Chroniques de Philippe Curval

Stephen Baxter : Temps (les Univers multiples – 1)

(Manifold – 1: Time, 1999)

roman de Science-Fiction

chronique par Philippe Curval, 2007

par ailleurs :
l'Effondrement du vide

Que ce titre ne vous effraye pas. Il ne signifie nullement que Stephen Baxter a produit un roman insipide, mais qu'il aborde le vide d'une manière explosive. À la fameuse question « Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? », il répond : « Si tout s'effondrait soudain dans l'univers, il pourrait y naître autre chose que le rien. ». Ce qui nous concerne directement puisque, de cette “autre chose”, nous serions exclus. Et d'exposer sa spéculation à travers un texte vertigineux dont la lecture n'est pas une sinécure. Par exemple, des pages de descriptions astronomico-physiques depuis le big bang jusqu'à la fin du dernier trou noir dont on se passerait volontiers. Autant son histoire de l'être humain dans Évolution m'avait ébloui par son charme, sa précision et sa tendresse, autant l'intimité des naines blanches me laisse de glace.

Mais reprenons le cours du Temps et laissons nous séduire par tout ce que Stephen Baxter apporte d'innovant, de fort, d'intrigant dans la littérature de Science-Fiction. D'abord, une imagination débordante mais structurée qui s'appuie sur des textes scientifiques de pointe (ou non), et confère au lecteur l'impression qu'il surfe sans complexe sur des problèmes familiers aux prix Nobel de physique, de chimie, de biologie, etc. En second lieu, un vrai talent pour transformer des histoires abracadabrantes en récits d'une réalité tangible. Je vous cite en vrac : des calmars intelligents conduisent des vaisseaux spatiaux pour explorer la deuxième lune de la Terre ; des émissions de radio en provenance du futur annoncent que la fin du monde aura lieu dans deux cents ans ; des enfants surdoués manipulent des pépites de quark ; et ainsi de suite. À cela s'ajoutent : un rythme, un allant, une fraîcheur qui me rappellent l'époque exquise où je découvrais la SF ; une manière de mettre en scène ses personnages qui les rend attachants ; un style qui ne se préoccupe guère de raffinements littéraires pour aller droit vers l'efficacité — ce qu'on pourrait lui reprocher.

Certain que les États-Unis sont aujourd'hui le phare du monde, Baxter s'interroge généreusement sur la manière dont l'Histoire évolue. Les certitudes sur la société d'un Américain des années 50 en prendraient un rude coup s'il débarquait dans notre présent. L'avenir donne l'impression de se rapprocher à mesure que le progrès technologique s'intensifie, que les mœurs évoluent. Imaginons que l'effet s'en propage sur la planète. Ce serait l'effondrement, la perte des valeurs made in USA. Le vide ?

Philippe Curval → le Magazine littéraire, nº 464, mai 2007