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Gérard Klein : préfaces et postfaces

Keith Robert : Survol

Livre de poche nº 7158, juin 1993

Le xxe siècle s'est doté d'une apocalypse à sa dimension avec la perspective de l'holocauste nucléaire. Dès la fin de la seconde guerre mondiale qui en a fourni un avant-goût de cendres, [Couverture du volume]toute une partie de la littérature de Science-Fiction s'est ingéniée à décrire les mondes d'après la bombe. Cette évocation n'est pas allée sans ambiguïté car au-delà de l'horreur du massacre, de la destruction de la civilisation, s'exprimait quelquefois la fascination de la table rase, de la seconde chance, de la renaissance. Une humanité purifiée et raréfiée pourrait repeupler une Terre nettoyée et en quelque sorte rendue à la virginité des origines par le cataclysme. Elle se garderait bien de tomber à nouveau dans le piège du technicisme qui avait conduit au feu atomique. Thème proprement réactionnaire qui fleurit outre-atlantique, mais que René Barjavel avait traité avec talent sans attendre la bombe dans Ravage puis repris autrement avec elle dans le Diable l'emporte.

Cette perspective outrée a même conduit aux États-Unis à l'apparition d'une tendance sinon d'un mouvement aux lisières du fondamentalisme religieux, de l'anarchisme de droite et de l'intégrisme écologique, sous le nom de survivalisme. Depuis des dizaines d'années une grosse poignée d'égarés souvent furieux se prépare au pire et à la survie dans un monde où tout homme sera devenu pour tout autre un fauve ou une proie, en s'entraînant, en s'équipant et surtout en s'armant. Il y eut ceux, aussi, superficiellement moins agressifs, qui se dotèrent d'abris antiatomiques au point pour les plus convaincus de choisir d'y élire durablement domicile.

Cette littérature et ces comportements valent leur poids de symptômes. C'est au moins autant les tensions internes à la société que l'on redoute que les conflits internationaux. Cependant ces symptômes prennent d'autres formes lorsque la détente entre l'Est et l'Ouest se précise, si bien que le cataclysme nucléaire s'est raréfié depuis une dizaine d'années dans la littérature. L'étonnant roman de Keith Roberts, Survol, n'est sans doute pas le dernier mais lorsqu'il paraît en 1985, il fait presque figure d'étrangeté. Certes Greg Bear publie la même année Éon, qui met en scène un échange nucléaire catastrophique, mais son véritable sujet n'est pas là et il donne presque l'impression de satisfaire à une figure imposée du genre.

Keith Roberts a toujours cultivé avec talent l'anachronisme. Dans son fameux roman Pavane, il met en scène un univers parallèle où, l'Invincible Armada ayant triomphé de la flotte anglaise, l'île est redevenue catholique et toute l'histoire du progrès s'en est trouvée ralentie. Non pas du reste pour le pire, mais selon le vœu paradoxal de Keith Roberts pour un très approximatif meilleur. On en induira volontiers que les mondes de notre auteur sont des mondes fragiles et protégés d'une horreur technicienne.

C'est très exactement le cas dans Survol. Un fragment d'Angleterre, assez difficile à situer, a survécu au cataclysme nucléaire et à réussi à préserver un semblant d'ordre et de hiérarchie pendant des décennies, peut-être des siècles, grâce surtout aux veilleurs inutiles qui, juchés sur des cerfs-volants géants, observent sans relâche les frontières. Les terres maudites qui environnent le territoire relâchent parfois des bouffées empoisonnées de gaz radioactifs et recèlent des démons, pauvres diables de mutants qui viennent périr sur les défenses de la civilisation.

C'est tout un ordre social qui s'est édifié pour la préservation du territoire et la surveillance par les survols de ses frontières. Et c'est cet ordre qui se trouve menacé lorsqu'avec les décennies, peut-être les siècles, les choses se normalisent dans les terres maudites. La pression du désastre extérieur garantissait en somme la survie du territoire. Son relâchement introduit le trouble.

Voilà une métaphore surprenante de l'Angleterre qui vit le risque de l'invasion comme une occasion de vertu et de courage, mais qui ne résisterait pas au changement.