Chroniques de Philippe Curval

David Calvo : Minuscules flocons de neige depuis dix minutes

roman de Science-Fiction, 2006

chronique par Philippe Curval, 2006

par ailleurs :
Auto(science)fiction

Tout ouvrage paru dans une collection liée à la Science-Fiction appartient au genre par définition. Les romans, les essais publiés par la jeune maison d'édition les Moutons électriques y sont si fréquemment associés qu'il ne me viendrait pas à l'esprit de chercher des poux sémantiques à David Calvo à propos de son roman. Même si ce dernier ne s'en réclame pas ouvertement, il s'est déjà illustré par d'excellents textes de SF.

Abordons plutôt ce rébus dont la difficile exposition plonge le lecteur dans une hypnose communicative, sans laquelle il serait impossible de parvenir jusqu'à la fin. Hypnose qui provient de cette écriture carnivore dont Calvo possède la maîtrise. Texte incisif, gorgé d'un humour plus noir que vous ne le pensez, dont la scansion, les volte-face, les ruptures de ton, la poésie acide, l'agressivité convient à suivre le fil d'une pensée en alarme, toute de tension et de doute. Minuscules flocons de neige depuis dix minutes s'inspire de l'idée que nous vivons dans un monde virtuel et que nous décryptons la réalité derrière une grille. À la manière des héros de Tron, premier film réalisé sur ordinateur, qui plongés dans un jeu vidéo cherchent à s'en échapper pour reconquérir le réel. Ou bien comme ces cellules d'embryons conçus lors de procédures de fécondation in vitro qu'on appelle “enfants flocons de neige”, dont l'avenir est désormais incertain puisque George W. Bush vient de prononcer son veto au sujet de leur existence.

Depuis quand ce processus de désintégration par le pixel de notre civilisation occidentale s'est-il produit ? David Calvo s'interroge. Et s'il avait commencé sous l'empire de Walt Disney, à la Marceline, lorsque s'est produite son improbable rencontre en 1954 avec le Japonais Osamu Tezuka. Ensemble auraient-ils créé la première intelligence artificielle ? Mickey, symbole démoniaque, aurait-il été conçu par un ordinateur ? Et que viennent faire dans cette histoire Groucho Marx et les musiciens de Tangerine Dream ? Sans compter RAM, l'homme qui a regardé le soleil en face, et Annette, la femme tube incarnation de Los Angeles ?

Tout s'explique quand on sait que Calvo est né à L.A., que Minuscules flocons de neige depuis dix minutes est d'abord le récit d'un retour aux sources. D'où cette tendance lourde à la nostalgie critique qui imprègne le roman, ce sentiment d'auto(science)fiction qu'il procure. Pour une génération dont il se revendique, qui veut tout, tout de suite, les utopies n'existent plus. Donc la SF est dans la purée.

Philippe Curval → le Magazine littéraire, nº 456, septembre 2006