Carnet d'Ellen Herzfeld, catégorie Lectures

Stephen Baxter : Transcendent (Destiny's children – 3)

roman de Science-Fiction, 2005

traduction française en 2008 : Transcendance

Ellen Herzfeld, billet du 3 avril 2010

par ailleurs :

Transcendent est le troisième volume de la série Destiny's children. Comme les deux précédents, on suit deux fils narratifs en parallèle. Cette fois, on se retrouve tantôt au milieu du xxie siècle (demain, en somme) et tantôt dans cinq cent mille ans.

Le fil d'Ariane des trois romans, c'est la famille Poole. Ici, le narrateur, né à la fin du xxe siècle, c'est Michael Poole, neveu de George rencontré dans Coalescent, et dont le nom est toujours connu et vénéré dans le monde de la guerre galactique d'Exultant, bien qu'il ne soit pas toujours clair s'il s'agit bien de ce Michael Poole-là ou d'un de ses descendants.

Michael Poole, en 2047, est ingénieur, fasciné depuis l'enfance par l'idée de l'aventure spatiale, et des vaisseaux qui la permettrait. Sa vie est compliquée et triste : il est veuf, entretient des relations difficiles avec son fils Tom, avec son frère John, avec sa mère, la sœur de George Poole. Et la planète va de mal en pis, les prémisses qu'on entrevoit actuellement ou qu'on nous annonce se matérialisent en une succession de catastrophes et de calamités. Les eaux montent, le pétrole disparaît. Les dirigeants des différents pays prennent enfin des initiatives qui, sans pouvoir renverser la tendance sur le plan écologique, cherchent au moins à minimiser les effets inéluctables. D'autant qu'on a, entre-temps, découvert une source d'énergie propre et inépuisable. Une Amérique qui a, de gré ou de force, abandonné la voiture particulière permet de décrire quelques belles scènes futuristes qui rappellent la SF des années cinquante. Toute la vie économique et sociale est certes bouleversée, mais la technologie est toujours présente et même très avancée avec, en particulier, le développement de l'intelligence artificielle véritable devenue un élément banal de l'environnement de tous les jours ; on n'est pas du tout en train de plonger dans un nouveau Moyen-Âge. C'est en quelque sorte comme si Baxter, très pessimiste et grave comme d'habitude, voulait nous montrer ce qui pourrait se passer dans le meilleur des cas… On voit les gouvernements, qui on prit conscience qu'il y avait un problème au niveau du climat, de l'écologie, des ressources naturelles, réagir comme le font très souvent les politiques, avec une certaine vue du petit bout de la lorgnette, c'est-à-dire en agissant à court terme afin que, globalement, la vie continue plus ou moins comme avant, mais sans s'attaquer aux questions de fond tant qu'elles ne sont pas dans leur figure. Et son héros, Michael Poole, va presque tout seul entreprendre d'essayer d'aller plus loin.

Le deuxième fil narratif se passe dans un demi-million d'années. Alia, très jeune fille d'une trentaine d'années, à peine sortie de l'enfance, vit sur un vaisseau spatial, le Nord, parti de la Terre du temps où ceux-ci avançaient à une vitesse ridicule, moindre que celle de la lumière. Le voyage, prévu pour durer des générations, a perdu son objectif premier quand il s'est trouvé rattrapé par des vaisseaux partis bien après lui, mais qui avancent bien plus vite. Il est devenu une sorte de ville flottante que les habitants considèrent comme leur “chez eux”, et qui est intégré au Commonwealth (on sent quelque part que l'auteur est britannique…), sous la houlette d'une entité multiple et presque posthumaine — mais pour l'instant toujours humaine —, la Transcendance, qui cherche à réunir tous les descendants, divers et variés, des Hommes de la Terre. Voilà qu'Alia se trouve arrachée (en douceur, certes) à sa famille, car elle a été choisie pour devenir, peut-être, après une période de formation et si elle fait ce choix, une Transcendante. Situation qui rappelle celle de la sœur de George Poole dans Coalescent. Parmi les rites que suivent les Hommes de cette époque, il y a quelque chose de très particulier, le Witnessing (l'Observation en V.F.) qui consiste à suivre la vie, les joies et les douleurs, d'un être humain du passé. Une technologie dont on ne nous dit trop rien, sauf qu'elle est “inimaginable”, permet de visualiser l'ensemble de la vie de cette personne morte il y a longtemps, et de repasser à volonté tel ou tel épisode. Celle attribuée à Alia n'est autre que Michael Poole.

