Carnet de Philippe Curval, catégorie Chroniques

John Maybury : the Jacket

(the Jacket, 2005)

long-métrage

Philippe Curval, billet du 29 août 2007

par ailleurs :
Souvenirs de vacances en pointillé
 

Ce n'est pas tout à fait fini, mais ça commence à finir.

En première mondiale, la révélation de la saison. Il nous vient d'un certain Philippe Taquet ou Tacquais ou Takè, qui est sans doute le responsable de la paléontologie, ou peut-être même le directeur du Muséum d'histoire naturelle, puisqu'il dit attribuer des budgets à des personnalités célèbres comme Jacques Monod. Mais cela, l'interlocuteur ne l'a pas précisé. Comme d'habitude, c'est à l'auditeur de se renseigner, pas au présentateur. Et je n'ai pas eu le goût de chercher l'orthographe de son nom et ses titres et sa gloire sur le site de France Culture. Où il dissertait allègrement des diplodocus dans une émission du samedi matin. La conversation vint tout naturellement s'articuler autour du Monde perdu. Soudain, pris d'inspiration, il s'écria : « Conan Doyle a toujours voulu écrire de la littérature. Mais il n'a réussi à se faire connaître qu'en publiant du Policier et de la Science-Fiction. ». C.Q.F.D., voilà la différence. N'est-ce pas beau l'analyse d'un vrai scientifique ?

Dans un domaine tout à fait différent, qui pourrait intéresser ceux qui ont eu la chance de voir l'Échelle de Jacob, l'excellent film d'Adrian Lyne qui file si vite sur les écrans qu'il est difficile de l'attraper au vol, j'aurais l'impertinence de recommander the Jacket de John Maybury. Il ne s'agit pas ici des conséquences de certaines expériences que la CIA a entreprises sur les combattants du Việt Nam, mais des suites mystérieuses sur l'organisme des soldats de quelques médicaments qu'on leur avait généreusement offerts pour affronter la guerre du Golfe.

S'ensuit l'histoire complexe et déconcertante d'un rescapé qui rencontre une femme et sa fille sur la route, leur vient en aide, se fait prendre plus tard en auto-stop par un dangereux personnage, s'évanouit, se réveille accusé du meurtre d'un flic, puis mis dans un asile pour folie. Chris Christophersson, psychiatre expérimental parfaitement convaincant, va tenter de le guérir en l'enfermant, drogué à mort, des nuits entières dans le tiroir réfrigérant d'une morgue.

Naturellement, je ne vous raconterai pas la suite. Sachez seulement qu'il s'agit d'une variation sur le voyage temporel qui pourrait évoquer le mythe d'Orphée appliqué à une fillette, mais traité à l'envers. Cela ne vous informe pas plus, j'en suis conscient, mais à l'heure où il est si facile de se procurer un DVD ou de se brancher sur une chaîne satellite, je vous recommande l'expérience. Car John Maybury est bourré de talent. Sa façon d'alterner un réalisme softgore avec des scènes éclairées en demi-teinte où la raison vacille devant les interrogations fantasmatiques qu'elles posent, révèle une maîtrise de la caméra, des acteurs, une intelligence du scénario assez rares, que la lumière d'asile illumine d'une sinistre exultation.

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Ronald Wright : Chronique des jours à venir

(a Scientific romance, 1997)

roman de Science-Fiction

Philippe Curval, billet du 29 août 2007

par ailleurs :

Parmi les livres de l'été, je retiendrai la Chronique des jours à venir de Ronald Wright, paru chez Actes Sud. D'abord parce qu'il est plaisant de constater que les éditeurs classiques s'intéressent de plus en plus à la SF et qu'ils la publient sous le manteau. Ensuite parce que je suis amateur de romans catastrophistes anglais, qui sont à la Science-Fiction ce que la sauce à l'ail est au homard. C'est dire qu'ils nappent la SF d'un arôme de fantastique.

Celui-ci n'innove guère dans le domaine spéculatif, mais l'écriture sarcastique de Wright — né en Angleterre, réfugié au Canada —, son invention verbale, son humour corrosif à l'égard de son pays natal, ses emprunts astucieux à Wells font de la Chronique des jours à venir un texte attachant, très proche des meilleurs Ballard du type le Monde englouti. Car il sait tenir le juste écart entre la tension émotionnelle et le pur roman d'aventure, la précision méticuleuse et l'égarement imaginatif. Pour ceux qui voudraient en apprendre davantage, je leur recommande la lecture de ma chronique dans le Magazine littéraire (publicité gratuite) qui paraîtra fin septembre.

Philippe Curval → mercredi 29 août 2007, 10:32, catégorie Chroniques

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Murakami Haruki : la Fin des temps

(世界の終りとハードボイルド・ワンダーランド, 1985)

roman de Science-Fiction

Philippe Curval, billet du 29 août 2007

par ailleurs :
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Pour terminer dans le pur bonheur, quelques lignes sur un Murakami Haruki que je n'avais pas lu, la Fin des temps. Autant ses premiers romans, tel la Ballade de l'impossible, laissent apparaître en filigrane la veine qui sera la sienne plus tard, ce mélange subtil de naturalisme sensoriel — rehaussé d'aperçus bizarres, comiques, biscornus sur le décor, l'actualité, les choses, les gens — et de fantastique moderne plein d'imprévus ; autant la Fin des temps marque une période de transition où se dessine nettement son intention d'écrire un roman de Science-Fiction qui ne dit pas son nom. D'ailleurs, à plusieurs reprises, il fait allusion au genre sans le condamner ni le louer. Afin d'introduire d'une façon explicite l'idée qu'il travaille au fil du rasoir sur une fiction spéculative dont le ton oscille en permanence entre la conjecture et l'allégorie, entre le suspense orwellien et la Fantasy réaliste.

Il s'agit d'un roman composé d'un double récit alterné d'un chapitre à l'autre. Dans le premier, un personnage sans mémoire débarque dans une ville entourée de remparts infranchissables d'où il lui sera interdit de sortir sous peine de‥? On le prive de son ombre et lui confie le soin de lire à la bibliothèque les vieux rêves dans les crânes de licorne.

Dans le second, un programmateur travaillant pour System va enregistrer des valeurs numériques établies par un savant, en procédant au “shuffling”. Soit une méthode qui permet de coder les informations d'une manière indéchiffrable en les faisant passer d'un hémisphère cérébral à l'autre. Les pirateurs de Factory vont chercher à lui arracher son secret, tandis que les ténébrides le traquent dans un Tōkyō nocturne et très convaincant.

Peu à peu, le pressentiment que les deux histoires vont se rejoindre s'affirme. Toute l'habileté vertigineuse de Murakami consiste à brouiller les pistes à travers des dialogues époustouflants de drôlerie et d'invention, des séquences dignes des meilleurs films noirs. Mais surtout grâce à son regard à focale variable sur la société japonaise (à bien des égards la nôtre), qui sait grossir le trait pour faire apparaître au grand jour la monstrueuse stupidité de nos tares et de nos mœurs en même temps qu'une plaisante approche de leur côté burlesque, cocasse, sexuel, excentrique, gourmand, fantasque, etc.

Bref, un roman de SF d'une schizophrénie à couper le souffle qu'on peut mettre entre les mains de l'amateur le plus exigeant.

Ah ! Pour terminer, je viens de recevoir mon dernier courrier hebdomadaire me proposant la convention Obsèques. Si j'y souscris, j'aurais droit à un téléphone portable. Amusant, non ?

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