Carnet d'Ellen Herzfeld, catégorie Lectures

Jack McDevitt : Coming home

roman de Science-Fiction inédit en français, 2014

Ellen Herzfeld, billet du 4 janvier 2015

par ailleurs :

Quand un nouveau livre dans la série Alex Benedict de Jack McDevitt arrive, il est immédiatement mis sur ma pile “à lire”. Voici donc le dernier en date : Coming home. Il s'agit du septième roman(1) relatant les aventures de l'antiquaire concerné, domicilié sur Rimway, planète à des années-lumière de la Terre, à une époque située neuf mille ans dans l'avenir. Le narrateur, c'est Chase Kolpath, assistante et pilote d'Alex.

Alex est fasciné par les objets archéologiques, et en particulier par ceux qui remontent à notre époque lointaine, considérée comme l'âge d'or de la conquête spatiale, le tout début de ce qui a permis à l'Homme de s'étendre à travers la galaxie et de développer la société paisible et prospère de la Confédération. Mais entre notre temps et le leur, il y a eu plusieurs périodes noires, où la civilisation a failli s'écrouler complètement, et où les pillages et les destructions divers ont abouti à la perte d'une grande partie de l'héritage humain. Les rares informations retrouvées, en particulier dans les quelques livres dont des morceaux ont survécu, laissent penser que le contenu d'un musée consacré à la conquête spatiale et situé à l'origine en Floride, dans une zone maintenant complètement sous les eaux, a été sauvé et déplacé d'un endroit à un autre, en fonction des circonstances, souvent dans le plus grand secret pour le sauvegarder au mieux. Il contenait une collection tout particulièrement précieuse de l'époque Apollo et donc des tout premiers voyages dans l'espace. Mais les détails sur la dernière cache manquent cruellement et personne ne sait plus où ces objets se trouvent, ni même s'ils existent toujours.

Il y a, comme souvent chez McDevitt, deux fils narratifs qui se déroulent en même temps. Le premier concerne la recherche d'artefacts archéologiques, thème récurrent dans cette série. Marissa, cliente d'Alex, lui apporte un objet retrouvé dans les affaires de son grand-père, Garnett Baylee, archéologue bien connu décédé il y a un moment déjà. Alex reconnaît qu'il s'agit d'un appareil remontant à l'époque d'Apollo et il est donc très étonné que le grand-père n'en ait jamais parlé à personne. Il pense surtout que Baylee a peut-être trouvé l'endroit où les objets du musée perdu ont été cachés. Mais pourquoi n'en avoir jamais fait la moindre mention, alors que, si c'était bien le cas, il s'agissait d'une découverte archéologique majeure ? Il part donc à la recherche d'informations sur Baylee et ses activités pendant ses dernières années, sans l'espoir de retrouver la cache mystérieuse, et la piste commence sur la Terre. C'est l'occasion pour l'auteur de nous montrer ce qu'est devenue la planète mère, qui n'est maintenant plus qu'une parmi les centaines qui sont habitées par les humains. D'où le titre du roman, d'ailleurs.

Le deuxième fil est une suite directe du précédent roman, Firebird, dont j'ai parlé il y a trois ans. Le Capella, vaisseau de croisière disparu dans une anomalie de l'hyperespace onze ans plus tôt, doit réapparaître bientôt dans l'espace normal, mais seulement pendant quelques heures. Ce sera l'occasion de débarquer quelques-uns des deux mille et plus voyageurs du vaisseau, mais le délai sera certainement insuffisant pour secourir tout le monde. La particularité de l'affaire est que le temps s'écoule différemment dans l'espace normal, où il s'est passé onze ans, et dans l'hyperespace corrompu où le Capella est coincé, où il ne s'est passé que quelques semaines. Les calculs ont montré que, si rien n'était fait, le Capella referait surface dans l'espace normal environ tous les cinq ans, toujours pendant quelques heures. L'écart temporel se creusera ainsi de plus de plus en plus entre les voyageurs et leur famille, leurs connaissances, la société tout entière. L'objectif est donc non seulement de débarquer un maximum de personnes en très peu de temps mais de faire quelque chose pour stabiliser le vaisseau afin qu'il ne replonge pas. Chase, en tant que pilote, va faire partie de la flotte de secours. Elle et Alex sont personnellement concernés par l'affaire parce que ce sont eux qui ont découvert que nombre de vaisseaux disparus sans explication étaient en fait coincés dans une anomalie de l'hyperespace (c'est l'histoire de Firebird) et aussi parce que Gabe, l'oncle d'Alex et ancien patron de Chase, se trouve à bord.

