Carnet d'Ellen Herzfeld, catégorie Lectures

Charles Stross : the Rhesus chart (the Laundry – 5)

roman de Science-Fantasy inédit en français, 2014

Ellen Herzfeld, billet du 31 janvier 2015

par ailleurs :

Il était là, sur ma pile “à lire” depuis un moment, gardé pour le jour où j'aurais besoin d'une lecture agréable et distrayante. Je viens donc de terminer le cinquième volet de la série the Laundry files,(1) mélange de SF, de thriller, et de Fantastique horrifique lovecraftien.

Le héros, toujours le même, Bob Howard, fonctionnaire dans une administration secrète chargée de protéger le monde — et plus particulièrement la Grande-Bretagne — des incursions maléfiques d'au-delà de l'espace-temps, est progressivement monté en grade et a acquis de l'expérience et des pouvoirs mathématico-magiques. C'est une sorte d'anti James Bond : il ne boit pas, ne drague pas (il est marié et fidèle), n'aime pas utiliser des armes à feu (il préfère ses pouvoirs occultes), ne s'intéresse pas à la mode ni à son look et est plutôt torturé sur le plan psychologique, mais tient bon, par sens du devoir.

En plus de leur travail habituel, les employés de la Laverie sont censés se consacrer à un projet de recherche “créatif et innovant” parmi ceux proposés et approuvés par les chefs. Le sien, dont l'idée est venue on se demande bien d'où, consiste à analyser la masse de données en provenance du système de santé national à la recherche d'anomalies significatives. Ce qui l'amène rapidement à constater l'apparition récente de cas qui semblent atteints d'une forme de démence rappelant la maladie de Creutzfeldt-Jakob ou sa variante Vache folle. En fait, il sait qu'une maladie similaire frappe parfois les magiciens de son genre quand ils ont trop pratiqué leur art occulte dans leur tête. D'où une enquête qui va aboutir à la découverte d'un nid de jeunes vampires dans un service un peu confidentiel d'une grande banque d'investissement. Parmi lesquels se trouve, curieux hasard, une ancienne employée de son administration. C'est cette enquête et ses multiples ramifications et complications — dont le démasquage d'autres vampires, très vieux et puissants, et de ceux qui les chassent — qui constituent l'essentiel de la trame du roman.

Mais l'intérêt est surtout dans le “traitement” du thème du vampire que j'ai trouvé original et amusant. Il s'agit en fait d'une infestation par un parasite venu d'ailleurs, de la dimension où résident les monstres/entités/extraterrestres cthulhuesques, une maladie en quelque sorte. En fait, je ne suis pas la mieux placée pour juger de l'originalité du concept car je n'ai pratiquement pas lu d'histoires sur ce thème, sauf par accident, dans une nouvelle ou une autre, dans une anthologie qui mélange les genres.

Les jeunes vampires n'étaient au départ qu'un simple groupe de nerds matheux particulièrement doués, embauchés par la banque pour mettre leurs talents à profit dans des projets à la limite de la légalité. La transformation se produit quand ils sont exposés à des images générées par un programme informatique mathématiquement complexe écrit, en principe, uniquement pour aider les traders de la banque. Se transformer en vampire a des avantages et des inconvénients : on est physiquement puissant et, sauf accident, immortel et on est doué d'une force de persuasion paranormale, mais on ne supporte pas le soleil (il brûle, vraiment) et il faut bien, de temps en temps, boire un peu de sang frais. Ce qui s'avère très compliqué, d'autant que ça entraîne des conséquences très fâcheuses pour le donneur, en général involontaire, qui se retrouve avec une encéphalopathie provoquée par les parasites d'une autre dimension venus se nourrir chez nous. Les vampires ne sont que l'intermédiaire entre le parasite et son repas mais, si jamais le repas en question tarde trop, le parasite n'hésite pas à consommer son hôte, c'est-à-dire le vampire lui-même.

