Chroniques de Philippe Curval

Christopher Priest : la Séparation

(the Separation, 2002)

roman de Science-Fiction

chronique par Philippe Curval, 2005

par ailleurs :
l'Histoire perplexe

Depuis le Monde inverti et la Machine à explorer l'espace, on sait que Christopher Priest est un grand manipulateur. Sans doute l'un des plus habiles dans l'histoire de la Science-Fiction pour opérer des glissements d'interprétation entre la façon dont il présente les protagonistes, les événements, et le véritable sens du roman. L'une de ses méthodes familières est d'organiser le récit à travers la vision de plusieurs personnages qui ne se recoupe qu'à certains points clés. D'où le sentiment de divergence entre les versions qui contamine la logique spéculative. À cet art particulier s'ajoute une écriture quasi wellsienne, sans métaphores ni périphrases, qui procure au lecteur l'impression de se situer toujours dans le cadre d'une stricte réalité. Ce qui conduit à l'égarer en permanence par des incompatibilités apparentes entre les situations qui se chevauchent et se contredisent.

En ce sens, la Séparation se présente comme un aboutissement de son travail littéraire.

En principe, le propos est simple : il s'agit de savoir si Rudolf Hess a réellement franchi la Manche pour proposer un plan de paix séparée à Churchill sous l'aval d'Hitler. Si le Rudolf Hess en question a été abattu lors de sa mission. Ou enfin s'il n'était qu'une doublure opérant en son propre nom.

Dans le premier cas, le conflit entre l'Allemagne et l'Angleterre a cessé en 1941. Dans le second, elle s'est poursuivie par les massacres que l'on connaît. La chose se complique puisque le récit est initié par un historien nommé Stuart Gratton, spécialiste d'une guerre mondiale qui s'est terminée en 1941, qui va enquêter à partir des journaux de deux frères jumeaux, J.-L. et J.-L. Sawyer. Ceux-ci ont rencontré Hess lors des Jeux olympiques de Berlin. Le premier est un pilote de bombardier qui a mené des raids sur les villes allemandes jusqu'à la paix en 45. Le second est un objecteur de conscience engagé dans la Croix-Rouge, qui serait mort à Londres sous un bombardement.

Par un subtil chassé-croisé de témoignages, Priest manie aussi bien les faits et les figures historiques que les sentiments de ses héros pour obtenir un parfait principe d'incertitude. En somme, la volupté n'est pas de découvrir où et quand la séparation s'est produite entre deux filières de réalité. Mais d'analyser comment l'auteur est parvenu à nous offrir un chef-d'œuvre de perplexité.

Philippe Curval → le Magazine littéraire, nº 444, juillet-août 2005

Ellen Herzfeld ; Gérard Klein ; Dominique Martel : les Passeurs de millénaires

anthologie de Science-Fiction francophone, 2005

chronique par Philippe Curval, 2005

par ailleurs :

Pour terminer, ne manquez pas de lire les Passeurs de millénaires au Livre de poche. Sans doute la meilleure anthologie de Science-Fiction française parue jusqu'à ce jour.

Philippe Curval → le Magazine littéraire, nº 444, juillet-août 2005