Chroniques de Philippe Curval

Jasper Fforde : le Début de la fin

(First among sequels, 2007)

roman de Fantasy

chronique par Philippe Curval, 2009

par ailleurs :

L'avenir de la lecture est compromis. Devant l'assaut de la téléréalité, les lecteurs se raréfient, le livre se vend mal. Dans les librairies, les rayons se vident au profit des DVD et des jeux vidéo. Le problème devient d'autant plus grave que des héros secondaires tentent de s'échapper des romans pour rejoindre le monde réel. Et ce n'est qu'un début : déjà, le public réclame la création de textes interactifs où ils pourront décider du sort des personnages. Par exemple ceux d'Orgueil et préjugés, le chef-d'œuvre de Jane Austen.

Pour ceux qui n'auraient pas lu l'Affaire Jane Eyre, Délivrez-moi et les volumes suivants, Thursday Next, célèbre détective littéraire, détient le pouvoir de pénétrer dans le Monde des livres, afin de lutter contre les intrus, les fous, les sectaires qui cherchent à modifier le comportement des héros et la trame des grands classiques. Sherlock Holmes vient de mourir avant la fin de la série. Elle se trouve cette fois confrontée au plus délicat problème qu'elle ait jamais eu à résoudre. Car comment s'opposer à “l'Excédent de bêtise” dont souffre l'Angleterre parallèle où se déroulent ses exploits. Même les gardiens du temps craignent que ce trop-plein de stupidité n'annihile le présent et ne réduise l'Histoire à zéro.

Plus qu'un roman à suspense où l'énigme tient lieu d'architecture au récit, Jasper Fforde, ici, se délivre de ses tourments d'écrivain. Car le Début de la fin, en même temps qu'un ouvrage plein de liberté et d'improvisation, est aussi une réflexion sur le sens de la fiction, les arcanes de sa composition, le destin de la littérature. S'il faut en croire Fforde, son avenir ne saurait survivre sans excès d'imagination, débordements de l'inspiration et surtout cet humour corrosif, burlesque, hilarant, s'interdisant le moindre interdit, dont il fait preuve avec une maestria digne de James Thurber, Mark Twain, Alphonse Allais, Lewis Carroll, ses maîtres en écriture.

Philippe Curval → le Magazine littéraire, nº 483, février 2009

Une version légèrement différente de cette chronique a paru ensuite en juillet 2009.