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Gérard Klein : préfaces et postfaces

John Brunner : les Dramaturges de Yan

Livre de poche nº 7176, septembre 1995

John Brunner, l'un des principaux écrivains britanniques de Science-Fiction, est justement célèbre pour ses romans de prospective décrivant les tares, les espoirs et les problèmes de l'avenir [Couverture du volume]proche : Tous à Zanzibar (Prix Hugo 1969) pour la surpopulation ; le Troupeau aveugle pour la pollution ; Sur l'onde de choc pour l'informatique. La qualité de son information et de sa réflexion en ont fait des références durables, y compris pour les professionnels de la prévision.

Mais il a été aussi capable d'imaginer des mondes et des civilisations étranges, dispersés dans une société galactique riche et complexe qu'il n'a du reste pas cherché à unifier dans une trame unique. Ainsi dans Éclipse totale et dans le Creuset du temps, ou encore dans le Long labeur du temps. Son approche échappe à la naïveté habituelle de la description des extraterrestres dans les space operas. Il imagine non seulement des espèces, à l'occasion différentes de la forme humanoïde, mais des civilisations inédites, jusque dans leurs expressions artistiques. Il excelle à leur donner une cohérence fondée sur leur environnement, sur leur évolution biologique et sur leur histoire.

À travers leur diversité, ces espèces et ces civilisations traduisent cependant une tonalité constante qui appartient à leur créateur. C'est une tonalité tragique. Leurs destins, le plus souvent, les mènent à leur disparition et c'est le rôle des explorateurs ou des colons terriens que de comprendre ce qui leur est arrivé. C'est en somme d'énigmes policières cosmiques qu'il s'agit. Pourquoi un être, pourquoi une civilisation, pourquoi une espèce ont-ils disparu ? Le détective, c'est-à-dire l'humanité, arrive généralement trop tard pour sauver la victime, à moins que comme dans les Dramaturges de Yan, il ne devienne l'exécutant inconscient du crime. À défaut de sauver ou de punir, il y découvre en tout cas son propre avenir, assez peu radieux au total. Pour John Brunner, comme pour beaucoup d'auteurs britanniques, l'univers est un endroit dangereux, la nature une marâtre, et les espèces vivantes et intelligentes ne sont que des acteurs provisoires sur une scène qui les dépasse d'une tragédie où ils sont les agents le plus souvent inconscients de leur propre destruction. Tout juste prendront-ils conscience de leur échec avant de rencontrer l'expression particulière de leur mortalité.

Ce pessimisme sévère est à peine corrigé par deux notations discrètes mais persistantes : la science et parfois l'art sont des conditions de la survie dans un univers indifférent et violent ; la diversité qui permet le dialogue, la compétition et l'union en vue de la création, est le meilleur garant. Que ce soit dans Éclipse totale ou dans le roman qui suit, l'unicité trop poussée conduit à l'impasse. Ainsi, Brunner réaffirme fortement la leçon prospective de presque toute la Science-Fiction : l'avenir sera rationnel et pluriel, ou ne sera pas.

De la sorte les vignettes galactiques de John Brunner, un peu trop vite cataloguées dans la catégorie des bons romans secondaires prolongent, sinon redoublent, les leçons de ténèbres magistrales administrées dans la tétralogie prospective de l'Orbite déchiquetée, Tous à Zanzibar, le Troupeau aveugle et Sur l'onde de choc. Même si elle parvient à survivre à ses défauts et à gagner les étoiles, l'humanité ne perd rien pour attendre. Elle découvrira à son tour que, comme disait Jacques Sternberg, cet autre pessimiste, la sortie est au fond de l'espace. Les Autres lui montrent le chemin.

On rencontrera pourtant dans la conclusion des Dramaturges comme un soupçon de transcendance, comme une ombre d'optimisme. Les espèces passées et à venir, ayant peuplé ou devant peupler l'infinité des galaxies, sont en quelque sorte convoquées à leur propre tribunal collectif, à travers la trame des cultures, dans une fugitive envolée stapledonienne.

Et que ce soit un poète qui porte cet espoir ne peut nous laisser indifférent.