Évidemment, comme les deux époques sont séparées de cinq cent mille ans, il faut bien que l'auteur nous raconte un peu ce qui s'est passé entre les deux. Ce qui aboutit, vers le milieu du livre, à de longs passages explicatifs où, malheureusement, il ne se passe rien qui fasse avancer l'intrigue ou le développement des personnages auxquels on est censé s'intéresser. On participe à l'apprentissage d'Alia, et on a donc droit à tous les discours éducatifs que lui assène son mentor, Reath. Certes, l'auteur, comme toujours, extrapole, spécule, et nous présente des modes d'évolution de l'espèce humaine pleine d'une imagination solidement nourrie de connaissances scientifiques. Mais c'est quand même un peu aride. Et comme ça se passe dans un demi-million d'années, c'est bien difficile de rester convaincant. Il n'y a peut-être pas de solution autre pour un écrivain, quand il veut se projeter si loin dans l'avenir et qu'il veut malgré tout rester dans le concret, que de présenter les technologies courantes de l'époque sans trop les expliquer, avec le risque très net de nous balancer à jet continu des deus ex machina qui ressemblent à des tours de passe-passe. Mais comme le disait Arthur C. Clarke : “Any sufficiently avanced technology is indistinguishable from magic.”. Je reconnais le dilemme, mais j'ai parfois eu l'impression que Baxter écrit trop vite et bâcle un peu le travail.

Néanmoins, il se passe quand même des choses (heureusement, pour un livre qui fait près de cinq cents pages). On apprend que la Transcendance semble avoir un objectif majeur, celui de racheter en quelque sorte toute la douleur de l'Humanité depuis son origine, de s'imposer à elle-même une expiation globale, qu'elle nomme la Rédemption, avant de pouvoir enfin accéder au stade suivant de son évolution, celle où elle sera quasiment un dieu. Le rite de l'Observation représente la première phase de cette démarche. Les autres nous seront révélées petit à petit.

Baxter étudie souvent, dans ses textes, les soi-disant “grandes questions” de la SF, parmi lesquels il y a le paradoxe de Fermi.(1) Ici, il consacre quelques passages à celui de la valeur de l'intelligence, de la “conscience” en termes de survie de l'espèce. Peter Watts propose une réponse dans Blindsight, et ici, Baxter apporte pratiquement la même, vue sous un autre angle. En effet, avant la découverte du voyage supraluminique, de nombreux vaisseaux sont partis vers les étoiles, en sachant qu'il se passera plusieurs générations avant qu'ils n'arrivent enfin quelque part où ils pourront s'installer. Mais comment maintenir un vaisseau en état de marche pendant toutes ces années, avec le risque que sa raison d'être soit oubliée et qu'il se passe mille événements imprévus ? Et parfois le voyage dure si longtemps que les forces de l'évolution des espèces ont le temps de se faire sentir. Dans ces cas, une des premières choses qui sautent — dans un simple but de survie —, c'est l'intelligence ou, plutôt, la qualité de conscience, propre, paraît-il, à l'Homme.

