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Gérard Klein : préfaces et postfaces

Robert Reed : la Voie terrestre

Livre de poche nº 7206, avril 1998

L'habit fait-il le moine ? Robert Reed semble voué à explorer cette interrogation dont on connaît la réponse proverbiale. Dans la Jungle hormone, le Costaud est un malingre, une [Couverture du volume]fois démuni de ses prothèses. Personne n'est ce qu'il semble. Dans le Lait de la chimère, le bon Docteur Florida s'avère un redoutable mégalomane.

Mais c'est probablement dans la Voie terrestre que Robert Reed pousse le plus loin le jeu des apparences. Non seulement personne n'y est tout à fait ce qu'il semble, mais il arrive même que certains deviennent ce qu'ils ne sont pas parce qu'ils le semblent. L'habit, littéralement, fait le moine. Comment ? Je vous laisse le plaisir de le découvrir dans un des romans les plus tordus, les plus paradoxaux, d'un auteur qui fait commerce d'apories comme d'autres d'aphorismes.

Une autre qualité, à mes yeux, de Robert Reed, c'est que lorsqu'il fait usage d'un thème classique de la Science-Fiction, au besoin passablement éculé et pour cette bonne raison négligé depuis quelque temps par ses petits camarades, il le chamboule entièrement, le retourne comme un gant et fait si radicalement du neuf avec du vieux que le thème paraît reparti pour un long usage.

C'est ce qu'il réussit ici avec le thème des univers parallèles (1). Les vieux lecteurs de Science-Fiction, ou les collectionneurs acharnés, se souviennent certainement de Chaîne autour du soleil de Clifford Simak, publié dans la mythique collection "le Rayon Fantastique". Simak n'était ni le premier ni le dernier utilisateur de l'idée à peu près dépourvue de justification scientifique des mondes parallèles, mais il parvint à surprendre avec sa chaîne de Terres à peu près identiques à ceci près que la plupart étaient vierges de toute humanité et donc ouvertes à la colonisation infinie. Comme ces pionniers de l'Ouest exaspérés qui repartaient plus loin dès qu'ils héritaient d'un voisin à moins d'une journée de marche, les héros de Simak en quête de verdure à la Thoreau n'avaient qu'à changer d'Amérique puisque celles-ci avaient été littéralement fabriquées à la chaîne par un généreux démiurge.

Toutefois, l'impression qu'on éprouve en lisant ce roman de Simak relève d'un léger sentiment de frustration, voire d'ennui. Si toutes les Terres sont identiques, quand on en a vu une, on les a toutes vues.

Rien de tel à redouter avec Robert Reed. Toutes ses Terres sont différentes. Ce qui a une conséquence intéressante. C'est que la morale devient une dimension de l'espace. Enfin, de l'hyperespace. Il y a nécessairement des Terres idylliques et des Terres Infernales. Plus ou moins infernales.

Cette idée que la morale puisse être une dimension spatiale n'avait à ma connaissance jamais été exploitée. Je ne vous en dirai pas plus. Sinon que sur cet axe d'un nouveau genre, notre Terre semble occuper une position médiocre.

Comme d'habitude.

Notes

(1) Sur le thème des mondes parallèles, voir les préfaces de Charisme et de le Gnome, tous deux de Michael Coney au Livre de Poche.