Chroniques de Philippe Curval

Hal Duncan : Vélum (le Livre de toutes les heures – 1)

(the Book of all hours – 1: Vellum, 2005)

roman de Fantasy

chronique par Philippe Curval, 2008

par ailleurs :

Lire Hal Duncan, c'est s'embarquer sur un torrent à bord d'un fragile esquif. Si le lecteur résiste, ne se laisse pas emporter par le courant vers une destination ignorée, il risque d'être renversé par les flots effervescents du récit et de s'y noyer. Révélant un talent de prestidigitateur qui fait fi de toute notion de chronologie, ce Livre de toutes les heures, comme il est nommé en sous-titre, est une véritable machine à broyer les dimensions du temps. En mêlant des personnages mythologiques à notre réalité, en leur assignant divers rôles et diverses identités, Duncan nous égare en permanence sur de fausses pistes qui se révèlent exactes cent pages plus loin. C'est un rêve lyrique sur les champs de l'illusion.

Où est la légende, où est le réel ? Le vélum les sépare comme un fin voile. Il est aisé pour les amortels, issus d'âges si anciens qu'ils sont ignorés, de passer d'un côté à l'autre. Mais en le franchissant, dieux, anges ou démons, perdent une partie de leur pouvoir, leur mémoire distordue s'alourdit des souvenirs qui sont les nôtres, plis de réalité qu'ils façonnent avec leurs mots. Hypertexte des guerres qui ont assombri le vingtième siècle et le début du suivant. Bataille de la Somme, guerre civile espagnole, terreur nazie, invasion de l'Irak sont autant de points de rendez-vous où leur vie terrestre s'accomplit pour la n-ième fois. Ainsi en est-il pour la mythique Inanna, traversant les siècles à la recherche de son frère Tom, torturé pour pédérastie. Comme pour Jack le cinglé ou Seamus Finnan, l'anar révolté, crucifié sur les barbelés. Ou l'ange Métatron, machiavel en mal de savoir-faire, tous sont à la recherche d'une vérité perdue, l'Alliance qui soudait autrefois les êtres pensants. L'histoire récente de l'Humanité a bouleversé la donne. Mais comme le dit Duncan : « La technologie est globalement moderne, bien sûr, mais l'idéologie est globalement rétro. »

Il faut saluer le courage de ceux qui ont publié ce livre ahurissant.

Philippe Curval → le Magazine littéraire, nº 479, octobre 2008