Mais finalement, le point central de ce troisième volume est une question métaphysique, voire quasi théologique : est-ce que l'énorme, terrible souffrance de l'Homme à travers les âges a un sens et existe-t-il un moyen de la racheter, de l'expier, voire même de l'annuler. La Rédemption est-elle possible ? Peut-on envisager de devenir un dieu si on n'a pas résolu ses névroses et fait, en quelque sorte, le deuil de son humanité. C'est dans la recherche d'une réponse à ces interrogations que les divers fils narratifs vont se rejoindre. Avec la participation de Rosa Poole, la sœur de George et tante de Michael, déjà rencontrée dans Coalescent. Ici, elle est très vieille, mais toujours alerte ; elle a quitté l'Ordre et est devenue prêtre catholique à Séville. Ce qui permet une incursion franche dans la religion. J'ai été, il faut l'avouer, un peu surprise de voir de longues discussions sur Jésus à travers les âges dans un roman de Baxter, mais finalement pourquoi pas. C'est un sujet comme un autre et nombre d'auteurs de SF, et non des moindres, l'ont largement fait avant lui.

Michael Poole, personnage principal et narrateur de la partie presque contemporaine, se trouve véritablement hanté, et ce, depuis son enfance, par une sorte d'apparition féminine qu'il a un jour reconnue dans la vraie vie et qu'il a épousée. Hélas, Morag va mourir lors de la naissance de leur deuxième enfant. Il est anéanti, mais les apparitions persistent, et il passe dix-sept ans poursuivi par des visions évanescentes de sa défunte femme. C'est dans ce contexte qu'il va demander de l'aide à sa tante Rosa, qui sera, par sa formation, plus disposée que son frère John et son fils Tom à le prendre au sérieux et plus apte à l'aider. De son côté, Alia poursuit son apprentissage et rencontre un peuple dont les membres peuvent fusionner leurs esprits, situation qui s'apparente à celle de la Transcendance, mais à un niveau moindre. Trois frères, les Campocs, vont lui apprendre à faire comme eux, mais ils vont aussi se servir d'elle à leurs fins. En effet, ils ont de gros doutes sur la validité des actions et des mobiles de la Transcendance, en particulier à propos de cette quête, qui leur semble irrationnelle, de la Rédemption. Alia sera donc en quelque sorte leur agent auprès de cette Transcendance qu'elle intègre petit à petit. Elle va y semer la perturbation et va la pousser à agir pour trancher la question qui lui est fondamentale une fois pour toutes. C'est dans ce contexte que Michael Poole et Alia vont se rencontrer et prendre les décisions déterminantes non seulement pour leur avenir personnel, mais aussi pour le destin de l'Humanité entière.

Malgré le caractère grandiose des événements, le ton est tellement introspectif du côté de Michael Poole, plus préoccupé par sa relation difficile avec les membres de sa famille et par son travail d'ingénieur que par les affres lointaines d'une entité quasi inconnaissable, qu'on reste résolument un cran au-dessous du cosmique habituel de Baxter. De même, du côté d'Alia, qui n'est finalement qu'une adolescente — certes très dégourdie, mais quand même souvent un peu paumée — à la recherche de sa voie, l'échelle est globalement très banalement humaine. Peut-être que le lieu de l'action, le plus souvent sur des planètes et des astéroïdes, sous des dômes et dans des vaisseaux, et non pas dans les grands espaces entre les étoiles, y est pour quelque chose. Ce n'est pas nécessairement une critique, et certains trouveront sans doute que c'est même plutôt positif, mais la fin du deuxième volume, Exultant, m'avait bien plus transportée.

Transcendent est pour moi le plus inégal des trois romans de la série. Mais il reste très intéressant et stimulant dans l'ensemble malgré des défauts que je mets sur le compte de la vitesse avec laquelle Baxter produit livre sur livre, et ce, depuis des années. C'est, en dépit de ces quelques réserves, un sacré exploit, et je lui tire, encore une fois, mon chapeau.

Je me lance donc avec une certaine curiosité dans le quatrième volume (non traduit), le recueil de nouvelles Resplendent.


  1. Traité en profondeur dans la trilogie Manifold : Time, Space & Origin, complétés par le recueil Phase space.

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