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Roger Bozzetto : écrits sur la Science-Fiction

Utopies, uchronies, uglossies…

La première robinsonnade moderne : Sa majesté des mouches, du thème de Science-Fiction au mythe moderne

On a argumenté, souvent avec subtilité, que la SF était le lieu où certains mythes ont pris figure moderne [1]. On y a vu aussi le domaine et les moyens d'une nouvelle mythologie, et même pour certains d'une mythologie de la modernité [2]. On laissera ouverte la question de savoir si la SF crée une mythologie originale, mais on s'intéressera ici à la persistance et au renouvellement de thèmes et de mythes anciens dans certains textes de SF, et comme Lord of the Flies [3].

Ce texte de 1954 s'inscrit, pour mieux la subvertir, dans une tradition thématique : celle de la robinsonnade qu'il situe dans un contexte futur, celui d'un XXe siècle post-atomique, ce qui rattache ce texte à la SF [4]. Il y peint les aventures d'un groupe d'enfants à qui il donne symboliquement les mêmes noms que ceux de Coral Island (1858) [5]. Cette robinsonnade est d'ailleurs citée, au début du roman par les enfants qu'émerveillent la beauté de l'île et la liberté qu'ils espèrent y trouver (p. 38) [6]. Le titre en est repris, par une ironie du texte, à la fin du récit, par l'officier anglais qui sauve la vie de Ralph, alors poursuivi par la horde de Jack, dans le paysage dantesque et calciné de l'île, résultat de leur folle aventure (p. 223).

Lord of the Flies présente toutes les marques d'un récit de SF, comme il s'en écrivait alors, bien qu'il n'ait pas été publié dans une collection spécialisée. Situation dans un futur proche, post-cataclysmique, nécessité de s'adapter à un environnement étranger, avec risque de régression sociale et morale, accent mis sur l'action, aux dépens du commentaire. Ce texte constitue un bon exemple du traitement moderne d'un thème de SF qui acquiert ainsi la profondeur et la complexité d'un mythe. On peut donc s'étonner du peu d'intérêt qu'il suscite dans les revues critiques spécialisées. Non qu'elles ignorent W. Golding, mais elles s'intéressent à d'autres textes de lui [7]. La critique mainstream, pourtant, s'y attache [8]. Mais ne peut-on aborder ce texte dans la perspective du traitement d'un thème SF de l'époque et sa transformation en mythe [9] ?

Après les émerveillements devant la facilité du voyage dans l'espace et le temps, illustrée par les récits de Williamson ou d'Hamilton, Heinlein avait, en 1941 envisagé sur un mode tout aussi démythifiant le voyage vers les étoiles dans une arche stellaire. Les descendants de l'équipage, lors de la seconde génération, ont oublié qu'ils vivent sur un vaisseau spatial ; ils ont régressé a des stades où l'équipement technique est un support de superstition ainsi que vers une organisation sociale tribale [10].

Golding, lui aussi, avec ce texte semble vouloir démythifier les fausses sécurités, les illusions nées de la victoire des Alliés, après la IIe guerre mondiale. Revisitant la robinsonnade de Coral Island, il procède ici comme l'avait fait avant lui Swift. Après le succès du livre de De Foe consacré aux aventures d'un Robinson, idéologiquement gratifiantes et optimistes, Swift les avait reprises sur le mode de l'ironie noire, à travers les vicissitudes de Gulliver [11].

Nous examinerons comment ce roman nous donne à lire la possibilité d'une île édénique, avec une possibilité d'Arcadie heureuse, puis comment les apparences du bonheur sont traversées d'ambiguïtés, ce qui entraîne une duplicité dans la lecture de ces signes et un comportement des personnages qui les amène à régresser vers des formes archaïques de société. Par ses ambiguïtés, comme par ses références et le jeu qu'il propose avec elles, ce récit rattaché à la thématique SF se présente comme un élément significatif dans l'élaboration d'un mythe moderne de fondation de la société humaine.

Le récit d'une aventure

L'île mythique où règne le Seigneur des mouches, Baalzebub [12], n'a pas de nom et n'en aura jamais, bien qu'elle renvoie à un lieu qui possède une charge matérielle et symbolique. Elle ne semble avoir pour fonction que de laisser advenir l'“innommable” d'une instauration de la Loi fondant une société.

Le récit met en scène une aventure, celle d'un groupe d'enfants livrés à eux-mêmes, située dans un futur proche par rapport au moment de l'écriture et de la publication du texte. On trouve en effet dans ce roman des éléments qui renvoient à un arrière fond de guerre connue. L'avion qui s'abat, puis le parachutiste mort, ainsi que la présence finale du cuirassé et de l'officier de marine, tout cela montre que l'état de guerre, que le monde avait connu jusqu'en 1945, continue ou a recommencé dans un futur proche, avec des moyens de plus en plus meurtriers. L'on se souvient de la réflexion de Piggy “Didn't you hear what the pilot said ? About the atom bomb ? They 're all dead” (p. 14) Tous, c'est-à-dire peut-être toute l'humanité [13].

Lord of the Flies partage avec certains textes de Wells le privilège de nourrir de multiples interprétations. Gina Mac Douglas y voit une dimension allégorique [14], Aldiss le situe dans une perspective philosophique, et il est possible d'y entrevoir une dimension religieuse [15]. Ce qui est certain c'est le désir manifesté par Golding, d'écrire un texte significatif [16].

