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Gérard Klein : choix d'articles

Nous ne sommes pas seuls dans l'univers

Première parution : Fiction 154, septembre 1966

Si certains s'interrogent sur la pluralité des mondes habités, d'autres se demandent pourquoi, dans l'hypothèse où d'autres civilisations existeraient dans l'univers et où certaines d'entre elles seraient techniquement plus avancées que la nôtre, nous n'avons pas encore reçu de visite.

À cette question légitime, il existe une réponse qui conserve un caractère fortement conjectural, mais dont il est impossible d'éluder l'examen : nous avons reçu leur visite. Nous la recevons en particulier depuis quelques années de façon répétée. Les objets non identifiés, les Mystérieux Objets Célestes, les soucoupes volantes sont bel et bien des astronefs étrangers qui traversent notre ciel.

C'est le caractère fantastique de cette proposition qui conduit à l'approcher avec beaucoup de prudence, moins parce qu'elle choque que parce qu'elle présente, précisément, trop de séduction. La science se méfie légitimement des hypothèses plaisantes parce qu'elles trouvent plus aisément que les autres des avocats convaincus. Les uns sont de simples naïfs. Quelques autres peuvent être des escrocs. Les derniers enfin et les plus intéressants peuvent s'être convaincus eux-mêmes de la justesse de leurs conclusions et les défendre avec beaucoup d'acharnement et de subtilité. Comme toujours, seul l'examen raisonné des faits peut permettre, non sans difficulté, de trancher.

Deux auteurs notamment, dont les œuvres ont paru ou ont été rééditées récemment, ont tenté d'approcher le phénomène des “Mystérieux Objets Célestes” avec le maximum de prudence et de méthode. Le premier est Aimé Michel, dont l'ouvrage Mystérieux objets célestes, publié initialement en 1958 et devenu introuvable, reparaît sous le titre À propos des soucoupes volantes (Planète). Le second est Jacques Vallée qui, assisté de sa femme, livre le fruit de ses recherches et de ses réflexions dans les Phénomènes insolites de l'espace (la Table ronde, collection "l'Ordre du jour").

Il n'est pas inutile, à propos d'un sujet aussi brûlant, de présenter quelque peu les auteurs. Aimé Michel est un bon journaliste scientifique. Sa culture est indubitablement plus littéraire que scientifique, comme il l'avoue volontiers lui-même, mais il a toujours fait preuve de rigueur. En dehors de l'ouvrage qui nous occupe, je ne me trouve pas toujours en accord avec lui, notamment lorsqu'il aborde l'ethnologie, mais je ne l'ai jamais pris en flagrant délit de malhonnêteté intellectuelle. Jacques Vallée est un jeune mathématicien. Il travaille présentement dans une université américaine et il a pu appliquer, comme on le verra, les méthodes modernes de traitement de l'information à certains aspects du phénomène.

La littérature sur les “soucoupes volantes” est assez abondante. Elle se caractérise, comme on peut s'y attendre, par une grande inégalité qualitative, la majorité des ouvrages étant d'une médiocrité affligeante, soit qu'ils servent de véhicules à des thèses incontrôlées, incontrôlables et souvent franchement délirantes, soit qu'ils ne procèdent, quand ils rapportent des événements, qu'à des citations de seconde ou de troisième main, incomplètes, voire tronquées ou remaniées. Or l'importance de la rigueur et de la précision dans l'exposition des “faits” est ici déterminante. Le chercheur ne dispose d'aucun autre élément que les témoignages. Il n'est pas question de procéder à des expériences. Aucune trace physique incontestable n'a été laissée de leur passage par les engins éventuels, quoique de fortes présomptions accompagnent certains signes. Les quelques documents photographiques ou cinématographiques existants ne sauraient à eux seuls non plus permettre de conclure. Le “fait” essentiel, primordial, reste l'observation suivie d'un témoignage. C'est donc de la confrontation et de la discussion de ces témoignages que l'on peut seulement extraire, dans les circonstances présentes, quelques données sur la réalité et la nature du phénomène.

