Carnet d'Ellen Herzfeld, catégorie Lectures

Jeanne-A Debats ; Jean-Claude Dunyach : Destination univers

anthologie de Science-Fiction, 2012

Ellen Herzfeld, billet du 6 octobre 2012

par ailleurs :

Une fois n'est pas coutume, j'ai lu un livre en français. Il s'agit de l'anthologie Destination univers et je peux dire que c'est de la Science-Fiction pur jus. Des textes très “classiques” et d'autres plus osés, pour un ensemble finalement assez cohérent et solide. Certes, tout ne m'a pas plu, mais je reconnais que dans ce cas, c'est plus une question de goût personnel que de qualité des textes. Lors de la lecture, j'ai jeté sur le papier… euh, sur l'écran, quelques impressions à chaud après chaque nouvelle. Je vous les livre ici, quasi brut de fonderie.

Thomas Geha : les Tiges

Les Humains ne sont plus que des instruments dans une guerre qui oppose Tiges et Ailaidarlis. Pas mal, mais un peu confus au début et quelques phrases mal foutues. L'histoire m'a paru un peu “basique” et manquant de subtilité. Il s'agit d'une guerre dans l'espace, somme toute parfaitement classique, mais il y a heureusement des extraterrestres végétaux assez originaux et que l'auteur s'évertue avec un certain succès à rendre “autres”. Ils m'ont fait penser — de ma part, c'est un compliment — aux "Vignes" qu'on trouve dans deux romans de Nancy Kress, Crossfire & Crucible. En fait, cette nouvelle se passe dans l'univers du roman la Guerre des Chiffonneurs que je n'ai pas lu et cette lacune explique peut-être mon impression de manque d'épaisseur et de profondeur.

Anthony Boulanger : Évaporation et sublimation

Du grandiose au-delà du cosmique. Des oiseaux de feu gigantesques qui vivent dans les étoiles et s'en nourrissent. Ce qui n'arrange pas les affaires des Humains, qui sont moins que des fourmis en comparaison, et dont les lieux de vie sont balayés sans que les êtres immenses s'en aperçoivent même. Les hommes se rebiffent, et comme ça se passe dans un avenir lointain, ils ont les moyens de contrer ces bestioles. Mais comme ils n'ont rien compris à ce qui se passait vraiment, le résultat final est l'anéantissement de tous les protagonistes. Un exercice de style impressionnant, avec une dimension plus poétique qu'astronomique, parfois carrément biblique…, mais il n'aurait pas fallu que la nouvelle soit plus longue car l'élément “humain” est réduit à peu de chose, et mon sense of wonder était sur le bord de l'overdose.

Célia Deiana : le Bal des méduses

Pas mal. Un enfant s'est introduit clandestinement dans un vaisseau, a été pris et mis en prison, où sa situation s'avère être bien meilleure que sur sa colonie d'origine. Puis tout bascule, et il comprend que le vaisseau a été attaqué. Il trouve un survivant, un apprenti Vogueur, Humain comme lui, venu là pour accomplir un voyage initiatique dans l'espace. Il prend finalement la place du Vogueur et part on ne sait où faire on ne sait quoi. Les chapitres sont entrecoupés de textes qui semblent être les pensées de quelqu'un… qui ? Sur le coup, je n'ai pas compris. Peut-être le jeune Vogueur ou son remplaçant. Ce n'est pas clair. Mais le texte n'est pas mal écrit, avec de l'ambiance, et le point de vue de l'enfant est intéressant et bien réalisé.

Anne Fakhouri : Sleeping Beauty

Olbomce est un génie en bioélectronique, et son jeune fils idem. Il a choisi, après une vie agitée, de rester désormais loin de tout, dans son vaisseau Sleeping Beauty, avec son fils comme seul compagnon. On apprend petit à petit des choses sur son passé, sur l'univers compliqué et violent où il vit, la traîtrise (?) de son ex-femme, sa relation avec une de ses créatures, biodroïde presque (et peut-être complètement) humaine. En fait, cette nouvelle me donne l'impression d'être le résumé d'un roman où toute cette complexité aurait de la place pour s'épanouir. Manifestement, l'auteur a du répondant, mais en l'état, je n'ai pas trouvé le texte abouti.

