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Gérard Klein : préfaces et postfaces

Anthologie composée par Ellen C. Herzfeld, Gérard Klein et Dominique Martel : l'Hexagone halluciné

Livre de poche nº 7101, décembre 1988

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On estime généralement que les années 70 commencèrent un peu après mai 1968. Elles en portèrent donc la marque qu'il sera difficile de négliger dans ce second volume de l'Anthologie de [Couverture du volume]la Science-Fiction française. Il couvre grosso modo la période 1971-1978. Cette influence n'est pourtant pas si immédiate. Elle n'est pas vraiment perceptible dans les nouvelles qu'on va lire. Peut-être l'est-elle davantage dans d'autres textes qui, parce qu'ils exprimaient de trop près l'air du temps, ont moins bien vieilli et n'ont donc pas trouvé place dans notre sélection.

Le point le plus important des années 70 semble être pour la Science-Fiction en France une extraordinaire expansion qui contraste avec le recul enregistré au cours des années 60. Existe-t-il ici un cycle long où les décennies fastes (les années 50 et 70) alternent avec des décennies de régression ou de stagnation (les années 60 et 80) ? C'est ce que révèleront peut-être bientôt les années 90.

Ou bien l'appétit de rêve — « Soyez réalistes : exigez l'impossible » — consécutif à Mai 1968, quelque peu refoulé et donc exacerbé par le conservatisme politique et social de la décennie Pompidou-Giscard, a-t-il trouvé son aliment dans la SF et fait de celle-ci la littérature de toute une génération, comme l'avancent certains ? Le rejet des dogmes et le goût de la théorie plus ou moins subversive ou novatrice ont certainement ouvert la voie. Le public de cette décennie fut en tout cas le meilleur que la SF ait jamais eu en France. Largement, mais non exclusivement, composé de lycéens et d'étudiants, il se montra curieux, voire audacieux, exigeant et fidèle. Mais les excès quantitatifs de l'édition finirent par éroder son enthousiasme.

L'influence de mai 1968, assez vraisemblable du côté du public, l'est sans doute moins du côté des éditeurs et des créateurs de collection qui s'appuyaient sur une tradition plus ancienne. Lorsque Gérard Klein donne le coup d'envoi en créant "Ailleurs et demain" chez Robert Laffont en 1969, il concrétise enfin un projet imaginé dans ses grandes lignes dès 1963. Lorsque Jacques Sadoul introduit en 1971 la SF dans la collection de poche "J'ai lu", il s'appuie sur le succès du précédent et exploite son expérience du genre acquise aux éditions Opta. Lorsque Robert Louit crée en 1973 chez Calmann-Lévy la collection "Dimensions", il souhaite, s'inspirant plus ou moins d'"Ailleurs et demain", donner une orientation littéraire à la Science-Fiction. Lorsque le "Livre de Poche" publie à partir de 1974 la première série de la Grande Anthologie de la Science-Fiction sous la direction de Jacques Goimard, Demètre Ioakimidis et Gérard Klein, ces derniers voient aboutir une entreprise lancée en 1966 et qui connaîtra de riches lendemains. Lorsqu'en 1977 enfin, Jacques Goimard introduira la SF chez Presses-Pocket sous la double forme d'une collection régulière et de la série de recueils "le Livre d'or" , mai 1968 est déjà bien loin.

La série qui aura eu le plus le look 68, "Chute Libre", publiée par les éditions Champ Libre de 1974 à 1978, se sera spécialisée en fait dans les œuvres mineures et dans les textes pornographiques alimentaires des vedettes du domaine.

Le fait, c'est que le succès des premiers venus a encouragé sans trop de réserve les éditeurs à créer sans mesure des collections et à sortir des titres, de plus en plus de titres. À la fin de la décennie, il se publiera plus de trois cents titres par an et il existera jusqu'à quarante collections simultanément. Cet excès manifeste se soldera par des disparitions en série qui n'entameront pourtant pas le public, à peu près stabilisé, ni le noyau dur des collections bien installées et bien dirigées.

