sont à la mesure de la capacité de l'individu de l'occuper. La Station spatiale non identifiée se révèle en fin de compte, malgré les premières observations des astronautes qui lui trouvent des dimensions minuscules, capable de contenir l'univers. Dans "Univers en expansion" c'est l'espace intérieur de la maison ou de l'esprit du narrateur, qui devient capable d'infini. Après une sorte d'ascèse « une longue migration interne » il a rompu les liens avec le monde extérieur, dans un dépouillement qui fait de lui un anti-Robinson, et il se retrouve au « centre immobile du monde », à la manière dont Maitland avait réussi à se créer, dans L'Île de béton, un espace personnel.

C'est là un thème qui hante Ballard depuis le début de sa carrière, que l'on retrouve comme horreur dans le “futur des villes surpeuplées” qui est présenté comme vécu dans l'esthétisation du monde et des sentiments dans le monde de Vermilion Sands. Ce thème engendre à la fois les quêtes vers des ailleurs comme celles qui poursuivent les héros dans l'Afrique inventée, ou à la recherche d'une Amérique disparue, comme dans l'exploration d'un grand immeuble, ou dans l'anatomie d'un crash. C'est ce qui amène les héros au bord du monde dans l'ultime Plage, ou dans une île de béton, à moins qu'ils ne se perdent dans le temps, pour fuir ce que Ballard décrit comme une overdose de contraintes extérieures et qui est illustré magistralement dans l'Homme saturé.

Les mondes décrits par Ballard, parcourus ou construits par ses héros, sont des univers où les personnages recherchent le sens des choses, qui a été perdu depuis que l'homme vit dans les paysages technologiques et où n'existe plus ni dedans ni dehors, et donc plus d'espace vraiment intérieur. Les textes de Ballard sont comme des cailloux qu'il laisse derrière lui et qui balisent sa tentative de reconstruction d'un espace véritablement onirique. C'est au lecteur de jouer le rôle du Petit Poucet.

Notes

[1] SPINRAD (Norman) Jack Barron et l'éternité. (Bug Jack Barron 1969) Laffont. 1971.

[2] La machine molle. C. Bourgois. 1968. (The Soft Machine.) Olympia press. 1961
Nova express. C Bourgois. 1970. (Nova express) New York Grove press. 1964.
Les garçons sauvages C. Bourgois. 1973. (Wild Boys. A Book of The Dead). New York Grove Press. 1971.
La guerrilla électronique. Champ libre. 1974.

[3] BALLARD (J.G.) William Burroughs : myth-maker of the XXth century New Worlds mai-juin 1965.

[4] BOZZETTO (Roger) Dick in France : a love story. in On Philip K. Dick : 4O articles from Science fiction Studies. Grencastle & Terre haute. 1992. voir aussi : Une génération, une culture in Philip K. Dick Aurore sur un jardin de Palmes. Omnibus. 1994 p. 1345-1430.

[5] La vie de P.K. Dick in Regards sur P.K. Dick Encrage 1992 p. 21.

[6] LOUIT (Robert) Le livre d'Or de J.G. Ballard. Presses Pocket. 1979.

[7] BALLARD (J.G.) Crash. (Crash) Calmann-Levy. 1973.
BAUDRILLARD (Jean) Crash in Traverses Nº 4, repris in Simulacres et simulations. Ed. Galilée, 1981. p. 165-179.

[8] Le Magazine littéraire Nº 87. Il a aussi donné lieu à un film de Cronenberg au titre éponyme, CRASH, qui a obtenu une distinction au festival de Cannes en 1995.

[9] BALLARD (J.G.) Empire du soleil (Empire of the Sun) Denoël, 1984.

[10] Titre d'un article de Sainte Beuve.

[11] Texte anonyme de présentation des nouveaux auteurs paru dans New Worlds Nº 54, en 1956.

[12] Pringle (David), Ballard a primary and secondary bibliography. Boston. G.K. Hall & Co Massa. 1984. : “The enthusiastic praise has come from outside the sf field too. Kingsley Amis, Graham Greene, Antony Burgess, William Burroughs, […] Susan Sontag” (p. xi). ; Ian WATSON « invokes Beckett, Defoe and Kôbô Abé » (in Foundation 7-8, 1975.)

[13] Alfred JARRY a écrit dans Gestes et opinions du Docteur Faustroll (1911) des pages qui sont une sorte de rêverie sur des thèmes utopiques et d'anticipation qui renvoient aussi bien à LUCIEN DE SAMOSATE — avec l'Île de Ptyx où l'on aperçoit la substance de l'univers — qu'à la l'anticipation, avec dans l'Île amorphe des “libellules électriques”. De plus il a écrit Le Surmâle (1902) qui met en scène une machine qui devient amoureuse du héros “le premier homme de l'avenir”. Sans oublier un article important De quelques romans scientifiques (La Plume 1-15 octobre 1903. où il cite Ignis de D. de CHOUSY et invente la notion de “roman hypothétique”. Raymond ROUSSEL dans Impressions d'Afrique (1910) et dans Locus Solus (1914) nous donne des exemples de fiction à base de descriptions techniques, d'inventions chimiques ou autres, d'extrapolations assez folles dans un vocabulaire à connotations scientifiques. Ces deux auteurs figurent dans le panthéon surréaliste.