Dans le texte de Golding, les enfants sont présentés avec la possibilité — qu'ils ne prennent pas en compte — d'être les derniers survivants de la race humaine, et donc de devoir reconstruire, ou perpétuer, une "civilisation". Ils ont atterri sur cette île comme s'il s'agissait d'une planète étrangère, et ils vont devoir s'y développer dans le cadre d'une société. Marquera-t-elle un progrès, compte tenu que les enfants sont en partie des élèves d'une maîtrise religieuse, des fils de militaires, ou encore des intellectuels ?

Une île de rêve

D'emblée l'île est perçue à travers le regard de Ralph, lui-même saisi dans le cadre d'une vision “par derrière”. Elle se présente avec un ensemble de signifiants qui connotent l'aspect édénique, paradisiaque, arcadien : l'eau est limpide et presque lustrale, le sable fin, le soleil chaud et les fruits à portée de la main. On insiste aussi sur l'absence d'animaux dangereux, puisqu'il ne s'y rencontrera, mis à part quelques poissons et des papillons, que des cochons sauvages. Mais le texte fait plus, il nous ancre ce lieu dans une matérialité qui est à la fois géographique, topographique et toponymique.

La situation géographique n'est pas donnée, et cette imprécision est justifiée. Les enfants étaient les passagers d'un artefact civilisé, l'avion ; aucun d'eux n'était pilote ou navigateur. En d'autres termes, jusqu'ici ils étaient donc entre les mains des “grown-ups” qui, possédant le savoir et les règles, pouvaient les conduire et les guider. Leur disparition justifie l'ignorance géographique des enfants par rapport au lieu où ils se trouvent, malgré les références à la “Navy” et au nombre de cartes que possèdent les marins. L'île est peut-être répertoriée sur un atlas maritime, mais les enfants n'y ont pas accès. Cependant, quelques indices permettent de la définir, à défaut de la situer. C'est une île du Pacifique, si l'on se réfère à l'atoll de corail et au lagon, et elle se situe près des tropiques, à en juger les averses rapides et brutales, la chaleur, les arbres à cire, la luxuriance de la végétation et sa prodigalité en fruits de toute sorte : il n'est que de tendre la main pour se nourrir sans peine et sans aucun travail, sans “gagner son pain à la sueur de son front”

La topographie de l'île est assez clairement posée : une plage splendide, au sable fin, avec toutes les facilités données pour le bain et le farniente, qui est aussi dessinée en arc de cercle pour se transformer en agora, et où les “meetings” auront lieu, appelés par la conque de Ralph. Plus haut, la forêt avec un sommet montagneux, où l'on devrait entretenir un feu pour signaler sa présence à d'éventuels navires. À cette opposition de la plaine et de la montagne s'en ajoute une autre. L'autre bout de l'île n'est pas sablonneux, il est constitué d'une masse de rochers monstrueux, souvent instables, qui constitueront la “forteresse” de Jack et de son clan.

L'île est déserte, elle n'appartient à personne : ce sera aux enfants de donner, comme Adam, des noms aux lieux aux êtres et aux choses. Curieusement rares seront les noms, à part l'amas de rocher qui deviendra “la forteresse”. Pourtant : “This is our island. It's a good island” (p. 38) Ils rêvent de vivre dans cette île paradisiaque, une vie de rêve soumise au seul principe de plaisir : “Until the grown-ups come to fetch us, we'll have fun” (p. 38) ; “We want to have fun. And we want to be rescued” (p. 41)

Cependant, et en relation avec toute bonne robinsonnade, le groupe semble avoir besoin d'un minimum d'organisation. Pour ce faire, il va d'abord copier les règles des groupes d'adultes, qui sont alors ressenties comme naturelles, normales et rationnelles : d'où le vote pour un chef, comme dans une démocratie, ou un collège anglais. Chef dont le charisme est l'atout, et dont la sagesse se marque par la place qu'il laisse à la minorité dans le cadre d'une répartition des tâches, à savoir l'entretien d'un feu, la construction de cabanes et, éventuellement la chasse.

La mise en place semble aisée, presque idéale : on se réunit à l'appel de la conque, comme les brebis autour du bon berger, Ralph élu propose un projet, et on l'exécute, comme on le voit avec l'élaboration du signal de fumée sur le sommet. Les grands ont exploré l'endroit, pour découvrir qu'il s'agissait bien d'une île, dont ils envisagent de dresser une carte, tandis que Piggy doit recenser les membres du groupe. Les petits jouent dans le sable, mangent des fruits et se baignent. Tout peut donner à penser qu'il va s'agir là, comme dans les robinsonnades d'une parenthèse agréable, de quelques jours de vacances, et qu'après avoir joué à l'exploration, puis à la chasse, on pourra jouer à la guerre, comme l'imagine l'officier qui intervient à la fin.

L'inversion des signes

Cette vision idéale est en fait une illusion, celle des utopistes, que dénonce Golding, car ils ignorent la partie irrationnelle, ou instinctuelle, de l'humain [17].

On l'a vu, l'île est contrastée, elle présente des recoins, des zones d'ombre. Certes, le texte a d'abord présenté l'aspect de plage accueillante, mais l'autre côté existe aussi : il est monstrueux avec son amoncellement de rochers, d'où semble d'ailleurs surgir la noire troupe des choristes de Jack, qui deviendra sa meute. C'est aussi sur cette autre face de l'île que Ralph rencontrera l'image du Léviathan, lié à la force massive de l'océan (p. 115). Quant à la carte, elle ne sera jamais dressée, ni le recensement effectué. Les signes de l'utopie et de la robinsonnade sont bien avancés, mais le texte les annule aussitôt.