Cette expansion prodigieuse, qui s'est effectuée pour l'essentiel à partir de la production anglo-saxonne, a-t-elle profité à la Science-Fiction française ? Sans aucun doute puisque comme le relevait Jacques Goimard en 1977 dans l'Année de la Science-Fiction et du fantastique, il parut cette année là plus d'ouvrages français que de titres anglo-américains. Cette statistique doit être relativisée en tenant compte de la place qu'occupait la collection populaire du Fleuve Noir et du nombre d'ouvrages destinés à la jeunesse, mais elle marque le chemin accompli depuis la fin des années 60 où la production nationale, Fleuve Noir excepté, ne trouvait pratiquement plus de débouché.

Tout n'est pas rose cependant pour les auteurs français. Aucun d'eux n'atteint le niveau de tirage des best-sellers anglo-saxons, Clarke, Van Vogt ou Herbert, qui s'établit à des centaines de milliers d'exemplaires, et rares sont ceux, comme Michel Jeury, la grande découverte de la décennie avec le Temps incertain (1973), qui peuvent rivaliser avec la moyenne des anglo-américains. Plus grave peut-être, les nombreuses tentatives effectuées pour créer des revues échouent, et Fiction demeure le seul débouché régulier pour des nouvelles, relayé pourtant à partir de 1975 et jusqu'en 1979 par un trimestriel, Univers, animé par Yves Frémion et publié par J'ai lu. Les débutants ont donc du mal à s'exprimer et ils seront les premières victimes du reflux du nombre des collections. C'est pour leur donner une autre chance que Philippe Curval publie en 1978 dans la collection "Présence du Futur" une anthologie qui fera date, Futurs au présent et qui révèlera de jeunes talents comme celui de Serge Brussolo.

L'effet de mai 1968 se fera sans sans doute le plus sentir à travers une sorte d'école lancée par Bernard Blanc et éditée par Rolf Kesselring dans la collection "Ici et Maintenant", qui exprimera l'air du temps écologique et politique mais qui n'échappera malheureusement pas à la naïveté et — paradoxe — au conformisme des idées et de la forme. Elle conduira hélas la majeure partie du public à se détourner d'une SF française injustement confondue avec cette unique tendance, certes bruyante et active, mais tenue avec quelque apparence de raison pour sermonneuse et ennuyeuse. On n'en trouvera aucun exemple direct dans cette anthologie, non par parti-pris mais du seul fait des exigences de la sélection. Ce mouvement épouse cependant un courant de moins en moins souterrain de l'opinion et il n'est pas vraiment prémonitoire que paraisse en 1977 une anthologie qui s'intitule Planète socialiste bien qu'elle décrive surtout l'avènement de dictatures militaro-ploutocratiques.

Notre intention n'est pas ici de dresser un palmarès et encore moins de proposer un historique. Il convient cependant de souligner que, durant cette décennie, la Science-Fiction française élargit et consolide ses positions et marque définitivement son autonomie par rapport à la Science-Fiction anglo-saxonne. Pour autant qu'on puisse généraliser, elle fait de moins en moins de place à l'aventure et à la prospective technologiques, et semble ne s'inquièter de l'avenir que par le biais de l'écologisme, généralement dans sa variété la plus pessimiste. Elle s'attache principalement à décrire des univers subjectifs, piégés ou altérés (très souvent par les conditions sociales), d'où le titre que nous avons donné à cette anthologie. La distance avec le fantastique ou avec certaines formes de la littérature générale s'amenuise. Place aux fantasmes.

Dans son ensemble, et jusque dans certaines de ses préoccupations apparemment politiques, la Science-Fiction française traduit bien au fil des années 70 le recours croissant à l'individualisme et la méfiance montante à l'endroit du futur, issus tous deux de la crise inaugurée en 1973 que connaît la société globale. Si elle subit encore l'influence d'un écrivain anglo-saxon, c'est de Philip K. Dick qu'il s'agit.

Le revers de la médaille, c'est que la forme va noyer de plus en plus souvent le fond et que les recherches stylistiques paraîtront parfois servir aux auteurs de substitut à une histoire bien construite. Mais vous ne trouverez pas d'exemples de tels errements dans la présente anthologie. Il est paru au cours des années 70, la décennie la plus féconde depuis la seconde guerre mondiale, suffisamment d'excellents textes pour que nous ayons eu l'embarras du choix et que tout le plaisir de la lecture soit pour vous.