Olivier Gechter : le Gambit de Hunger

Amy, chasseuse de prime, arrive à capturer Hunger, pirate extrêmement dangereux et habile. Mais le temps de le ramener sur une planète où elle pourra le remettre à la police et toucher sa prime, le prisonnier réussit à prendre le contrôle de son cerveau. L'histoire est racontée en alternance par l'IA du vaisseau et à la troisième personne du point de vue d'Amy. Curieusement je n'ai pas aimé du tout et je n'arrive pas à mettre le doigt sur la raison. J'ai vu venir le coup du contrôle psychique dès les premières scènes où Hunger apparaît. Les scènes en question sont répétées ensuite trop souvent, du moins quand on a déjà compris. On pourrait penser que l'histoire raconte comment Amy arrive à s'en sortir, à déjouer le méchant qui détient un pouvoir exorbitant. Mais pas du tout. Elle est victime jusqu'au bout. Pas de retournement, rien. C'est Hunger le plus fort, du début jusqu'à la fin. Finalement, le héros potentiel c'est l'IA, qui pourra peut-être prendre le dessus, mais rien n'est moins sûr, et la suite est laissée à l'imagination du lecteur. Pour le reste, c'est correctement écrit et bien ficelé. Mais j'ai trouvé l'histoire pénible. Trop proche de la vraie vie sans doute.

Aurélie Ligier : le Marathon de trois lunes

C'est l'histoire d'un voyage vers une planète que les Terriens espèrent coloniser, mais qui tourne mal en route avec une épidémie qui rend violent et qui tue de façon peu ragoûtante. Le capitaine n'arrive pas à prendre les bonnes décisions — d'ailleurs, je n'ai pas bien compris laquelle il aurait dû prendre. Il se retrouve à devoir courir un marathon épique où seul le vainqueur aura droit au retour à une vie normale ; les autres seront soldats dans une guerre qui semble mal partie. Ça commençait mal : des médecins qui regardent des malades « avec dégoût »… Puis de nombreuses considérations médicales peu crédibles (mais bon, sur ce point, je suis biaisée). Ensuite, une violence des propos à répétition qui n'auguraient rien de bon. Mais finalement, ça s'est amélioré, et l'histoire est même devenue intéressante avec un protagoniste ambigu assez bien campé. Pas trop long et pas trop court, pas inutilement alambiqué, bref, pas mal, même si je n'ai pas tout suivi, à supposer que ce soit suivable. J'ai la nette impression que toutes ces nouvelles laissent une (trop) bonne part à l'imagination du lecteur.

Laurent Genefort : les Dieux bruyants

Une planète en cours de colonisation par les Hommes, qui ne pensent qu'à exploiter les ressources trouvées sans se préoccuper des êtres pensants qui vivent en symbiose avec la nature. Ces êtres, les Pilas, sont petits avec un aspect entre araignée et pieuvre, et ils communiquent entre eux par des changements de couleur sur leur surface. Deux d'entre eux se mettent en tête de rencontrer les “dieux bruyants” pour apprendre ce qu'ils peuvent auprès d'eux. Et ce malgré les histoires que racontent les différents clans sur le non retour de ceux qui ont suivi ce chemin. La première partie de la rencontre se passe plutôt bien car, par chance, ils tombent sur Alexis, qui ne leur veut pas de mal et qui a, de plus, un appareil pour communiquer avec eux. Il est employé par une corporation alors qu'en fait c'est un espion d'une autre… mais en réalité, c'est un membre d'une secte qui cherche son (ou ses) messie(s). Puis ça tourne mal à cause d'un groupe d'enfants qui passe près d'eux par hasard et l'un des Pilas est tué. Alexis va alors renier les Hommes et trahir ses coreligionnaires pour sauver la civilisation des Pilas. L'histoire est un peu simpliste et comporte trop d'explications et pas assez d'action mais j'ai surtout eu l'impression que Genefort avait besoin de plus de place pour développer ses récits. Quoi qu'il en soit, il en sort fort sympathique à titre personnel.