De plus cette île, à la différence des robinsonnades, ne propose pas de terre arable, et les enfants ne possèdent aucun outil — sauf le couteau de Jack et les lunettes de Piggy. Ils n'en bricoleront pas, sauf des épieux pour la chasse. En outre le lieu n'offre aucune piste pour du travail, et n'impose aucunement la nécessité de produire. L'île invite donc à une sorte de retour à une vie à l'état de Nature, comme le XVIIIe siècle rousseauiste a pu le rêver, c'est-à-dire à un en deçà de la civilisation occidentale, ce qui pourrait être senti comme positif : un retour vers les stades du paléolithique : chasse et cueillette [18].

En fait le programme initial et accepté, avec Ralph comme chef élu démocratiquement, reproduisait la rationalité des adultes occidentaux dans une situation — robinsonienne — de même type, mais il n'est pas suivi longtemps. Les seuls éléments renvoyant au “travail”, à savoir la construction des cabanes et l'entretien du feu sont délaissés. Les cabanes ne seront pas toutes construites, sauf par quelques-uns qui ont intériorisé la loi adulte, mais dans leur majorité les uns chassent, les autres s'amusent : la discipline nécessaire à l'organisation n'est pas respectée. Il en va de même pour ce qui regarde le feu sur la colline : au départ tout le monde s'y est attelé avec enthousiasme, puis Jack a délégué à sa troupe une fonction avec rotation des groupes. Très vite cependant l'organisation s'est grippée, et le signal n'opère pas lors du passage d'un premier navire car on a laissé s'éteindre le feu. Il en va de même dans la vie quotidienne : les WC ne sont plus respectés (p. 87), la saleté s'installe, et avec elle la perte des repères sociaux traditionnels [19].

Le texte donne à saisir des signes qui expliqueraient cette dissolution de l'ordre initial. Dans l'esprit des enfants, le séjour sur l'île était vécu d'emblée comme une parenthèse : le groupe s'est donc organisé en fonction de la réapparition prochaine des adultes, tout en gardant une liberté qui est celle, du jeu (Ralph) et des vacances, sur le modèle vernien. Mais ce qui était concevable dans une durée limitée change quand le temps s'écoule, et que l'espoir d'être secouru s'atténue. En effet, dès le chapitre 4, les repères temporels ont disparu du texte. Les enfants vont vivre maintenant avec une temporalité propre, sans rapport avec un quelconque retour des adultes et de la “civilisation”. C'est à la création de leur propre rythme (p. 62), de leur histoire que nous assistons.

Naissance d'une Histoire

À l'inverse de l'utopie où l'Histoire est figée dans l'absolu de la perfection et donc dans la répétition, ou de la robinsonnade dont le but est de montrer qu'il n'y a qu'une voie vers l'humanité, puisque les colons perdus réinventent les étapes qui ont amené l'humanité occidentale à être ce qu'elle est, ici nous assistons à la naissance d'un déroulement spécifique. Une fois les règles des adultes oubliées, les mots qu'emploie Ralph sont de moins en moins connectés à la réalité vécue des enfants. Ils semblent donc de plus en plus venir d'ailleurs et deviennent donc aussi inefficaces que la Loi pour les bêtes de l'Île du docteur Moreau à la mort du Docteur. De nouvelles règles, de nouveaux comportements, une nouvelle norme s'installe qui inverse l'idée de “progrès linéaire”, qu'avait pu rêver Condorcet et après lui le xixe siècle positiviste.

Elle va donner la priorité aux actes sur les paroles (cf. Jack) et elle impose aussi des rituels, pour rythmer le temps ainsi que les séquences de la vie du groupe redevenu, avec plaisir, “tribu”.

Cette nouvelle norme ne s'installe pas comme rationnelle, elle se donne comme une suite d'enchaînements, qui se présentent comme allant de soi et finissent par composer une véritable “culture” avec l'invention d'une “magie”. Cette culture prend d'abord sa source dans la chasse, qui entraîne une logique de meute, puis des pratiques magiques, avec des chants, des mélopées, des danses et, lorsque la bête est tuée, la ripaille, la fête. Mais la chasse elle même n'aurait pas pris cet aspect magique sans le recours aux peintures, et aux masques. Le masque, comme l'uniforme, est ce qui permet la réalisation de sa propre violence, dans une sorte de dédoublement de soi (cf. Jack, Roger). Rituels nouveaux qui sacralisent donc la violence et font paraître lénifiants et inopérants les discours de la raison.

Cette nouvelle culture, cependant, ne s'imposerait peut-être pas sans l'advenue de la peur dans ce lieu paradisiaque, où nous savons qu'il n'existe pas d'animaux dangereux. Cette peur se manifeste d'abord par les rêves ou les visions des “petits” (p. 39), et elle est d'emblée déniée par le discours rationaliste. Elle se révèle ensuite avec la présence d'un monstre, qui apparaîtra sous deux formes. L'une d'elle sera la truie gigantesque, que l'on débusquera et que l'on chassera, tuera, décapitera et dont on fera de la tête une offrande ou une idole, ce qui renvoie peut-être à l'irruption du sexuel [20]. L'autre, qui entraînera la panique du groupe des grands, nous le verrons plus tard, par le regard de Simon. Il s'agira du parachutiste mort : la morte ou mortifère Loi des adultes est donc perçue, ainsi que la sexualité, comme monstrueuse et innommable et figurée fantasmatiquement par la tête de la truie, piquée sur un bâton “sharpened at both ends”.

