Chroniques de Philippe Curval

Ian Watson : les Oiseaux lents

(Slow birds, 1985)

nouvelles de Science-Fiction

chronique par Philippe Curval, 1987

par ailleurs :
Changer l'architecture du monde

La richesse imaginaire d'Ian Watson n'est plus à démontrer. Il fait partie de ces rêveurs dont le foisonnement onirique force l'admiration. Capable de laisser errer sa pensée aux antipodes de la réalité, il sait, tel Raymond Roussel dont nous introduisîmes ensemble et de manières différentes les méthodes en Science-Fiction, conduire des propositions antinomiques jusqu'aux plus extrêmes conséquences de la logique et de l'absurde. Parfois, un certain flou mystique flotte à l'intérieur de ses romans et produit un sentiment d'inachevé qui nuit à sa réputation. Ian Watson, nouvelliste, dont nous venons de recevoir en France le premier recueil, s'affirme aujourd'hui comme l'un de tout premiers novateurs du genre qui nous préoccupe.

Écrits au fur et à mesure des propositions d'anthologistes et de revues qui le sollicitent, les textes rassemblés dans les Oiseaux lents démontrent de façon fulgurante sa capacité quasi infinie de renouvellement à l'intérieur d'un de ses thèmes obsessionnels : comment changer l'architecture du monde ?

Prisonnier de ses limites plus que de ses instincts, l'Homme, depuis le commencement, s'interroge sur la manière d'outrepasser les dimensions connues, la hauteur, la largeur, la longueur, la temporalité de l'univers. Watson y apporte la profondeur, dimension métaphysique de l'esprit qui permet de s'immiscer en biais dans le réel afin de l'observer sous d'autres perspectives et d'imaginer comment il serait possible de le façonner autrement.

S'appuyant sur le développement technologique et sur la science contemporaine dont il explore minutieusement les phénomènes de réactivité sur l'inconscient collectif, Watson propose dans les Oiseaux lents une série de scénarios aberrants qui nous concernent peut-être à brève échéance : métamorphoses insidieuses des missiles pourvus de logiciels personnalisés, transformation du contexte géophysique à mesure que s'effacent les terræ incognitæ, changement du comportement individuel devant la radicalisation de son contexte social. Bref, il semblerait que le conditionnement intensif auquel l'être humain tente de soumettre l'environnement puisse un jour en bouleverser les données les plus fiables.

L'idée primerait ainsi sur la matière.

Watson fait plus que l'insinuer dans ses nouvelles : si l'on force un philosophe et poète latin comme Lucrèce à mettre ses idées au goût du jour (de nos jours), il est envisageable que cette intrusion d'une vision atomiste primitive au sein de la relativité contemporaine tourne à son avantage et à notre confusion. Question de point de vue. Le labeur mégalomaniaque d'un James Joyce, cherchant à englober la totalité des concepts littéraires dans son œuvre, ne pourrait-il pas nous contraindre à revivre éternellement le psychodrame symbolique où il a enfermé nos personnalités !

Le dangereux empirisme de l'homo sapiens, sa formidable adaptivité au changement, qui vise à simplifier l'univers à sa guise, introduit en fait une nouvelle complexité du réel dont nos descendants pourraient faire cruellement les frais. Le risque, dans ce recensement méthodique de la nouvelle architecture du monde poursuivi par Ian Watson, c'est que nous nous y trouvions impliqués plus tôt que prévu, par la force évocatrice de ses incantations.

Philippe Curval → Magazine littéraire, nº 247, novembre 1987

Jacques Mondoloni : les Vitrines du ciel (les Goulags mous – 4)

roman de Science-Fiction, 1987

chronique par Philippe Curval, 1987

par ailleurs :

Poursuivant avec une régularité quasi maniaque son exploration des Goulags mous, Mondoloni nous livre le quatrième volume de sa fresque, née de la rencontre fortuite du marxisme et du chewing gum sur le planisphère terrestre. Procédant par succession de chapitres visionnaires, Mondoloni esquisse ici un précis de décomposition des idéologies dont l'humour sous-jacent a des accents cosmiques. Pris séparément, ce roman ne reflète malheureusement qu'une partie de ses ambitions. Reste qu'il constitue une clef indispensable à l'œuvre achevée dont la lecture laisse entrevoir l'intérêt.

Philippe Curval → Magazine littéraire, nº 247, novembre 1987

Roland C. Wagner : le Serpent d'angoisse

roman de Science-Fiction, 1987

chronique par Philippe Curval, 1987

par ailleurs :

Cette histoire houleuse et déréglée d'une Amérique condamnée à mort par les minorités opprimées traduit fidèlement le serrement d'angoisse d'un jeune auteur devant son premier roman.

Philippe Curval → Magazine littéraire, nº 247, novembre 1987