Chroniques de Philippe Curval

Ronald Wright : Chronique des jours à venir

(a Scientific romance, 1997)

roman de Science-Fiction

chronique par Philippe Curval, 2007

par ailleurs :
Catastrophisme anglais

Depuis Londres engloutie de Richard Jefferies en 1885, le catastrophisme anglais est le fruit d'une longue tradition. Il accompagne souvent le thème de l'homme solitaire sur un monde dévasté, comme dans le Dernier homme de Mary Shelley. Le dernier en date et le plus talentueux des écrivains britanniques obsédés par notre disparition prochaine n'est autre que J.G. Ballard avec sa série de catastrophes spécialisées, depuis le Monde englouti jusqu'à Sécheresse.

Surpopulation, inondation, conflit nucléaire, météorite géant, etc., tout est bon pour décrire nos lendemains qui déchantent avec une sombre jubilation. L'intérêt du roman de Ronald Wright, qui s'intitule en anglais a Scientific romance, c'est qu'il reprend en compte cette tradition victorienne, en s'appuyant sur toutes les références qui s'imposent, pour aborder de nouveaux thèmes — en particulier celui des maladies à prion, ici celle de Creutzfeldt-Jakob. Ce qui semble évident dans une Angleterre qui a connu le paroxysme d'une épidémie dont les conséquences à long terme se révèlent imprévisibles.

David Lambert pleure la disparition de la femme aimée, Anita, morte de l'E.S.B. Lui-même paraît contaminé. À la suite à la découverte d'une lettre que H.G. Wells aurait écrite à la veille de sa mort à propos de la création par une certaine Tatiana Cherenkova — qui fut sa maîtresse — d'une véritable machine à explorer dans le temps, il se rend à une adresse indiquée. La machine se trouve là, pas de Tatiana. Dans l'espoir de revenir plus tard en arrière au risque de violer la loi cosmique et de sauver Anita, il s'embarque pour la dernière date inscrite au tableau de bord, 2500 après J.-C. Le voyage vers le futur ressemble aux rêves d'un aveugle qui n'aurait connu la vue que durant quelques années. Ceux-ci ne sont plus adaptés au réel.

Il faut toute la méthodologie d'un archéologue comme Lambert pour découvrir dans les strates d'un Londres inondé et désert comment et pourquoi l'Humanité s'est anéantie. Et surtout l'écriture inventive, l'humour noir, le regard caustique d'un Ronald Wright pour nous faire partager des visions inédites à propos d'un avenir en déconfiture. Bric-à-brac dément d'un Londres postmoderne, invasion de la flore et de la faune issue des zoos et des jardins botaniques dans une Angleterre tropicale, supergazon sur les autoroutes abandonnées. Cette épitaphe corrosive sur une civilisation disparue accompagne le pèlerinage aux sources d'un voyage que Lambert avait fait en Écosse avec Anita, où l'auteur développe en filigrane toutes ses capacités d'émotion.

Philippe Curval → le Magazine littéraire, nº 468, octobre 2007