Le discours de “l'intellectuel” Piggy lui-même sera rapidement dévalué, car il ne répond plus aux attentes du groupe affolé. Ce discours est incapable de donner un sens à la panique, et d'ailleurs Piggy se laissera contaminer par la peur de Ralph et des autres, par l'évidence du trouble qui les agite (les fantômes). Pour le groupe, ne s'agit plus d'accepter que la raison nie ce qu'il ressent comme une évidence, il va s'agir pour lui de conjurer une peur et une présence invisible et malfaisante, ou du moins incompréhensible. D'où la nécessité où le groupe se trouve de donner un visage à cette peur, qui passera par la reprise en main de l'ensemble par un chef autoproclamé. Il va tirer sa légitimité de ses actes, qui sont autant d'essais pour imaginer une forme à donner au monstre immortel, lequel peut se métamorphoser puisqu'à la mort de la truie il continuera de hanter l'île et de terroriser les enfants. Puisqu'il continue d'être présent il va orienter le groupe dans le sens de la violence panique, de la haine, et le pousser à trouver des victimes sacrificielles pour l'apaiser. D'où cette nouvelle culture, suite de gestes, de danses, de rituels et de sacrifices effectués pour “négocier” avec cette part maudite, qui est sans doute une manière sentir la présence du sacré, dans le groupe si ce n'est en chacun des enfants. Part maudite, et/ou présence du sacré, c'est ce que la tête de truie offerte en sacrifice — et qui devient le Seigneur des mouches — confie à Simon, avant de l'envoyer au sacrifice : “Simon was inside the mouth” (p. 159)

Cette panique, ce recours au sacré, cette peur et ces rituels aboutiront au meurtre collectif de Simon, effectué dans une sorte de transe panique, après qu'on l'a eu pris lui-même pour une incarnation du monstre, et jeté à la mer. Ce meurtre auquel aussi bien Piggy que Ralph participent, entraînés par la ronde affolée, et que Jack chef de guerre et nouveau prêtre de cette religion justifiera est peut-être l'acte fondateur de cette nouvelle société.

Cette nouvelle société sauvage, régression à la “tribu” et à son “territoire”, ne supporte que ce qui lui ressemble et, totalitaire, ne pense qu'à la mise à mort des tenants de l'ancienne “culture”. D'où — après avoir volé les lunettes de l'intellectuel Piggy, puis l'avoir écrasé par le rocher, laissant son cerveau se répandre sur les récifs — des scènes de chasse à l'homme qui nous ramènent à l'époque de La Guerre du feu, dans le cadre d'une “solution finale” espérée [21].

Comment, à partir d'une île paradisiaque, se retrouver dans un enfer, comment arriver à transformer une plage édénique en désert calciné ? Comment, comme le demande l'intellectuel Piggy, pourquoi tout cela tourne-t-il si mal ? Est-ce la seule présence du Mal comme le suggère la Bête à Simon “I'm the reason why it's no go”… “a part of you” (p. 158) ?

Une lecture symbolique

L'allégorie affleure pourtant, aussi bien au plan politique que religieux, mais propose des signes ambivalents.

Comment, en effet, éviter de lire au plan politique l'affrontement entre le “démocrate” Ralph et le “fasciste” Jack, l'un appuyé sur l'intellectuel Piggy, l'autre sur sa meute, sensible à de seules émotions viscérales ?

Mais là non plus tout n'est pas clair. Pourquoi Piggy est-il présenté comme une caricature d'intellectuel : laid, bigleux, gras et malhabile ? Quant à Ralph et Jack, ils sont très proches, et en constante émulation, pour faire savoir qui sera le plus courageux. Ralph participe au premier assaut contre la truie, il s'en vante. De plus, comme Piggy, il participe à la folle danse en rond qui sacrifie Simon. En outre, le texte insiste sur les aspects démagogiques de Ralph, qui leurre les enfants en leur faisant croire à un prompt retour des adultes. De plus il est incapable de faire que ce qui est voté soit exécuté : il perd la confiance de ses électeurs par l'inadéquation de ses paroles à la réalité vécue. Jack, lui, est porté vers l'action plus que vers le discours : il ne discute pas, il agit et ordonne. Et à l'inverse de Ralph qui demeure prisonnier de son discours inadapté, Jack se laisse aller à une sorte d'ivresse devant la facilité avec laquelle, sous le masque du chef, il peut faire exécuter n'importe quoi, libérant ainsi les mauvais instincts que Roger ou Maurice portent en eux. C'est alors, devant la peur, devant le monstre, devant le sacrifice de Simon ou l'assassinat de Piggy, qu'il trouve des raisons totalement folles pour justifier sa fuite en avant dans le crime, et le totalitarisme et l'absolutisation de son pouvoir.

Outre une possible lecture politique, le texte supporte des interprétations allégoriques religieuses, qui s'appuient à la fois sur des signifiants judéo-chrétiens et sur des traces de mythes plus archaïques.

Les éléments judéo-chrétiens relèvent de l'Ancien comme du Nouveau Testament. Par l'aspect onomastique : le titre d'abord, qui renvoie au dieu Baal dont parle la Bible où il apparaît au moins deux fois, et le Leviathan ensuite. Par des allusions possibles : la plage où abordent les enfants est paradisiaque, ils la quittent alors qu'elle n'est plus qu'un enfer “the burning wreckage of the island” (p. 223). Entre temps on y aura installé à la fois le serpent “the snake-thing” (p. 39) et les faux dieux qu'incarne la tête de la truie, Seigneur des mouches. On y aura vu la lutte entre le bon berger Abel et le chasseur Caïn, qui sera près d'aboutir au meurtre du frère. Tout comme dans la constellation de la même histoire biblique on peut percevoir comme des signaux envoyés vers le ciel, dans ces feux et cette fumée que Ralph veut entretenir comme une espérance, alors que les chasseurs de Jack les laissent s'éteindre. Ces allusions vétérotestamentaires ne sont pas les seules.

