Chroniques de Philippe Curval

Norbert Merjagnan : Treis, altitude zéro

roman de Science-Fiction, 2011

chronique par Philippe Curval, 2011

par ailleurs :

Voici un roman ambitieux, parfois à la limite de l'autisme, où jamais l'auteur n'autorise le lecteur à percer ses sentiments, ne lui permet d'interpréter avec certitude le sens exact des événements qui lui sont racontés. D'une écriture savante où chaque mot pesé trouve sa juste place dans la phrase, Norbert Merjagnan décrit en trois D un monde radicalement étranger, où chacun des chapitres ne s'emboîte pas forcément dans le suivant, créant un subtil malaise. Traités comme des entités à part, chacun d'eux constitue la pièce d'un puzzle dont on devine la complexité, sans qu'on ne parvienne jamais à en percevoir la totalité. Elle se dérobe à travers mille pièges que l'auteur pose dans le récit, faux semblants, actes ambigus, indices frelatés. Plus que l'histoire par elle-même, ce sont les idées déconcertantes, les images exotiques, descriptions perturbantes de quartiers, de paysages, la subtile diversité des personnages, leurs dons étonnants, leur mystère qui produisent un réel envoûtement, en suggérant ce qu'est l'altérité.

Dans son précédent ouvrage, les Tours de Samarante, Merjagnan traitait d'une ville femme, cité mémoire, enjeu d'un conflit entre des forces obscures qui depuis les origines veulent programmer l'Avenir. Dans ce deuxième volume, il aborde le sort de Treis, depuis que l'orgueilleux conseiller Maspéro Kémal a décidé que l'altitude zéro de ce monde serait le niveau de la capitale. À défaut de la calculer d'après celle des océans, de l'eau disparue au cours des guerres climatiques qui ont ravagé l'environnement. Aidé du chef de la police et d'un hurleur de rêve dont les cris sont mortels, il nourrit l'ambition insensée d'atteindre prochainement le “Seuil”.

Le “Seuil” se décline au futur. Toute l'histoire de la planète et des Mirandes (cités influentes où se développent des formes de civilisations particulières) le démontre. Viendrait, d'après des données prophétiques, un temps où l'Humanité, tant de fois divisée par des affrontements entre des villes ennemies, fragmentée en races différentes au cours des mutations de l'espèce, verrait se reconstituer une nouvelle unité. Ce serait l'avènement de l'utopie.

Mais ce schéma si évident ne rencontre pas que des partisans. D'autant qu'une femme aux pouvoirs étranges est mandatée pour s'y opposer ; que la mort ne se révèle pas toujours un fait accompli ; que la révolution des machines se prépare dans une partie de l'aliène (le désert qui recouvre la presque totalité de la planète).

On le devine, Treis, altitude zéro est un roman dur, contraignant, qui demande au lecteur une attention de tous les instants pour accepter cet univers subliminal que Merjagnan construit avec patience, exigence. Car, mieux qu'un auteur de Science-Fiction désireux de nous enfermer dans une logique spéculative, il cherche, grâce à la réelle volupté que procure son écriture, à nous transmettre l'immatérielle sensation de basculement dans une création inconciliable avec notre pensée.

Philippe Curval, prévu pour le Magazine littéraire postérieurement à la date de rédaction, le 11 avril 2011, mais publié uniquement et anonymement sur le site de la revue le 14 juin sous le titre de : "Treis, altitude zéro"