Carnet de Philippe Curval, catégorie Chroniques

Est-ce que c'est bon M'sieurdames ⁇

Philippe Curval, billet du 27 avril 2010

Je me suis toujours demandé quelle était l'utilité de la phrase que prononcent les serveurs ou les maîtres d'hôtel dans tous les restaurants à la fin d'un repas (peu importe sa qualité) : « Est-ce que c'était bon M'sieurdames ⁇ ». Répondre « Non. » n'a guère de signification à moins d'entrer dans un débat que seuls le palais, le nez, à la rigueur l'estomac pourraient mener avec des arguments sérieux que son interlocuteur ne saurait apprécier, car ce n'est pas lui qui fait la cuisine. Le cerveau, lui, qui conserve une impression hédoniste générale ne donnera pas un avis négatif, ce serait vain. Dans le meilleur cas, il anticipera, demandera à voir le chef pour le dynamiser avec un flux de commentaires élogieux.

Vous me direz, voici un sujet qui n'a rien à voir avec la SF.

En examinant ce qu'on vous sert aujourd'hui dans votre assiette, on peut en douter. Je vous épargne la cuisine moléculaire qui nage dans les vapeurs de l'artifice, totalement spéculative, mais insignifiante. Non, le pire, c'est cette manie qui succède à l'ancienne “nouvelle cuisine” de tortiller deux trois légumes dans un plat autour d'un zeste de quintessence de viande, de poisson ou de tout autres mets qu'on a choisis ; le tout enrobé de filets décoratifs d'une sauce qui n'a rien à voir avec l'essentiel, à laquelle on rajoute deux grains de caviar, du pollen d'orchidée, un flocon de foie gras.

Si ce n'est pas de la SF, c'est de la cuisine opéra.

Mais, par exemple, quand vous demandez à votre marchand de légumes : « Il est bon votre chou-fleur ? », combien d'entre eux répondront « Non. ». Aucun, je pense, car ce serait presque un refus de vente.

De même, en allant dans une grande surface, peu de chance qu'on entende une opinion défavorable en demandant au vendeur si le roman qu'on a choisi est “bon”. En général, il ne l'a pas lu puisqu'il passe son temps à ranger des produits de toute nature dans les rayons ; que le soir, il est si fatigué qu'il préfère regarder un match de foot, qu'elle préfère déguster une série à la télé.

Pour établir une liaison entre cet avant-propos et le thème que je souhaite aborder, il me semble nécessaire de citer la chanson de Charles Trenet :

« Qu'y a-t-il à l'intérieur d'une noix ?
Qu'est-ce qu'on y voit
Quand elle est fermée ? »

Eh ! oui. Qu'y a-t-il derrière la couverture d'un livre quand il est fermé ? Vaste problème que le lecteur avide de certitude voudrait résoudre. D'abord, contrairement à la noix dont il faut casser la coquille et contrairement à un très vieil autrefois où il fallait un coupe-papier pour ouvrir les pages, le roman s'ouvre tout seul ; il est possible de surfer sur quelques têtes de chapitre. De surcroît, on peut lire en quatrième de couverture un texte qui brosse un tableau de l'ouvrage, alors que la noix ouverte ne présente qu'un cerneau dont le contenu, la saveur, la texture demeurent toujours énigmatiques. Il en est de même pour le cerveau de l'auteur, mais peu de lecteurs se risquent à lui casser la boîte crânienne.

Avant la fin du xxe siècle, ces textes étaient en général rédigés par les écrivains qui ne négligeaient pas les propos laudateurs, voire frôlaient le dithyrambe. Mais il y passait toujours quelque chose de fragile, l'intention qui avait présidé à la naissance du roman, le frisson premier de la création qui n'est malheureusement pas un gage de réussite. Aujourd'hui, les directeurs littéraires qui ont perdu beaucoup de poids dans les maisons d'édition au profit des commerciaux, assument souvent la rédaction de ces textes de présentation. Ils y mettent beaucoup d'eux-mêmes. Et surtout des autres. Car combien de quatrièmes de couverture se basent aujourd'hui sur la comparaison de l'auteur proposé avec une foule de maîtres en la matière auquel il est censé ressembler.