On a pu voir, aussi, dans Simon une figure christique [22]. De même, le discours de Ralph imposant par la simple autorité de son assertion une promesse de salvation en fondant son argument sur la connaissance qu'il a des desseins de son père est à rapprocher des discours évangéliques, tout comme le double sens donné à “rescued” (p. 59).

Mais ces éléments sont d'une interprétation ambiguë. En effet, si le ciel envoie un signe, c'est — ironiquement — un parachutiste mort, que personne ne voit descendre et qui sera pris pour un monstre, engendrant la panique de tous et la mort de Simon. Autre aspect ironique : la fumée, selon Ralph, nouvel Abel, devait servir de message d'espérance, et ramener les enfants vers le père, ou plutôt vers les adultes. Mais ce sont les chasseurs de Caïn qui, bien qu'ils aient laissé s'éteindre le foyer, seront la cause involontaire de l'arrivée du navire, parce que pour enfumer Ralph dans ses taillis, ils ont mis le feu à l'île entière. Cependant l'aspect ironique, véhiculé par l'inversion des signes empruntés au décor de la tradition judéo-chrétienne demeure : les sauveurs appelés par Ralph et guidés par Jack et l'enfer qu'il déclenche, sont des militaires. On passe ainsi du contexte d'une guerre paléolithique à celui de la guerre moderne, d'un cercle de l'Enfer à un autre : on ne fait que changer d'échelle, de temps, on ne change pas la problématique du sens — ou du non sens — à l'œuvre dans la régression tribale des enfants.

Les éléments archaïques, ou païens, qui sont à référer en partie à la culture grecque, nous orientent vers une dimension plus proprement tragique [23]. La référence à la Grèce archaïque se perçoit par exemple dans l'entassement des rochers présentés comme un chaos, ainsi que des références à la présence métaphorique de géants dans la construction de cet amas (p. 31). Ou dans la mer elle-même, renvoyée à la monstruosité des choses sans limite, qui hantent l'univers des hommes : l'Océan semble à Ralph respirer comme “the breathing of some stupendous creature” (p. 115). La peur — la présence de Pan — est présente comme une chose palpable, “déjà-là” avant toute représentation. Jack articule cette impression d'être, lui, le chasseur, guetté : “There's nothing in it of course. Just a feeling. But you can feel as if you're not hunting, but being hunted ; as if something's behind you all the time in the jungle” (p. 57). Cette impression qu'il existe “une chose” sans nom, une “présence” maléfique se concrétise lentement. Cela commence par les rêves et les cauchemars des petits : “He says he saw the beastie” (p. 40). À cette “chose” on donnera d'abord le visage de la truie qu'on va chasser et tuer. Ce sera ensuite celui du” monstre”, cadavre d'un parachutiste entrevu d'abord par les jumeaux, puis par les grands qui n'osent l'affronter tant ils ont peur de ce qu'ils pourraient y voir. En effet” Before them, something like a great ape was sitting asleep… There was confusion in the darkness and the creature lifted its head, holding towards them the ruin of a face” (p. 136). Une fuite panique s'ensuit. Cette panique, ils tenteront plus loin de l'exorciser par la danse en rond, avec mélopées puis sacrifice humain. Par ailleurs, la tête de la truie offerte à la divinité sans nom devient l'incarnation, le masque de l'innommé, qui parle sans dire ce qu'elle est sinon “cette part maudite”. Elle n'est pas seulement présente pour les chasseurs, elle l'est pour Simon, puis pour Ralph, qui en restera fasciné dans sa course devant la meute, attendant de voir sa propre tête elle aussi fichée en terre au sommet du “sharpened at both ends”. Cette tête grimaçante et ironique, qui parle à Simon dans le cadre de ce qui n'est pas présenté comme une hallucination, et dont le silence ironique transporte Ralph dans une colère si folle qu'il tente de la détruire, figure le Mal en soi [24]. Le “monstre” est selon ses propres paroles, “the reason why it 's no go” et ne peut être détruit. En effet “Fancy thinking the Beast was something you could hunt and kill”… car “I'm a part of you” (p. 158).

Mais doit-on n'y saisir, comme l'indique Golding, qui parle de péché originel, qu'une méditation sur l'absence de linéarité dans le “progrès”, et les rechutes possibles dans la bestialité [25] ? Ne peut-on y lire une angoisse devant la fascination de la force, la théâtralisation des instincts, avec ces jeux d'oriflammes, ces uniformes, et qui produisent ces affects de foule et se traduisent en effets “d'inconscient groupal” [26] dont un rien peut déterminer le comportement et amener aux plus ignobles excès [27] ? Ce qui demeure, c'est une curieuse articulation du politique et d'un sacré, qui apparaît aussi bien sous les formes judéo-chrétiennes que païennes, dans le cadre d'une sorte de nœud gordien qu'aucun Alexandre, ni dans le texte, ni parmi les commentateurs n'a pu trancher. Peut-être parce que nous avons là le texte moderne d'un mythe, c'est-à-dire d'une histoire dont on peut nourrir sa pensée, en l'interprétant, mais dont le sens demeure irréductible.

Le texte moderne d'un mythe

À la différence cependant des mythes anciens, qui se présentaient assertivement avec un poids de vérité cautionné par une tradition, nous avons ici un texte ambigu, caractéristique de toute réactualisation [28]. Golding crée le texte moderne d'un mythe, en le reconfigurant dans le contexte de notre Histoire, et le situant dans le cadre d'une spéculation sur l'avenir qui caractérise la SF, mais avec les moyens d'une écriture moderne [29].

