Carnet de Philippe Curval, catégorie Chroniques

Laurent Genefort : Points chauds

roman de Science-Fiction, 2012

Philippe Curval, billet du 11 juin 2012

par ailleurs :
Aliens en liberté

L'extraterrestre n'est pas seulement une invention de la Science-Fiction. D'Amon-Ra à Toutatis en passant par Zeus et Yahvé, tous les dieux, demi-dieux, anges ou démons, trolls ou djinns du passé, abolis ou récurrents, résultent de l'insatiable frénésie de l'Homme à s'inventer des êtres supérieurs, extérieurs, conjoints où parallèles à notre planète. On pourrait pourtant considérer que Lucrèce, au ie siècle avant J.-C., évoquant une possible existence d'êtres vivants dans l'espace (qui ne soient pas d'ordre divin), représenterait le premier auteur du genre à révéler leur existence, en ignorant tous les inconnus qui ont pu se l'imaginer dès l'origine de l'Humanité, sans que personne ne soit au courant puisqu'ils n'ont pas laissé de traces. Mais je ne vous wikipediarai pas plus longuement (article à propos des E.T. nul et non informé dans lequel il n'est même pas fait notion de Camille Flammarion, superbe auteur de la Pluralité des mondes habités). Entrons dans le vif du sujet.

Depuis Lucrèce, les extraterrestres ont fait des ravages à travers les médias du monde entier, comme dans les sociétés secrètes d'illuminés, en multipliant les apparitions les plus fantasques à bord d'engins qui se baladeraient dans l'espace sans même supporter une tasse. Comme disait à peu près Jacques Bergier : « Les soucoupes volantes n'existent pas. Ce sont des projections fantasmatiques réalisées par les extraterrestres qui habitent parmi nous pour faire croire qu'ils sont ailleurs. ». Par bonheur, aujourd'hui, l'ovni se tasse pour laisser la place à des vaticinations bien plus imaginatives.

J'avais déjà, il y a plus de trente ans, publié Regarde, fiston, s'il n'y a pas un extraterrestre derrière la bouteille de vin pour célébrer ces merveilleux fous spatiaux, ou méchants, ou tordus, inventifs ou libidineux, c'est selon. Laurent Genefort reprend le flambeau avec Points chauds, l'un des meilleurs livres écrits depuis longtemps au sujet des aliens (mot qui n'existe dans aucun dictionnaire français, mais ne soyons pas pédants). Déjà confirmé, avec plus de quarante-cinq romans en vingt-quatre ans, prolixe en bestiaires fantasques, planètes baroques et complots galactiques, Genefort passe ici au degré supérieur.

J'avais pressenti depuis longtemps qu'il lui restait un dernier effort à accomplir pour s'arracher à la nostalgie du space opera bien carré selon les normes pour produire un livre où chaque page dirait : « Voyez, ici j'invente “ma” Science-Fiction. ». Libéré de la pesanteur, il l'a écrit, avec quelle maestria ! Ne serait-ce d'abord que pour la forme adoptée. Soit une succession de courts récits à la chronologie discontinue, portés par cinq, disons six personnages qui forment un roman unanimiste (et non pas choral, les enfants de chœur n'ont rien à faire dans ces histoires). Léo, qui participe à Rempart, un organisme spécialisé dans le contrôle des aliens ; Ariadne, à Dortmund ; Prokopyé, un nénètse attaché au souvenir de la transhumance des rennes en Sibérie ; Camila, une humanitaire en Somalie ; Raji, chercheur dans un centre d'études à Berne ; enfin Darius, un profiteur.

D'où provient l'impérative nécessité de ces récits ? Les portes de Frederik Pohl se sont ouvertes soudain en quantité sur notre planète. On les nomme bouche ou tunnel de Lorentz. Il en sort à foison des aliens qui ne sont ni des envahisseurs ni des commerçants. Certains se présentent comme touristes qui voyagent de bouche en bouche à travers l'univers, d'autres comme réfugiés, gens du voyage, intelligences en quête de connaissance, pèlerins, quelques-uns sont à la recherche de planètes radioactives pour améliorer leur descendance, peut-être des criminels en fuite, on n'en sait rien. Nombre d'entre eux séjournent sur Terre durant un bout de temps, peu s'enracinent, la plupart ne font que passer. En effet, il naît d'autres bouches aspirantes par lesquelles on s'embarque vers de nouvelles destinations. Quelques audacieux terriens vont le tenter.