Par exemple, André-François Ruaud, dont je parlais à propos de la publication de Regarde le soleil de James Patrick Kelly, n'hésite pas à l'amalgamer à Ursula K. Le Guin et Robert Silverberg. Le même A-F.R qui n'hésite pas à répondre dans le “magazine” de la FNAC à propos de son travail : « Je pratique un défrichage de la production populaire (de masse). ».

Espérons qu'elle ne lui écrasera pas le pied.

Kelly se suffit à lui-même.

Quant aux romanciers de SF pour lesquels on appelle Dick à la rescousse, ils forment une population en voie d'accroissement exponentiel.

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Iain M. Banks : l'Essence de l'art

(the State of the art, 1991)

court roman et nouvelles de Science-Fiction

Philippe Curval, billet du 27 avril 2010

par ailleurs :

Voilà pourquoi je félicite Olivier Girard de présenter l'Essence de l'art comme un recueil de nouvelles d'Iain M. Banks, écrit par Iain M. Banks.

À cause de sa célébrité ? Gérard Klein, qui sait tout et son contraire, affirme à la fois que la faible vente des romans de Banks en France le navre, mais par contre, qu'en Angleterre, celui-ci rencontrerait sans peine 300 000 lecteurs. Qui croire, Klein ou Klein ?

En tout cas, je ne pense pas que l'Essence de l'art atteindra ces chiffres faramineux pour de la Science-Fiction en voie d'extinction progressive.

La vraie question se pose à nouveau : « Est-ce que c'est bon M'sieurdames ⁇ ».

Présenté comme l'unique recueil de nouvelles authentique et original de Banks, l'Essence de l'art reprend une novella publiée sous un autre titre, "l'État des arts", sous les auspices de Cyberdreams en 1996, traduite par Noé Gaillard et Valérie Denis (les initiés comprendront), à laquelle sont ajoutées sept autres nouvelles. Le tout entièrement retraduit par Sonia Quémener.

Pourquoi retraduction ? Parce qu'il fallait unifier le ton du recueil, dit l'éditeur ; parce que celle de Noé Gaillard était “à chier”, pleine de contresens, m'a affirmé un spécialiste bien connu dans le milieu pour sa franchise d'expression. Il est exact que Noé Gaillard, qui a eu le tort dans sa prime enfance de se prendre pour un écrivain, persiste malgré son âge.

Prenons deux passages similaires au hasard :

V.1 : « En tout cas, nous nous trouvions là, juste au-dessus d'une phase trois à la civilisation sophistiquée, presque classique, ayant atteint un degré de perfection tel qu'elle aurait pu sortir d'un livre – sinon d'un chapitre important au moins d'une note en bas de page. »

V.2 : « Bref, nous nous trouvions au-dessus d'une planète phase trois avancée très classique. On l'aurait crue sortie tout droit d'un manuel qui, à défaut d'un chapitre entier, lui aurait consacré une note en bas de page. »

De fait, la seconde traduction plus rapide, plus précise, moins infatuée comporte quarante-trois signes de moins que la première. La différence est à régler avec l'auteur. Je n'en tire aucune autre conclusion, faute d'avoir lu l'original.

Par contre, si dans sa nouvelle version, "l'Essence de l'art" acquiert une beauté supplémentaire, si cette novella est sans doute le plus accompli des textes de Banks sur le cycle de la Culture, le plus explicite quant à l'essence de son projet, le plus riche, peut-être, sur le sentiment de l'altérité, le reste du recueil s'apparente à de la plouc-fiction.

En dehors de "Descente", superbe nouvelle sur le trajet désespéré d'un homme et de son scaphandre de survie, largués sur une planète étrangère après un crash. Subtile réflexion sur l'en-dedans et l'en-dehors qui puise aux rapports spéculatifs d'un homme du futur et de son inconscient électromécanique.

À propos de l'altérité avez-vous lu le texte de Stephen Hawking sur les extraterrestres ?

D'après lui, « Ils pourraient exister, mais les Hommes feraient mieux d'éviter tout contact avec eux. » avertit l'astrophysicien britannique dans une émission diffusée dimanche 25 avril sur la chaîne Discovery Channel.

« Si les extraterrestres nous rendaient visite, le résultat serait plus important que quand Christophe Colomb a débarqué en Amérique, ce qui n'a pas bien réussi aux Amérindiens. Le vrai défi est de savoir à quoi les aliens ressembleraient ».

Encore un “génie” qui n'a jamais lu de Science-Fiction.

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