Cette modernité de l'écriture, qui concourt à l'ambiguïté propre aux mythes modernes, apparaît dans la texture, qui fait intervenir plusieurs focalisations. On passe de la vision actorielle à l'auctorielle, du récit au discours sur le récit. Parfois directement sous la forme du commentaire d'auteur omniscient. Souvent indirectement par le biais de métaphores, d'affleurements, d'allusions qui insensiblement installent le récit sur un arrière fond insaisissable. Un exemple nous en est donné par la vision des rochers, lors de l'exploration de l'île. Ralph, Jack et Simon arrivent à une extrémité : “Ralph shaded his eyes and followed… This part of the beach was nearer the mountain than any other…” (p. 27) La vision est ici actorielle, sa visée est descriptive. Mais le texte ajoute “some unknown force had wrenched and shattered these cubes” (p. 28). Et quelques pages plus loin, après une description neutre, qui renvoie à la vision des explorateurs depuis le sommet enfin atteint, le texte insiste “The coral was scribbled in the sea as thought a giant had bent down to reproduce the shape of this island…” (p. 31) [30]. On pourrait multiplier les exemples de ce type, qui culmine sans doute avec le discours que la tête idolâtrée du monstre tient à Simon avant qu'il ne soit envoyé par elle au sacrifice. Par ces procédés, le texte semble aussi prendre les moyens de “guider” les pas des enfants, comme il balise une lecture, présentant l'avancée du groupe vers la régression et la barbarie comme une fatalité inhérente à l'espèce humaine et tirant à sa manière le récit de cette aventure vers un sens mythique.

Moderne aussi en ceci que sa visée est d'abord celle d'une interrogation angoissée. D'autant que le texte semble ne pouvoir renvoyer qu'à lui-même comme lieu de sens, sans autre présence de la transcendance que dans une perspective ironique ou obscène, ce qui instaure une dimension éminemment tragique.

Lord of the Flies est pourtant avant toute chose une histoire, qui se présente avec les apparences de la simplicité : le récit d'une aventure vécue par un groupe d'enfants sur une île déserte. Les péripéties narrées en font comme le précise Brian Aldiss une histoire “terrifiante”, mais elle laisse percevoir un au-delà signifiant du simple récit d'aventures. Littérairement, c'est une robinsonnade inversée, et donc politiquement une critique de l'idéologie propre à ce genre, et par là à la naïveté de l'idéologie de la “tabula rasa” qui fut celle des Lumières comme de l'idéologie du progrès linéaire et irréversible qui nourrissait les positivistes du XIXe siècle. Mais dans une perspective spéculative, qui est celle de la SF, c'est surtout une interrogation angoissée sur le sens et le fondement du “contrat social”, dans la lignée de l'opposition entre Hobbes et Rousseau, mais après le nazisme et après Hiroshima [31]. Sa modernité l'incite à prendre en compte, plus que ne le faisaient les penseurs des Lumières, la part irrationnelle de l'homme et la présence irréductible des dimensions du symbolique et d'un important substrat religieux archaïque. C'est aussi, nourrie d'exemples alors récents, une méditation sur le sens de l'Histoire, la démocratie et la barbarie, en liaison problématique avec la présence éventuelle du sacré. Il s'agit donc d'un texte qui sous son apparente simplicité pose des questions essentielles. En somme, il possède une dimension mythique, si l'on se réfère à la définition qu'en donne Jolles pour qui le mythe est un récit par quoi une société pose à l'univers une question sur sa place et son sens, ainsi que la réponse de l'univers à cette question [32]. Cela étant, comme le souligne J. Lacan, le mythe “n'explique rien”, il se contente d'articuler “une organisation signifiante” [33]. Il n'en demeure pas moins qu'il permet une réflexion et donne forme à une émotion. Comme le texte de Totem et Tabou [34], Lord of the Flies tente de donner les moyens d'une appréhension, sinon de compréhension des rapports entre êtres humains en tant qu'ils passent par le social (on le sait depuis qu'Aristote à défini l'homme comme “animal politique”) et donc par la présence de la Loi. Golding, comme Freud, semble montrer que l'acte fondateur de cette Loi échappe à la raison, se nourrit de violence, demeure un mystère, et que seul sans doute un mythe peut ainsi figurer. Mais alors que dans le mythe chez Eliade ce sont les dieux qui instaurent un fondement, ici les “grown-ups”, qui semblent des dieux aux yeux des enfants, ne sont que des dieux dérisoires, d'où le côté d'ironie swiftienne du texte de Golding [35].

Lord of the flies dans le contexte de la Science-Fiction

Lord of the Flies est écrit en 1954. Le thème de la régression dans un espace clos avait été traité en SF, au moins par Heinlein, on l'a dit. Mais Heinlein lui même se situait dans le sillage du thème de la régression sociale possible, dont le premier exemple fictionnel est peut-être The Time Machine (1895).

Ce sont des réflexions de ce type qui ont nourri certains des récits les plus intéressants de la SF dans les dernières années de la IIe guerre mondiale. Dans Lest Darkness Fall, L. Sprague de Camp envisage qu'un américain moyen, projeté dans la Rome antique, pourrait éviter la venue du Moyen âge, qu'il envisage comme une époque terrible de régression sociale. Dans son ouvrage le plus fameux, Foundation, I. Asimov confronte ses héros à un problème identique : comment empêcher que, si les ténèbres doivent advenir, leur impact sur la civilisation soit amoindri, et leur durée réduite [36] ? Dans ces deux romans, la solution est évidemment du côté du savoir. Savoir pratique et technique pour L. Sprague de Camp, savoir théorique et scientifique (la psychohistoire) pour I. Asimov. Dans les deux cas, devant la monstruosité révélée du nazisme, l'espoir est mis sur des qualités proprement humaines pour échapper à la barbarie, avec un optimisme certain chez De Camp, modéré mais présent chez Asimov.