Les deux livres d'Aimé Michel et de Jacques Vallée présentent à cet égard, malgré ou en raison de leurs différences, un intérêt considérable. Au risque de commettre une injustice, je ne vois guère que celui de Michel Carrouges, les Apparitions de Martiens, et dans une moindre mesure celui du capitaine Ruppelt, qui dirigea quelque temps la commission spécialisée de l'Armée de l'Air américaine, qui les égale sur ce point. Quel que soit l'angle sous lequel on approche le phénomène ou plutôt l'ensemble de phénomènes, et quelles que soient les conclusions vers lesquelles on se trouve porté, leur lecture apparaît indispensable.

Je dois rapporter ici une “aventure” intellectuelle un peu particulière. Voici plusieurs mois, un mensuel me demanda d'écrire un article sur les soucoupes volantes. M'étant intéressé à la question, mais sans l'avoir étudiée particulièrement, j'hésitai. Je finis par accepter, et, la crédulité n'étant pas ma vertu première, je me proposais initialement d'établir, sur la base d'une méthode voisine de celle des historiens, les incohérences, les contradictions et les invraisemblances des livres publiés. Je lus donc, le crayon en main, la majeure partie des ouvrages parus en français et quelques ouvrages anglais et américains. Je découvris alors qu'au-delà de la bonne foi de certains auteurs, dont je ne doutais d'ailleurs pas, leurs propos présentaient une étonnante cohérence. Je fus donc contraint d'abandonner le ton sarcastique que je me préparais à donner à mon article et d'exposer avec le maximum de sérénité le contenu de mes lectures. La rédaction de la revue n'y vit aucun inconvénient. Je fis même, toujours sur le plan de l'analyse des textes, quelques découvertes mineures mais surprenantes. C'est ainsi que je m'aperçus que j'avais, sur la foi de lectures anciennes et isolées, assez mal jugé Jimmy Guieu. Le personnage lui-même, tel que je l'ai rencontré à deux ou trois reprises, n'incite guère à vrai dire à la confiance. Plein d'une faconde toute méridionale, il était alors (ce devait être en 1956 ou 1957) toujours prêt à dévoiler les arcanes les plus secrètes des politiques soviétique et américaine, jurait ses grands dieux qu'il avait une ligne directe avec les Grands Galactiques et attribuait le “cancer des pare-brise” à quelque entité lovecraftienne. Bref, le genre d'homme qui vous conduit à vérifier s'il fait jour plutôt que de le croire sur parole.

Mais, sur tous les points pour lesquels j'ai pu procéder à des recoupements systématiques à l'aide de documents antérieurs à ses deux livres parus aux Éditions du Fleuve Noir, ces derniers ne témoignent pas de déformations ou d'exagérations excessives. La prose enflée, le goût du coup de théâtre, le recours occasionnel à des sources extrêmement douteuses, les lacunes évidentes dans les connaissances scientifiques, les extrapolations échevelées masquent aux yeux du lecteur exigeant nombre de récits relativement complets et fidèles aux témoignages ou aux documents originaux, sinon une recherche qui n'est pas toujours sans mérite.

La découverte d'une “cohérence” difficilement contestable entre les meilleurs ouvrages et quelques-uns qui sont moins bons n'entraîne pas automatiquement de conviction quant à la nature extra-terrestre du phénomène. Elle conduit seulement à penser, dans un premier temps, que le fait d'opinion, à lui seul, présente un intérêt inhabituel et qu'il ne relève pas seulement des données courantes de la psychologie ou de la sociologie. Il recouvre quelque chose. C'est sur la nature de ce quelque chose que se sont penchés Aimé Michel et Jacques Vallée.

