Chroniques de Philippe Curval

Greg Bear : les Enfants de Darwin

(Darwin's children, 2003)

roman de Science-Fiction

chronique par Philippe Curval, 2003

par ailleurs :
Histoire d'homos

Tout lecteur de SF se souvient ou presque de l'Échelle de Darwin, paru voilà plus de deux ans, qui proposait sur un mode tendu d'intéressantes spéculations sur le devenir de l'homo sapiens, has been de l'évolution. Un rétrovirus agit-prop, SHEVA, l'incitait à muter, créant des enfants d'une espèce différente.

Je ne ressens guère d'intérêt pour les suites qui ne sont souvent que des séquelles. Grâce au talent de Greg Bear, les Enfants de Darwin échappe à la déshérence. Ce partisan du roman-fusion, étroite imbrication entre Science-Fiction et littérature classique, s'en tient d'abord à la conjecture, même s'il y mêle des aperçus sentimentaux. L'effet “boul'd'hum” (bouleversant d'humanité) qui fait tant de ravages parmi nos écrivains post néo-naturalistes n'a pas encore frappé un cerveau exigeant qui maîtrise son logiciel de traitement de texte.

Car c'est indéniable et cela m'effraie, le ton “Microsoft Word” s'impose peu à peu sur tous les fronts. Pour un détective du style, il n'est pas difficile d'interpréter comment travaillent déjà la plupart des producteurs de romans commerciaux. À chaque jour son lot de prose qu'il suffit ensuite d'enchaîner sur le fil agglutinant d'un synopsis, grâce au couper-coller, au glisser en loucedé pour obtenir un ouvrage rondouillard et inodore.

Mais revenons à nos shevistes, à leur douloureux internement sous la pression de l'opinion et des hommes politiques. SHEVA ne serait-il pas une résurrection du péché originel ? Chaque tête est mise à prix un million de dollars. Dans cette atmosphère de persécution, de camps de concentration déguisés en école, nous suivons pas à pas l'histoire de Stella, onze ans, fille de Kaye qui comprit l'origine virale de la mutation, et de Mitch qui en retrouva les vestiges comparables lors de la disparition des néanderthaliens. Stella et les siens ignorent les tourments propres à l'espèce humaine, en particulier le sens de la compétition. Ils ne pressentent pas encore quel sera leur avenir. Pour eux, l'essentiel est d'utiliser les moyens spécifiques de leur métamorphose pour se comprendre : éphélides qui frémissent sur le visage, hyperolfaction, double idéation du langage, formation de clans éphémères qui favorise une société originale.

Jusqu'au moment où intervient la puberté de Stella, donc la perspective d'une deuxième génération de mutants.

À cet instant se révèle l'intention du romancier, qui dissimule dans sa manche un troisième tome. Car, au lieu de se disperser en épisodes redondants, certes fort bien troussés pour entretenir le suspense, en dialogues hard science vraiment “hard”, l'auteur aurait pu enrichir les Enfants de Darwin en traitant directement du problème fondateur de tous les romans sur ce thème : comment l'Homme et son successeur trouveront-ils une voie d'entente ? Espérons donc une suite qui ne saurait être que passionnante, vu l'esprit résolument anticipateur de Greg Bear.

Philippe Curval → Magazine littéraire, nº 425, novembre 2003

John Varley : le Système Valentine

(the Golden globe, 1998)

roman de Science-Fiction

chronique par Philippe Curval, 2003

par ailleurs :

L'un des écrivains de Science-Fiction le plus innovant, le plus percutant, précurseur du mouvement cyberpunk, nous livre son dernier opus après plusieurs années de silence. Son héros, Sparky Valentine, dont le tempérament, la silhouette, l'entregent se situent entre Barbara Streisand et Groucho Marx, s'affirme comme l'un des acteurs les plus extravagants de l'univers. Flanqué de son bichon aussi cabot que lui et servi par son pantech, invraisemblable cube de Möbius à transformations, il va affronter durant 500 pages mille aventures à travers les planètes. Car cet ancien numéro Un des séries télé, sur le retour, est hanté par l'image de son père et persécuté par la mafia charonaise — de Charon, un satellite de Pluton. Inventions, saillies, nonsense fusent dans ce roman picaresque où Shakespeare et W.C. Fields semblent passés au mixeur.

Philippe Curval → Magazine littéraire, nº 425, novembre 2003

Thierry Di Rollo : la Profondeur des tombes

roman de Science-Fiction, 2003

chronique par Philippe Curval, 2003

par ailleurs :

Plus que le charbon, rien que le charbon. Notre planète ne dispose plus que de cette ultime ressource énergétique. Fumerolles, escarbilles, poussier ont définitivement terni l'horizon, escagassé les poumons. Au fond de sa mine, Pennbaker le porion cherche à obtenir le rendement maximum, au mépris des hommes, au mépris de la mort d'un clone d'hippopotame à tout faire. Seule consolation, Closelip, un ancien modèle de réplicant qui lui sert de fille, et le souvenir idyllique de sa mère, celui des temps anciens. Dans ce roman nostalgique sur la fin des idéaux, Thierry Di Rollo met son écriture dense et suggestive, désespérée, au service d'un univers plus noir que vous ne le pensez.

Philippe Curval → Magazine littéraire, nº 425, novembre 2003