[14] Boris VIAN, comme Jacques PREVERT son ami, ne sont pas de purs surréalistes, ils sont rattachés à la génération surréaliste d'après guerre, tout aussi bien tentée par l'existentialisme. Cependant L'Écume des Jours ou l'Automne à Pékin ont une atmosphère poétique qui illustre à sa manière une dimension possible du surréalisme dans le roman. De plus Boris Vian a beaucoup entrepris pour la SF, ses rapports avec le genre sont multiples : il a traduit van Vogt, et, avec Michel Pilotin il a lancé "Le rayon fantastique" et baptisé la collection "Présence du Futur" Ses textes sur la SF, qui ont accompagné la promotion de la SF dans les années 1950 ont été publiés sous le titre Cinéma/ Science-fiction, Bourgois ed., 1978.

[15] NICOL. (Charles) : J.G. Ballard and the limits of mainstream SF. Science fiction Studies. III.9.150.

[16] LOUIT (Robert) Le livre d'or de J.G. Ballard. op cit.

[17] BALLARD. (J.G.) "Salvador Dali, The innocent as paranoïd". (New Worlds). February 1968. Notons que les surréalistes seront surtout connus en Angleterre après la guerre, grâce à Penrose, qui d'ailleurs épousera en 1948 une muse des surréalistes en général et de Man Ray en particulier Lee Miller. Les lèvres de Lee Miller sont célèbres à cause d'un montage photographique du même Man Ray.

[18] BALLARD (J.G.) Empire du soleil op cit.

[19] "Le jardin du temps" ("The Garden of time") Magazine of F and SF. 1962 in Fiction Nº 112. 1965.

[20] BETTELHEIM (Bruno) Le cœur conscient. Laffont. 1972.

[21] BALLARD (J.G.) "L'ultime plage" ("Terminal Beach") New Worlds (1964) Univers Nº 3.1975.

[22] Cité in Homo Hydrogénésis in Riverside Quaterly. 1975.

[23] On retrouvera le même type de décor et le même type d'itinéraire dans un roman plus récent Le jour de la création (The day of Creation. 1987) Flammarion. 1988.

[24] On retrouvera cette image du cadavre enrobé de cristal et de glace dans Univers en expansion, une nouvelle du recueil Fièvre guerrière (War fever. 1990) Fayard. 1992.

[25] DELACAMPAGNE (Christian) L'antipsychiatrie. Seuil. 1976. Notons que le héros d'IGH se nommera aussi Laing.

[26] BRETON (A) et ELUARD (Paul) L'immaculée conception. Ed Surréalistes. 1930.

[27] Le roman paraîtra en 1966. Mais en 1964 parait une première version, sous la forme d'une nouvelle "The illuminated man" in Magazine of Fantasy and SF. Mai 1964.

[28] Le centre de décision artistique se déplace de Paris à New York d'abord pour la peinture, puis pour le reste. Il demeure pour les Français l'espoir, ou l'illusion, d'une “exception culturelle”.

[29] BALLARD (J.G.) La foire aux atrocités. Champ libre. 1976 (The Atrocity exhibition. 1970) Publié aux USA en 1972, qui sont alors en pleine guerre du Việt Nam. sous le titre "Love and Napalm : export USA". Préface de William Burroughs.

[30] Rappelons que S. RUSHDIE est l'auteur d'un très bon roman de SF Grimus. JC Lattès. 1975.

[31] New Worlds Quaterly. Nº 2. 1964.

[32] Le Magazine littéraire Nº 87.

[33] Ballard interviewé par Philippe Hupp. in Galaxie Nº 117.

[34] CLOUZOT (Claire) Le cinéma français depuis la nouvelle vague. Nathan. 1973.

[35] MAC LUHAN (Marshall) The mechanical bride. Folklore of the Industrial Man. N.Y 1951, London Routledge. 1967.

[36] BOORSTIN L'image. 10/18 (1968) donne les définitions de “pseudo événement”, de “pseudo réalité”.

[37] BENAYOUN (Robert) Erotique du surréalisme. Pauvert. 1978. La femme machine, ou Novia et Parade amoureuse datent de 1917. La femme mannequin de Duchamp figurait à l'exposition surréaliste de 1938. Contrainte post nuptiale de la Mariée ou Le coin de la chasteté date de 1954.

[38] Pour une analyse de Crash voir Bozzetto Roger "Corps et décors du désir" in Territoires des fantastiques op. cit.

[39] Ballard reviendra sur ce thème de l'île d'une façon moins optimiste dans "Cargaison de rêves" in Fièvre guerrière, op. cit. Là, un bateau chargé de déchets toxiques fait revivre une île mais les produits qui en proviennent sont mutants et le narrateur s'enfuit vers on ne sait quel horizon abandonnant son futur enfant dans le ventre de la femme qu'il a aimée. Il reprendra ce thème de l'île dans La course au Paradis. Fayard, 1995.

[40] Laing est, on l'a vu, le nom d'un antipsychiatre, Wilder renvoie à sauvagerie, Royal à la raison dominante : l'onomastique est claire, mais nous sommes loin de l'allégorie.

Les références bibliographiques sont sous la seule responsabilité de Roger Bozzetto ; celles qui ont été vérifiées par Quarante-Deux sont repérées par un astérisque.