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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 2 Espion de l'étrange

Keep Watching the Skies! nº 2, novembre 1992

Karel Dekk [Serge Lehman] : Espion de l'étrange

roman de Science-Fiction ~ chroniqué par Pascal J. Thomas

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Karel Dekk est un petit malin qui renoue avec une tradition vénérable au Fleuve : celle de l'écrivain — ou du pseudonyme — qui se met en scène lui-même comme personnage de roman. Mais il fait un pas de plus en mettant en scène sa propre activité de romancier, ses espoirs et ses déceptions, et — les fans apprécieront — ses collègues de la banlieue Sud de Paris, Red Deff, Michel Pagel, Don Hérial et Roland Wagner. Un roman écrit à la première personne suppose toujours une certaine hypertrophie dans l'effet de réel, que Dekk prétend renforcer par une petite postface ; je ne sais pas si l'invocation rituelle du Wagner, dieu maudit de l'hallucination, bénéficie tant que cela à l'effet de réel, mais elle a sûrement aidé à faire remarquer Dekk dans le milieu du fandom, voire même à sa sélection parmi les finalistes du Prix Rosny (catégorie romans) pour l'année 1991. Je serai bien le dernier à m'en plaindre !

Dekk sait écrire, et il ne manque pas d'humour. Son personnage se trimballe dans une vieille 404 affublée d'un prénom espagnol, et porte sur ses épaules tout le poids de la réputation d'un père d'origine tchèque à la fois écrivain dissident, ami de Havel, et spécialiste de l'occulte. Dekk, soit dit en passant, fait preuve de plus de culture politique, de connaissance du monde qui l'entoure, que beaucoup de ses collègues de S.-F. Mais son œuvre est également pétrie de culture populaire, puisque son alter ego fictif s'est mis en tête d'écrire les aventures d'une sorte de Harry Dickson, de détective du fantastique, et — bien entendu — il se retrouve piégé dans une situation semblable à celles qu'il avait rêvées pour son héros. Tout commence par un rendez-vous fixé au crépuscule dans un inquiétant manoir de banlieue…

L'intrigue suit un cours bourré de suspense, mais pas forcément de surprises fondamentales. L'axiome sur lequel elle est fondée est que les manifestations étranges qui se produisent suivent les formes imposées par la production littéraire fantastique de notre siècle : on en aura une explication rationaliste, mais elle ne résout pas tout. Le roman s'affirme donc résolument comme une œuvre de S.-F. sur la S.-F., dans laquelle celle-ci s'est substituée à la science comme principe expliquant l'univers. On notera avec intérêt que Dekk, qui parle beaucoup — et explicitement — de Science-Fiction tout au long du livre, en donne comme principaux exemples des situations et des auteurs que l'on rattacherait plutôt au Fantastique, respectivement trains hantés et cités maudites, et Lovecraft, Stephen King et Jean Ray. Mais ce manque de discernement entre S.-F. et Fantastique est un corollaire de l'attitude qui prend les deux en bloc comme un phénomène de littérature populaire, infiltré dans la trame de la réalité par la magie, l'inconscient collectif, ou les actes de quelques individus décidés. Les rationalistes parmi nous verseront de chaudes larmes ; on les consolera en leur faisant remarquer que le livre ne se prend jamais trop au sérieux — pas de Guieuseries ici ! —, et qu'il est fort distrayant.