Avec Golding nous nous situons certes dans le même contexte historique, et en proie aux mêmes interrogations, mais la réponse de Golding, qui renvoie la technologie et la science du côté de la guerre et de la destruction (avion, bombe, parachutiste, officier de marine) est loin d'être optimiste. Peut-être parce qu'il s'agissait pour les deux auteurs étatsuniens de sauver une société existante, avec des moyens intellectuels et techniques pour tenter de le faire. Ce n'est pas le cas pour les enfants mis en scène par Golding, qui est plus radical dans ses prémisses en insistant, à la différence de Ballantyne ou de Verne, sur le plaisir du Mal, l'ennui du travail, le peu de pouvoir de la raison et des raisonnements, et la rémanence d'un “innommable” dans le cœur humain, que la truie rappelle brutalement à Simon (p. 158).

C'est sans doute encore B. Aldiss qui nous propose la formule la plus subtile pour rendre compte de la complexité de cette œuvre, dans la perspective du lien qu'il établit avec l'Île du docteur Moreau. Nous aurions là deux textes dont on ignore exactement ce qu'ils signifient, si ce n'est que ce sont des récits “splendid and terrifying” et écrits de façon à la fois subtile et sans détours. Dans les deux cas, il est évident que les auteurs ont en tête autre chose qu'une simple histoire à raconter, et que les deux récits présentent “Something larger than a thrilling adventure” [37].

À leur manière ce sont des œuvres qui tentent de représenter la recherche du lieu propre à ce qui est humain, dans des contextes idéologiques différents [38]. La méditation sur le sens de la puissance scientifique, ses rapports à la Loi, sont au cœur du texte wellsien. Golding y ajoute une réflexion sur la prégnance et la persistance du Mal, et peut-être son innommable nécessité pour fonder une société humaine.

Notes

[1] BERGONZI (Bernard) The Time Machine an ironic Myth ; Critical Quarterly ; 2 ; 1960 p. 293-305

[2] BUTOR (Michel) Growing Pains in Science Fiction in Carleton Miscellany ; summer 1963 ; 113-120 SF is “capable of acquering over individual imagination a contraining power comparable to any classical mythologie”.

MC NELLY (Willis E) Science Fiction, the Modern Mythology in Clareson (TD) ; SF : The Other side of Realism. Bowling Green UP ; 1971 ; p. 193-198

FEEHAN (Ellen). Frank Herbert and the making of myths ; Science fiction studies Nº 58 Vol 19. ; november 1992 ; p. 289-310

[3] GOLDING (William): Lord of the flies. Faber & Faber, 1954. London. Sa majesté des mouches. Gallimard, 1956

[4] ALDISS (Brian) op. cit. : “the desert-island theme is eternal, whether transposed to W. Golding's Island in Lord of the Flies, or to another planet” p. 71.

MAC DOUGLAS (Gina) William Golding in Twentieth Century Science fiction Writers. Saint James Press. Chicago/London 1991. A “Novel set in a post-catastrophic near future in which war has laid much of the West and civilisation in ruins.” p. 324

[5] BALLANTYNE. The Coral Island (1857)

[6] La veine des robinsonnades subvertie n'est pas tarie.

Wiggin (Mariane) John Dollar. Harper & Row. NY. 1989.

Elle nous présente le naufrage d'un bateau de jeunes filles dans une île proche de la Birmanie, juste après la guerre de 1918. Retour à la sauvagerie avec scènes de cannibalisme.

[7] En me référant aux index de H.W. HALL, Science fiction and fantasy index, 1878-1985, ainsi qu'à sa suite portant sur les années 1985-1991, je trouve 39 items portant sur W. Golding, et deux portant sur Lord of the Flies, mais aucun des deux n'a paru dans une revue critique de SF. Science fiction Studies en revanche a publié deux articles sur ce qu'on peut comprendre comme la suite thématique de Lord of the Flies c'est-à-dire The inheritors. Il est possible que mon information soit défaillante, cependant j'avoue que cela m'a intrigué.

[8] Pour prendre un exemple en France : deux thèses récentes.

REGARD (Frederic) Éthique et esthétique des ténèbres, naissance de l'œuvre romanesque de William Golding CIEREC/ Travaux. LXX. Université J. Monnet. Saint Étienne. 1990.

CABROL WEBER (Marie Hélène) Robinson et robinsonnades ed. Universitaires du Sud. Toulouse. 1993.

[9] Cela semble la position de Alterman (Peter. S) dans son article Aliens in Golding's The Inheritors. Science Fiction Studies ; V ; 1 ; Nº 14 ; march 1978 ; p. 3-10 “Golding's adaptation of that tool [the alien] is unique within the genre of science fiction” (p. 3). On peut en dire autant du traitement de la robinsonnade dans Lord of the Flies. Mais cet aspect “unique” est justement ce qui en fait le prix.

[10] HAMILTON (Edmond) The Stars Kings (1947) ; WILLIAMSON (Jack). Space legion (1934) HEINLEIN (Robert) Universe (1941).

