Chroniques de Philippe Curval

James Morrow : l'Arbre à rêves

(the Continent of lies, 1984)

roman de Science-Fiction

chronique par Philippe Curval, 1987

par ailleurs :
Rituels du rêve

Seule forme d'art dérivée de la manipulation de l'ADN, le frêve est donné par le fruit du phrénésier. Il ne suffit pourtant pas de le croquer pour connaître de sublimes satisfactions onirofilmiques. Quinjin le sait plus que tout autre, lui qui rame dans la critique. Ses préférences vont plutôt aux frêves d'horreur, style Valse des nécrophiles, perle des conventions spécialisées.

Or, un jour, tout son édifice culturel va être remis en question : un fruit satanique provoque un sanglant autodafé dans une salle de quartier de la planète voisine. La distanciation critique va-t-elle lui permettre de découvrir le coupable ?

James Morrow, auteur de cet Arbre à rêves, en est à son troisième roman. Il a l'estomac plus gros que les yeux. Toutes ses lectures de SF depuis les origines du temps lui ont causé une sorte d'aérophagie pernicieuse que sa prose traduit sans essoufflement. Passant allègrement des hauteurs symboliques de l'interprétation freudienne à la caricature du mauvais mélo, de la critique alerte des milieux fanzineux aux sombres fragments d'héroïque fantaisie, il explore tous les recoins de son thème ambitieux. Il y patauge parfois. Mais si l'on peut chipoter sur la cohérence logique du récit, ses maladresses enfantines, Morrow s'impose par une incontestable pêche, un humour inventif, un style frétillant qui triomphent de tous les obstacles.

Philippe Curval → Magazine littéraire, nº 237, janvier 1987

Antoine Volodine : Rituel du mépris : variante Moldscher

roman de Science-Fiction, 1986

chronique par Philippe Curval, 1987

par ailleurs :

À l'opposé de cette démarche, Antoine Volodine, qui en est aussi à son troisième roman, poursuit l'interprétation de ses cauchemars. Autant Morrow jubile, autant Volodine se torture. Le décor est posé : dans le cul de basse-fosse sordide d'une prison anonyme, le commandant Otchaptenko fait subir les pires sévices à son prisonnier Moldscher pour lui faire avouer son enfance. Premiers pas difficiles dans une vie marquée par la guerre contre les extraterrestres. Surtout quand sa mère l'envoyait chez des parents pendant le terrible siège de Mojjga. Ou avec l'oncle Pobosch, qui sait avaler les âmes sans un spasme de pupille. Ou encore chez Volguelam, dont la profession est “suicideur”. Car depuis l'invasion étrangère, avec les radiations provoquées par les combats, on ne sait plus toujours à quelle tribu se vouer. Certains ne supportent pas leurs étranges mutations organiques et se font égorger en douceur. D'autres préfèrent se sacrifier sur les échafauds à l'odeur de boudin plutôt que dévorer encore les œufs pondus par les Étrangers dans les dépouilles encoconnées des Humains.

Dans ce Rituel du mépris, pas de digression, sobre construction, pas un mot en trop. Chez Volodine, tout s'exprime par l'écriture. Les images de son tumulte intérieur passent à travers le filtre d'une prose serrée, avare de métaphores, rythmée par la douleur, inspirée par le dégoût. On entend l'écho d'un Maldoror dans ce chant symbolique sur la perte de l'identité culturelle, sur le naufrage d'une civilisation aliénée par l'envahisseur.

Une SF intime où chaque page arrachée au futur témoigne des fièvres obsessionnelles de son auteur.

Philippe Curval → Magazine littéraire, nº 237, janvier 1987

James Tiptree, Jr. : le Livre d'or

nouvelles de Science-Fiction réunies par Pierre K. Rey, 1986

chronique par Philippe Curval, 1987

par ailleurs :

« Chaque écrivain à sa propre longueur d'onde. » écrivait Paul Morand. Les Livres d'or de la Science-Fiction sont là pour en témoigner. Particulièrement celui de James Tiptree, Jr., inconnu célèbre dont l'histoire a surtout retenu qu'il était une femme. Entamant sa carrière à 53 ans par le détournement de Mort d'un commis voyageur, Alice “Tiptree” Sheldon ne s'est jamais remise de son dédoublement de personnalité. L'essentiel de son œuvre porte sur les désirs contradictoires de la fuite vers l'ailleurs et du retour vers soi-même. Son ton quasi naturaliste exprime toute une tradition de la SF anglo-saxonne féminine. Excellente cuisinière, ses nouvelles se dégustent mieux ainsi réchauffées. Une rencontre de type three.

Philippe Curval → Magazine littéraire, nº 237, janvier 1987

Brian W. Aldiss : Cryptozoïque

(an Age, 1967 ; Cryptozoic!, 1968)

roman de Science-Fiction

chronique par Philippe Curval, 1987

par ailleurs :

N'y a-t-il pas dans les œuvres d'art un début d'équation plastique qui pourrait nous livrer les premières clefs pour l'espace ? Une réflexion sur le temps dont on pourrait induire un début d'explication à notre destinée ? Sur ce thème à double spirale, Cryptozoïque, le chef-d'œuvre spatio-cinétique d'un Brian W. Aldiss alors au sommet de sa forme.

Philippe Curval → Magazine littéraire, nº 237, janvier 1987