Dans son ensemble, le problème des soucoupes volantes me paraît pouvoir se décomposer en trois questions : les observations correspondent-elles à des phénomènes physiques objectivement contrôlables le cas échéant ? Ces phénomènes sont-ils de nature extra-terrestre ? S'ils le sont, correspondent-ils à des engins, pilotés ou non, c'est-à-dire à une civilisation ?

Des éléments de réponse à chacune de ces questions se trouvent dans les livres de Michel et de Vallée. Sur l'objectivité des observations, il semble qu'il demeure peu de doute. La grande majorité des témoins ont vu quelque chose, qu'il s'agisse d'ailleurs des objets observés dans le ciel ou même des objets posés à terre et, à l'occasion, de leurs pilotes. Les explications purement psychologiques ne paraissent pas solidement fondées. Comme le note Carrouges dans son livre, si les témoins d'un accident sont rarement d'accord sur ses circonstances, il est tout à fait exceptionnel que quelqu'un “invente” un accident et, même dans ce cas, il ne le fait pas en dehors de conditions psychologiques bien précises. Mais les témoins ont pu voir quelque chose et être abusés. L'erreur de perception paraît plus acceptable que l'hallucination. Sans vouloir trancher ni même entrer dans le vif du sujet, je conviendrai volontiers avec Michel et Vallée que, dans un grand nombre de cas, elle ne constitue pas une explication suffisante : ceux en particulier où une observation a été doublée d'un contact radar par exemple, et ceux ou toutes les causes concevables d'erreur d'identification ont pu être raisonnablement éliminées.

Assez curieusement, et sans d'ailleurs que cela me fasse un plaisir particulier, les cas où les erreurs de perception paraissent le moins acceptables semblent être ceux d'observations d'objets au sol, voire de pilotes. Les descriptions sont souvent précises, fouillées, mais pas plus qu'on ne peut s'y attendre. L'hallucination seule pourrait en rendre compte, mais la psychologie, au moins telle qu'on l'enseignait encore en 1960 à la Sorbonne, ne connaît pas d'hallucinations ni de délires sans altération corrélative du comportement ni sans antécédents. Si la mythomanie éclate dans les récits et le comportement de gens comme Adamski et Howard Menger, il n'en va pas de même pour les quelques dizaines de paysans, d'ingénieurs ou de fonctionnaires qui ont fait des observations au sol. En tout état de cause, un sérieux problème se pose, et l'on comprend quelque peu l'irritation d'un Aimé Michel de se voir opposer des mots, des rationalisations plus scolastiques que scientifiques, alors qu'il recherche et réclame soit une explication solide ou une amorce de théorie, soit un aveu, toujours respectable, d'ignorance.

Michel et Vallée croient tous deux à l'origine extra-terrestre des objets et à leur nature d'objets fabriqués. Plus exactement, ils ne voient pas d'autre hypothèse qui rende compte de l'ensemble des observations attestées. Un aspect particulièrement intéressant de l'utilisation de ces observations réside en la découverte de l'orthoténie par Aimé Michel. En reportant sur une carte toutes les observations faites en une période de 24 heures, Aimé Michel les vit s'aligner et constituer des réseaux. Ces droites, qui correspondent à des grands cercles tracés sur notre planète et dont le centre est celui de la Terre, passent par trois, quatre, cinq et six points d'observation. Il est à noter que ces observations ne permettent pas d'orienter le déplacement d'un objet éventuel : dans les limites de 24 heures, elles ne définissent pas un parcours. Tout se passe plutôt comme si l'objet s'était livré à des allées et venues au-dessus de la ligne.

Vallée, avec le secours des mathématiques et d'un ordinateur, a entrepris de discuter cette théorie. Il montre que si l'on définit un alignement comme un couloir plus ou moins étroit, les alignements de trois et quatre points sont explicables par le hasard. Ceux de cinq et six points se révèlent plus coriaces, mais ils sont en tout état de cause peu nombreux.