Cette intrusion massive provoque diverses réactions chez les Humains, du racisme bestial à la compassion humanitaire débridée, en passant par une gamme infinie d'attitudes, de comportements, de la frayeur à la curiosité, que Genefort s'emploie à décrire par touches subtiles. Sans négliger pour autant ce qui pénalisait parfois ses précédents romans, qui à Points chauds donne de la force : le goût d'une précision maniaque dans le détail vrai, qu'il soit d'ici ou d'ailleurs.

Car ces aliens ont des formes, des couleurs, des manies, des tempéraments d'une variété innombrable qu'il s'ingénie à visualiser avec verve. Il y en a d'énormes, des fluets, des furtifs, des durs, des mous, des spongieux, des sirupeux, des flottants, des statuaires et des médusoïdes, des qui nous ressemblent vaguement ou jouissent de membres en excédent. Ils parlent ou s'expriment autrement, nous comprennent ou font semblant. La seule chose qu'ils ne puissent faire, c'est d'ignorer les Humains, qui les traquent, les protègent, les exploitent, les massacrent, les étudient, en font des peluches pour leurs enfants.

L'originalité de Points chauds, c'est que Genefort ne verse dans aucun des travers habituels au traitement des aliens. Ni manichéisme, ni caricature, ni gore n'entachent son roman. De prime abord en le lisant, on évoque bien sûr une allégorie entre ce brusque envahissement d'étrangers incontrôlables et les flux migratoires en courbe exponentielle qui ne négligent aucun continent de notre planète. La création des ghettos. Ou l'invasion des touristes transformant les lieux les plus sauvages en stations balnéaires. Mais il se garde bien de développer l'une ou l'autre de ces métaphores au profit d'un ingénieux dispositif de narration où l'auteur s'interroge sur les relations complexes qui pourraient s'établir entre plusieurs sortes d'êtres pensants. Si différents les uns des autres que le gouffre mental ouvert dès qu'ils entrent en relation se révèle aussi vaste et profond que l'univers.

C'est un roman à lire d'une traite pour s'en imprégner, pour regretter qu'il ne soit pas plus long (ce qui est rare). Puis à reprendre en suivant l'itinéraire de chacun des personnages, des aliens, si bien dessinés par l'écriture que leurs crayonnés par Manchu font en comparaison presque pâle figure. À titre de complément, vous pouvez aussi vous offrir Aliens, mode d'emploi, du même auteur chez le même éditeur, bravo le Bélial’ ! C'est un manuel de survie en situation de contact extraterrestre qui ressemble plutôt au Genefort d'avant Points chauds.

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Jean-Pierre Andrevon : Nouvelles de poche

recueil de Science-Fiction, 2012

Philippe Curval, billet du 11 juin 2012

par ailleurs :

Et voici qu'en prime, je vous incite à commander, pour 12 € à la Clef d'argent, 528 récits minuscules de Jean-Pierre Andrevon, parus sous le titre Nouvelles de poche dans la collection "KholekTh". Ce ne sont pas, comme on pourrait le croire, des aphorismes, des pensées, des maximes ou même des sentences écologiques, mais de très jolis texticules, drôles, imaginatifs, variés où Andrevon se plaît à torturer tout ce qui lui vient à l'esprit pour en faire saigner l'absurde, l'humour. Rapports sexuels, religion, sécurité, pollution, alimentation, travail, animal, végétal, meubles en folie, prolifération de l'espèce humaine, climat déglingué, etc., tout y passe.

Et la Science-Fiction, me direz-vous, ousqu'elle est ? Partout, mais elle se dissimule dans les angles. Pour exemple, le numéro 205 : « J'ai constaté qu'une fois de plus, le couple d'anthropophages du troisième avait laissé les os du facteur remplaçant sur leur palier. » Ça ne vous laisse pas rêveur ?

Commentaires

  1. l'Amibe_R Nardsamedi 16 juin 2012, 16:09

    “Rêveur”, je ne sais pas… Ils auraient pu m'en laisser un morceau !

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