Chroniques de Philippe Curval

Kurt Steiner : le Disque rayé

roman de Science-Fiction, 1970

chronique par Philippe Curval, 1997

par ailleurs :

Pour s'attaquer au thème des univers parallèles sans basculer lamentablement de l'autre côté de la logique, il faut une solide constitution d'écrivain, celle de Kurt Steiner par exemple. Il faut aussi avoir fait ses premières armes du côté du paradoxe spatio-temporel. Avec les Improbables, le même Kurt Steiner s'y était déjà essayé avec succès. C'est sans doute pourquoi le Disque rayé est une aussi parfaite réussite ; un pendant tragique de l'Univers en folie de Fredric Brown, à mettre au Panthéon de la Science-Fiction.

Pour Matt Wood, confronté au fait de se retrouver dans un univers de poutrelles et d'entretoises métalliques, ville fantomatique et rouillée posée à même la mer, et qui semble recouvrir la totalité de la planète, le problème n'est pas de savoir quelle civilisation parvenue à échéance recouvre ce décor énigmatique, mais de s'y reconnaître. Car, quand on a seulement la mémoire de l'habitude, celle des gestes quotidiens, et même l'acquis culturel nécessaire à survivre, aucune société ne vous donne néanmoins une définition convenable de vous-même. C'est sans doute pourquoi les situations les plus absurdes comme les plus dangereuses ne le rebutent pas. Matt, sautant d'un univers à l'autre avec l'aisance d'un funambule, se découvre l'envie de connaître enfin les vrais responsables de la misère humaine, ces faux dieux qui manipulent nos marionnettes. Il ne sera pas déçu : d'aventures en aventures, de retournements spectaculaires en pirouettes logiques, avec la sûreté balistique conférée par l'humour, Matt Wood parviendra au terme de sa recherche. L'abominable consiste sans doute à découvrir que les dieux n'existent pas, que les tyrans ne sont que masques et que les illusions de sociétés reposent sur les propres fantasmes de l'Humanité que nous avons suscités. Il fallait plus que du talent pour résoudre cette équation désespérée.

Philippe Curval, prévu pour le Monde au deuxième trimestre 1976 mais apparemment non publié