La critique de Vallée ne ruine pas tout à fait la théorie de l'orthoténie, qui constituait l'une des approches les plus intéressantes du phénomène. Mais elle l'affaiblit considérablement. L'orthoténie est peut-être fondée, mais son “signal” se confond largement avec le bruit du hasard. En va-t-il de même pour un autre effet singulier, celui des vagues d'engins qui paraissent revenir tous les deux ans et coïncider dans une certaine mesure avec les périodes d'opposition de Mars ? Il est sans doute beaucoup trop tôt pour en décider.

Vallée propose de systématiser une autre approche tentée par plusieurs auteurs, dont Michel : il s'agit d'étudier les descriptions d'engins et de noter la fréquence avec laquelle reviennent certains traits et la façon dont ils sont associés, de manière à établir une sorte de typologie des observations. Il conviendrait de réunir le plus de témoignages valides possibles et, le nombre aidant, le recours à des moyens de traitement de l'information automatique deviendrait nécessaire.

Aussi, Aimé Michel et Jacques Vallée concluent-ils tous deux, avec des accents différents, que l'ère des recherches d'amateurs est dépassée. Le premier en ressent quelque nostalgie. Le second se contente d'en tirer les conséquences logiques. Les différences entre leurs livres sont tout entières dans ces attitudes.

Le livre de Vallée est sec, précis, ordonné, volontiers sceptique. On sent que son auteur a volontairement refréné sa plume et qu'il a voulu retrouver, avec agrément d'ailleurs, un ton proche de celui de ses rapports scientifiques. Le livre de Michel, au contraire, abonde en digressions, en justifications, en développements littéraires, en prises de position, voire en polémiques, qui, s'ils marquent bien l'évolution d'une recherche et d'une pensée, éloignent parfois du sujet et peuvent, sinon irriter, du moins retenir de se lancer à fond dans cette œuvre excellente. La sensibilité que l'homme de science doit bannir de sa prose affleure sans cesse sous la plume. Michel se livre volontiers à des explications psychologiques des comportements des témoins, qui n'apportent guère de lumière et qui ne sont guère plus convaincantes que les rationalisations contraires. Une fois pour toutes, il faut admettre que le bon sens n'a rien à voir avec la démarche scientifique. Ces explications sont rarement nécessaires. Un peu plus de méthode, de rigueur, de retenue, de concision aurait fait de ce livre singulier un grand livre. Mais il ne faut pas non plus oublier dans quelles conditions, en 1958, il fut conçu et écrit. L'enthousiasme était compréhensible, les querelles étaient violentes, les ripostes plus énergiques que réfléchies. Il reste à souhaiter que Vallée, ou Michel, ou peut-être les deux, nous donnent avec la rigueur et le talent dont ils sont capables le grand livre historique et descriptif du phénomène.

Je me garderai bien de conclure sur la réalité et sur la nature de ce dernier. En ces domaines, la conviction et la foi n'ont rien à faire. Seul compte l'examen raisonné des faits, c'est-à-dire, en l'occurrence, des témoignages et des ouvrages qui les rapportent. À moins d'un accident proprement extraordinaire, le mystère peut demeurer fort long à percer et peut très bien ne l'être jamais tout à fait, du moins d'une manière qui satisfasse un grand nombre d'esprits exigeants. Le principal point acquis, c'est qu'il existe, fût-il de nature psychologique, et qu'il est absurde de le nier. Il n'est pas sûr que toutes les explications possibles aient été envisagées. Mais en tout état de cause, si, comme il semble à la lecture des livres d'Aimé Michel et de Jacques Vallée, c'est encore l'hypothèse extra-terrestre qui apparaît la plus solide, il convient de bien prendre la mesure du phénomène : celle d'un événement qui n'a pas de précédent manifeste dans notre brève histoire et qui est de nature à bouleverser sans appel nos vies et nos conceptions du monde. Les auteurs et les lecteurs de science-fiction sont moins désarmés intellectuellement que les autres pour faire face à cette formidable éventualité, celle du contact. Mais il faut avoir la tête bien solide pour en mesurer, pour en supporter, toutes les implications.