Carnet de Philippe Curval, catégorie Général

Dégazage

Philippe Curval, billet du 23 avril 2005

Les récits de l'espace peuvent être désopilants. Celle des astronautes de Discovery, par exemple, dont les chiottes ont été obstruées par la glace. Leur aventure m'a laissé songeur. Pas à cause du ridicule de la situation qu'il est facile de reproduire en appartement sans même disposer d'un bras articulé pour y remédier lorsque le plombier est absent. Non plus parce que l'erreur est humaine, puisque l'humain est erreur. Cette histoire de cuvette des W-C bouchée m'a laissé entrevoir des perspectives inouïes sur l'origine de l'Humanité. Elle m'a permis de soupçonner la finalité de notre absurde et surprenant périple d'êtres pensants au sein du cosmos.

Il faut savoir que notre productivité quotidienne de déchets n'est pas dérisoire. Ainsi nous exsudons une quantité de sueur appréciable, nous urinons au moins un litre et demi ; en ajoutant 350 grammes de matières fécales plus quelques autres sanies dont je tairai le nom, c'est environ deux kilos que nous évacuons chaque jour, ce qui nous place au bon rang des pollueurs naturels, écologistes y compris.

Imaginons l'un de ces fameux, immenses, navires-étoiles chers à la Science-Fiction dont l'équipage est constitué de quelques milliers d'individus qui sont destinés à faire naviguer l'astronef, à la réparer, à l'entretenir en attendant de peupler une planète lointaine où ils atterriront dans quelques dizaines, voir quelques centaines d'années en raison de la vitesse de la lumière qu'une équation interdit de dépasser.

Rien n'empêche de penser qu'un incident aussi désagréable que celui de la navette spatiale américaine ne se produise au démarrage. Alors, essayez de vous représenter la taille du morceau de glace qui se sera formée au terme du voyage. Un équipage de 5 000 Hommes, traversant l'espace durant trois siècles, produirait une boule d'environ 115 tonnes, soit un astéroïde de très bonne taille.

Mais poussons plus loin la supposition. Cette fois, imaginons de gros extraterrestres en voyage d'agrément à qui la même aventure arrive. En supposant qu'ils soient très négligents, ils peuvent laisser croître sur le flanc de leur vaisseau un bloc de 6,521 tonnes, la taille de notre globe terrestre. En effet, dans l'espace, le frottement n'existe pas et cet encombrant colis ne ralentirait pas leur avance, même si la masse cachée de l'univers les détournait un peu de leur trajectoire.

Un jour, en arrivant dans notre système solaire en formation, l'excroissance qu'ils avaient négligée commence à les gêner — pour des raisons de commodités… Or le paysage semble idéal pour un dégazage. Ils la détachent donc comme le ferait un bousier fatigué. Bientôt, celle-ci fond sous les feux du soleil et s'arrondit sous l'action des lois universelles de la gravitation. Les différentes matières se réorganisent et se séparent, forment les océans et les continents.

Sur cet excellent humus, l'évolution transforme peu à peu les micro-organismes hibernés dans les gogues cosmiques. Des milliards d'années plus tard, l'Homme apparaît.

Quoi ? vous ne croyez pas à ma fable. Je ne comprends pas. On vient bien de retrouver une bulle du pape Jean XXII, mort en 1334, dans une fosse d'aisance du Tarn et Garonne.

Commentaires

  1. Waterairsamedi 11 juin 2005, 20:34

    Excellente révision de la Genèse. Enfin quelqu'un qui ose des hypothèses sur nos origines. Mais grâce à toi, on voit que ces deux kilos quotidiens ne servent pas qu'à faire de l'humus ; ils nourrissent des esprits créatifs.

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