[11] GOLDING (William) Fable in The Hot Gates, and Other Occasionnal Pieces. Faber and Faber London 1980, Golding oppose l'île de Corail qui renvoie à l'idéologie du XIXe siècle, à son texte qui en est la récriture au XXe siècle : entre les deux, et comme le ressentira. Ralph à la fin, l'innocence a été perdue, comme les illusions (p. 88-90)

[12] Belzebuth ou Baal Zebuth : le seigneur des mouches, exigeant des sacrifices humains. Voir aussi Matthieu (XII 24) “le prince des démons”

[13] W. Golding, alors âgé 43 ans, a vécu les années de guerre comme commandant d'un vaisseau, qui a été torpillé. Ce roman est donc publié neuf ans après la fin des hostilités, la découverte des camps de concentration, et des horreurs nazies. Mais aussi neuf ans après Hiroshima, et huit ans après les expériences atomiques américaines sur Eniwetok.

[14] MAC DOUGLAS (Gina) op. cit. Lord of the Flies… is a social allegory of human regression. (p. 324)

[15] RAPHAEL (André) La pesanteur et la grâce dans Lord of the flies : notes pour une interprétation weilienne de l'œuvre de Golding. Langues Modernes Nº 66, 1972, p. 449-468

[16] GOLDING (William) "On the Crest of the Wave" in The Hot Gates, and Other Occasionnal Pieces. op. cit. “[I Try] to write [that] I would define as "significant literature" (p. 126)”

[17] GOLDING (William) A Moving Target Faber and Faber 1982 “Utopians, with their pretty pictures, their indifference to the facts of human nature” (p. 177).

[18] BOZZZETTTO (Roger) Melville : exotisme et utopies. Europe nº 744, avril 1991 p. 9-18

[19] voir par contraste : VERNE (Jules) Deux ans de vacances (1888)

[20] REGARD (Frederic) op cit p. 57 “La sexualité de la robinsonnade s'y révèle au grand jour.”

[21] ROSNY (Ainé) La guerre du feu. (1909)

[22] TALON (Henri) Le mal dans l'œuvre de William Golding. Archives de lettres modernes. Minard 1966. p. 38 et suivantes

[23] On sait qu'après avoir entamé des études scientifiques, Golding s'est passionné pour le grec ancien.

[24] GOLDING (William) in Fable op. cit.

“Man is a fallen being… gripped by original Sin” p. 88

[25] GOLDING (William) Fable op. cit.

“One of our faults is to believe that evil is somewhere else and inherent in another nation. My book was to say : you think that now the war is over and an evil thing destroyed ; you are safe because you are naturally kind and decent. […] The thing rose in Germany. I know it could happen in any country” (p. 89)

[26] Pour la notion d'inconscient groupal voir, entre autres, KAëS (René) L'utopie dans l'espace paradoxal : entre jeu et folie raisonneuse. Bulletin de psychologie juillet-août 1978, p. 850-61. L'inconscient groupal est autre chose que la somme des inconscients individuels.

[27] GOLDING (William) in Haffenden (John) ed. Novelist in interview. London Methuen 1985

“I think it is true to say that in Lord of the Flies I was saying " Had I been in Germany, I would have been at most a member of the SS, because I would have liked the uniform and so on” (p. 115)

[28] Le texte de W. Golding n'est ni le seul ni le premier, à se placer dans cette perspective :

Mary Shelley en sous-titrant son ouvrage Frankenstein par The modern Prometheus, inscrivait explicitement ce texte, qu'Aldiss pense être le fondateur de la SF, dans une tradition mythologique venue de l'antiquité grecque. Le texte de Mary Shelley prolonge cette tradition et lui sert de relais vers de futurs mythes renouvelés ou créés par la SF.

[29] ALDISS (Brian) op. cit. “All of them [Lord of the Flies and The Inheritors] approach the science fiction condition; just as, on its own side of fence, science fiction approach the modern novel” p. 246

[30] C'est cette ambiguïté due à la matière même de la textualité qui empêche l'excellent film de Peter Brooks d'approcher la profondeur du roman. Le film, avec toutes ses qualités demeure un récit “terrifiant” mais comme un simple “fait divers”. La profondeur mythique en est absente.

[31] La référence au Léviathan (ch. VI p. 129) présente dans le texte présente certes une connotation biblique, mais elle renvoie aussi au texte homonyme de Hobbes. De plus, la fin du récit avec de la chasse à l'homme, illustre la formule connue de Hobbes où “l'homme est un loup pour l'homme”.

[32] JOLLES (André) Formes simples. (1930) Seuil. 1970.

[33] LACAN (Jacques) L'éthique de la psychanalyse. Séminaire VII. Seuil. 1986. “une organisation signifiante — qui s'articule pour supporter les antinomies de certains rapports psychiques — et ce à un niveau qui n'est pas simplement de tempérament d'une angoisse individuelle, qui ne s'épuise pas non plus dans aucune construction supposant la collectivité, mais qui prend sa dimension complète” p. 172.

[34] FREUD (Sigmund) Totem et Tabou (1914) et Malaise dans la civilisation (1938)

[35] ELIADE (Mircea) Aspects du mythe. Idées. Gallimard. 1963. p. 17

[36] ASIMOV (Isaac) Foundation (1951. Mais composé à partir de nouvelles publiées de 1942 à 1944) ; SPRAGUE DE CAMP (L) Lest Darkness Fall (1949).

[37] ALDISS (Brian) op. cit. p. 122

[38] ALDISS (Brian) Trillon Year Spree, The History of Science Fiction, Victor Gollancz, London, 1986. “all of them look toward a definition of man and of his status.” p. 246

Les références bibliographiques sont sous la seule responsabilité de Roger Bozzetto ; celles qui ont été vérifiées par Quarante-Deux sont repérées par un astérisque.