On pourrait penser que les deux histoires se rejoindraient quelque part avant la fin du roman, mais non, elles sont indépendantes jusqu'au bout, ce qui est à mon sens un peu inhabituel dans un univers romanesque, et un peu décevant pour la lectrice que je suis. C'est pourtant bien ce qui se passe dans la vraie vie. Les événements disparates auxquels on participe ne sont finalement que rarement liés, au point que, quand cela arrive, on le remarque et considère que c'est le résultat d'une coïncidence extraordinaire. D'ailleurs, quand de telles “coïncidences” qui arrangent bien l'intrigue sont trop présentes dans un roman, je suis la première à critiquer… Faudrait savoir, me direz-vous. En effet. Ici, j'aurais bien aimé qu'il y ait un lien, un quelque chose qui rattache la recherche de l'origine de l'objet antique trouvé par Baylee à l'histoire du vaisseau Capella, mais nenni, McDevitt en a décidé autrement. C'est au fond dans la droite ligne de ses autres textes où l'on retrouve souvent cette façon de faire. Autre constante, positive pour moi : l'absence de bruit et de fureur, le manque de véritables “méchants”, la rareté des scènes violentes, dans un monde qui se porte plutôt bien, après des hauts et des bas — qu'on nous raconte succinctement en passant — pendant des millénaires. Une vision optimiste de l'avenir qui change agréablement des dystopies à répétition qu'on nous assène. Et de la noirceur et de la violence parfois gratuite qui semblent nécessaires pour plaire aujourd'hui.

Il n'en reste pas moins que les deux histoires, après un début trop lent à mon goût (il faut bien dépasser le premier tiers pour que l'action se déclenche vraiment), arrivent à un dénouement satisfaisant. Si j'ai pris plaisir à cette lecture, c'est certainement parce que je suis la série depuis le début, et que les précédents romans complètent le contexte général et ajoutent de la profondeur aux personnages que j'ai appris à connaître. Je déconseille fortement de lire ce texte isolément ; il faut au moins avoir lu Firebird pour l'apprécier, et de préférence tous les autres, dont celui-ci n'est de plus pas le meilleur, mais qui s'inscrit dans un tout. Finalement, ça se lit un peu comme un épisode d'une série télévisée. L'ensemble est souvent supérieur à la simple somme des parties.

J'ajouterai qu'au début de ma lecture, j'ai été de nouveau perturbée par l'incompréhensible familiarité de beaucoup des choses de cette société placée si loin dans l'avenir. J'ai déjà largement fait état de ce sentiment dans mon billet pour Echo ainsi que dans une note à la fin de celui de Firebird où j'évoque la critique de Russell Letson parue dans Locus en décembre 2011. Et, depuis, j'ai lu une entrée du blog de Charles Stross : On the lack of cultural estrangement in SF, où il parle du même problème et cite spécifiquement, mais pas uniquement, les romans de cette série. Comme je l'ai écrit précédemment, l'art de l'écriture d'une SF placée dans un avenir lointain est de trouver un équilibre entre l'absence fâcheuse de ce cultural estrangement (que je traduirais vite fait par "sentiment d'éloignement culturel"), qui rend peu vraisemblable l'avenir lointain imaginé, et sa présence portée à l'extrême qui fait qu'on n'y comprend plus rien, qu'on ne peut s'identifier aux personnages, ni avoir le moindre ressenti quant à leur devenir.(2) McDevitt pèche un peu trop dans la première direction, peut-être tout à fait volontairement, car il écrit dans les premières pages de Coming home, en parlant de notre époque, « …c'était le moment des grandes découvertes scientifiques. Ceux qui ont vécu cette période ont vu des changements incroyables. Des nouvelles technologies arrivaient sans cesse. Les maladies qui étaient mortelles quand vous étiez petit avaient totalement disparu quand vous aviez vous-même des enfants. Pas comme aujourd'hui, où la stabilité règne. Ou, comme le diraient certains physiciens, l'ennui. » [c'est moi qui traduis]. Il nous dit, entre les lignes, qu'il a conscience du problème mais qu'il y a une explication interne logique et historique. Je ne suis pas convaincue du tout. Je préfère de loin l'analyse, disons littéraire, de Russell Letson.

Malgré ces quelques bémols, la balance reste très largement en faveur de McDevitt, de ses personnages sympathiques et de leurs aventures interstellaires pacifiques.


  1. Après a Talent for war, Polaris, Seeker, the Devil's eye, Echo & Firebird, et avant Octavia gone.
  2. Voir mon billet sur the Golden age trilogy de John C. Wright.

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