Olivier Paquet : le Khan Mergen

Une planète habitée par des Mongols qui vivent dans des villes nomades qui sillonnent la plaine sur des pattes mécaniques, avec la ville entière sur son dos. Relents du Monde inverti… Tout le monde est sous l'influence d'un "conditionnement culturel" qui les rend dociles et qui leur impose un mode de vie bien réglé, avec des tas d'interdits et d'obligations — une forme de religion en quelque sorte. Une partie de ce conditionnement consiste à ne rien savoir de l'espace et des autres mondes de l'Expansion de l'Humanité. Certains, très rares, arrivent à transcender le conditionnement et à se faire accepter comme élève à bord du Melkine, vaisseau d'exploration à vocation scientifique, si j'ai bien compris. Kushi est justement un de ceux-là. Il revient, après huit ou quinze ans d'absence, selon son référentiel, sur la planète Aral, à Oulan-Bator, sa ville natale, pour voir ce qui se passe avec une nouvelle recrue qui est censée partir sur le Melkine. Il apprend qu'il n'y a personne en attente de départ et que l'autre ancien du Melkine, Eustache, qui a été son maître, est mort. C'est une histoire compliquée, et pour cause car ce texte fait partie d'un cycle, avec une trilogie en préparation. Cela dit, je n'ai pas été enthousiasmée par cette nouvelle que l'auteur présente peut-être comme "hors-d'œuvre", avant le plat principal à venir. J'ai trouvé les gens et l'histoire trop artificiels, le style poussif avec parfois des phrases incompréhensibles (pour moi du moins). Je sens aussi (à tort ou à raison) qu'en arrière-plan — dans le monde de la future trilogie —, l'histoire doit surtout tourner autour de luttes de pouvoir et d'intrigues de palais. Ce n'est pas le genre de texte que je préfère.

Ellen Herzfeld → samedi 6 octobre 2012, 16:09, catégorie Lectures

Commentaires

  1. rogerdimanche 23 juin 2013, 18:19

    Je ne suis pas d'accord sur le texte de Paquet. Je trouve que c'est un univers saisi dans ses contradictions, et qui de plus se situe ailleurs que dans les chromos habituels. L'opposition entre les deux mondes est classique mais correcte. En fait plus qu'une nouvelle (réussie), c'est le début d'un roman (à suivre) et dont on peut craindre le côté apprentissage du héros. Mais la nouvelle ou le prégénérique est attachant. Donnons-lui sa chance.

  2. Ellen Herzfelddimanche 23 juin 2013, 18:53

    @roger — Je n'ai pas dit que la nouvelle était “mauvaise”, mais qu'elle présageait un (ou plusieurs) roman, possiblement très bien, mais qui risquent de ne pas correspondre à mes goûts. Mes notes de lecture ne sont pas à prendre comme des “critiques littéraires” mais comme des commentaires très personnels et à chaud.

    Le risque d'être mal comprise par des gens que je connais explique ma réticence à écrire ici sur autre chose que des textes anglo-saxons, souvent non traduits quand j'en parle. Sauf, bien entendu, quand j'ai beaucoup aimé. Mais même dans ce cas, j'ai l'impression que j'arrive souvent après la bataille et que d'autres ont déjà largement commenté les textes en question. C'était le cas de Points chauds de Laurent Genefort, et de Vestiges de Laurence Suhner, deux romans qui m'ont bien plus mais sur lesquels je n'ai rien écrit. Par flemme aussi, il faut le dire.

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