Dans la lignée du roman précédent, the Apocalypse codex, Stross passe nettement moins de temps à égratigner les vices des administrations et de leur bureaucratie que dans les premiers de la série. Mais contrairement au précédent, la religion est ici moins la cible de ses sarcasmes et commentaires désobligeants. On y rencontre même Pete, un ami proche, pasteur (anglican, marié) de son état, qui se trouve embringué dans le service secret par la faute de Bob qui a eu besoin de son aide lors d'un épisode antérieur. Pete est présenté de façon fort positive tout au long, mais l'auteur précise bien que c'est un pasteur “éclairé”, qui ne prend pas la Bible au pied de la lettre.

Le livre est, comme les précédents, plein de références, entre autres à l'informatique, et une certaine connaissance de son jargon spécifique est utile pour bien l'apprécier. Autre référence amusante : la “première loi des vampires”, c'est que les vampires n'existent pas. Ce qui signifie que les vampires anciens et puissants qui vivent parmi nous tiennent beaucoup à ce que les humains ne croient pas en leur existence. La sécurité par l'obscurité. Et, pour maintenir cette situation, en plus des charmes et des sorts qui implantent cette conviction dans les cerveaux, il faut qu'il y ait le moins de vampires en circulation que possible, car le faux pas de l'un risque de les trahir tous. D'où des luttes cachées, qui durent des décennies ou des siècles, entre vampires qui estiment qu'il ne peut en rester qu'un, comme dans Highlander. On rencontre aussi une tueuse de vampires tout particulièrement sadique et perverse. Pire que les vampires eux-mêmes. Il y avait sans doute des références à Buffy, mais n'ayant pas vu un seul épisode, elles me sont passées au-dessus de la tête.

Stross s'est aussi mis, plus qu'avant me semble-t-il, à utiliser des expressions idiomatiques, populaires ou argotiques spécifiquement britanniques, et j'ai donc été obligée, plus souvent que d'habitude, à consulter un dictionnaire. Je ne les ai pas notées, mais là, une me vient à l'esprit : "blues and twos", qui désigne les véhicules de secours d'urgence avec leur gyrophare à lumière bleue et leurs sirènes à deux tons. Je ne la connaissais pas mais je la trouve jolie.

À l'inverse, l'auteur s'est senti obligé d'expliquer certaines choses bien plus qu'il ne le fait habituellement. C'est sans doute pour les lecteurs qui ne lisent pas les séries dans l'ordre et commenceraient avec celui-ci. Il y a déjà un long prologue, mais en plus, il se lance parfois, au cours de l'histoire, dans des explications détaillées sur les tenants et aboutissants de l'administration secrète et des conséquences envisageables si nous étions envahis par les habitants peu recommandables d'un autre espace-temps. Ce qui, pour moi, gâche un peu l'ambiance. En fait, c'est sans doute utile pour bien comprendre ce qui se passe mais le changement m'a paru un peu brutal par rapport à un Peter Watts, que j'ai lu en continu récemment, qui lui, n'explique jamais rien du tout.

Les scènes d'action ne manquent pas, avec violence, terreur et gore à souhait, mais la manière est telle, avec une certaine légèreté et un second degré qui perce souvent, un regard toujours un peu rigolard, que ça n'a pas l'effet angoissant qu'on pourrait penser (et, il faut le dire, qui me déplairait fort). J'ai donc pris plaisir à cette lecture, certes loin de la hard SF que j'affectionne habituellement, mais tout aussi loin du fantastique surnaturel pour lequel mon incrédulité refuse obstinément de se suspendre. La magie est liée aux propriétés méconnues mais naturelles des mathématiques, les monstres et parasites ne sont pas les émanations d'un quelconque Satan, collègue, qui a mal tourné, d'un Dieu à l'éthique douteuse, mais simplement des êtres parfaitement “naturels” mais venus d'ailleurs.

Je viens de voir, sur le site de l'auteur, qu'il y a déjà trois autres romans prévus dans cette série. Un par an. J'en suis ravie.


  1. the Atrocity archive, Jennifer Morgue, the Fuller memorandum & the Apocalypse codex.

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