Chroniques de Philippe Curval

Johan Heliot : Ordre noir

roman de Science-Fiction, 2010

chronique par Philippe Curval, 2010

par ailleurs :

Johan Heliot fait partie de cette nouvelle génération d'écrivains français qui s'appuient sur l'Histoire et ses personnages pour fabriquer des métafictions qui pervertissent la chronologie, non sans répercussions majeures sur le passé et nos actuelles convictions. Découvert par le succès mérité de la Lune seule le sait, où Jules Verne et Napoléon III jouent un rôle important dans la colonisation de notre satellite, Heliot s'est essayé depuis au space opera, à la Fantasy et la littérature pour jeunesse.

Avec Ordre noir, il aborde une œuvre plus ambitieuse. En organisant un roman dont la trame remonte aux racines de notre ère à travers plusieurs récits. Patricia, enseignante, est en quête de ses origines ; Matthew, avocat, vit comme elle dans une Amérique plongée dans un éprouvant conflit avec l'Asie. Leur route va croiser d'étranges personnages, chargés de corriger l'Histoire.

Voyage spatial et voyage temporel, Ordre noir, dans une frémissante envolée de traitement de texte, souvent digne d'excellents romanciers populaires, parle de l'éternel combat contre le Mal qui déjoue les plans du Grand Architecte.

Philippe Curval, prévu pour le Magazine littéraire postérieurement à la date de rédaction, le 20 mai 2010, mais publié uniquement et anonymement sur le site de la revue le 28 octobre sous le titre de : "les Dérives de l'Histoire"

Robert Charles Wilson : À travers temps

(a Bridge of years, 1991)

roman de Science-Fiction

chronique par Philippe Curval, 2010

par ailleurs :

Est-il bon de vivre en son époque ? Ne serait-il pas mieux de s'expatrier dans le futur ou le passé, soit pour y découvrir l'avenir de notre planète, soit pour se consoler du présent en songeant que les années antérieures semblaient plus passionnantes et plus chaleureuses ? Surtout lorsqu'on trouve, comme Tom Winter, revenant dans sa ville natale à la fin des années quatre-vingt après un divorce, un tunnel du temps dans la propriété qu'il vient d'acquérir.

Mais voilà qu'en s'y hasardant, débarquant, peu après sa naissance, à New York vers le début des années soixante, les événements deviennent plus compliqués qu'il ne le pensait. Car il semblerait que des Humains, dans un futur très lointain, aient construit ce système de déplacement afin d'expertiser le passé. Or, sans qu'il le sache, le gardien du tunnel vient d'être assassiné. N'importe qui peut désormais l'emprunter. Même les soldats doués d'une technologie supérieure, issus d'une Amérique à feu et à sang à la suite du dérèglement climatique.

Avec À travers temps, Robert Charles Wilson s'attaque à l'un des exercices les plus exigeants en Science-Fiction : renouveler le thème du voyage temporel dont les lois sont déterminées par des principes physiques qu'il est audacieux de remettre en question. Parce que l'Humanité accouche d'elle-même avec naturel et qu'une césarienne pratiquée à l'aveugle dans la trame historique n'est pas sans péril.

Heureusement, grâce à un traitement fort subtil de la narration, Wilson nous entraîne progressivement vers l'improbable, décrivant minutieusement l'itinéraire de ses personnages dans une vie ordinaire, à travers un paysage familier. Nous sommes dans l'incertitude et la mélancolie, à nous interroger sur les avantages, les inconvénients du bon vieux temps, le souvenir des amours contrariées, quand soudain le roman bascule dans la frénésie.

Il faut toute la rigueur, le savoir-faire d'un écrivain qui n'hésite pas à se lancer dans une spéculation intelligente sur les conflits entre le destin individuel et l'histoire collective pour dénouer les fils d'une intrigue aux rebondissements inquiétants. Robert Charles Wilson prouve ici qu'il est l'un des meilleurs en la matière.

Philippe Curval, prévu pour le Magazine littéraire postérieurement à la date de rédaction, le 20 mai 2010, mais publié uniquement et anonymement sur le site de la revue le 28 octobre sous le titre de : "À travers temps"