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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 5 Doc Mathusalem

Keep Watching the Skies! nº 5, octobre 1993

L. Ron Hubbard : Doc Mathusalem, le médecin des étoiles

(Ole Doc Methuselah)

roman de Science-Fiction ~ chroniqué par Patrick Marcel

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De par les chemins de l'espace s'en va Ole Doc Mathusalem, s'arrêtant sur les planètes au gré de sa fantaisie ou de sa distraction, soignant les dolents et redressant les torts (les tors ?). Il appartient au corps des Soldats de Lumière, une organisation de médecins ne reconnaissant ni les gouvernements ni les guerres, apportant le secours de leur science prodigieuse à qui en a besoin.

Il est accompagné dans sa quête par son fidèle esclave, Hippocrate, un extra-terrestre à quatre bras consommateur de gypse.

Hors de ses activités de gourou pour une secte notoire, Hubbard, en tant qu'écrivain de “l'âge d'or” de la Science-Fiction, jouit d'une réputation propre à attiser la curiosité, avec des ouvrages comme Au bout du cauchemar. On peut d'ailleurs lire en quatrième de couverture du présent ouvrage les commentaires flatteurs de gens comme Farmer, Silverberg ou Pohl. Où ils puisent un tel enthousiasme, je l'ignore, mais j'ose espérer que ce n'est pas de la lecture de Doc Mathusalem. Certes, la Science-Fiction des années cinquante a souvent mal vieilli. Les fantasmes scientificolâtres de l'époque, additionnés d'une solide dose de mauvais goût esthétique, ont pris un cruel coup de vieux : « il arborait sa cape dorée, sa ceinture écarlate et portait ses bottes jaunes décorées d'ailes de métal. […] il était très élégant. ». Mais le lecteur est de bonne volonté : des idées intéressantes, un style marquant, une mentalité sympathique, un souffle puissant, peuvent emporter l'adhésion en dépit de ces abords rébarbatifs. Rien de tout cela dans ce pauvre recueil de nouvelles bâclées, naïves, réactionnaires, sottes au dernier degré, et apparentées d'assez loin à la vraie Science-Fiction. La seule vague et piètre idée au milieu d'un exotisme de supérette, c'est que Doc est un homme de notre siècle qui a vécu une existence prodigieuse. C'est peu, et mon naturel méfiant sent déjà percer là sous Hubbard le gourou, le soi-disant messie.

La première nouvelle, "Ole Doc Mathusalem", est typique du recueil : on se trouve devant un western parfaitement classique — banal, disons-le — vaguement attifé d'ustensiles science-fictifs. Et encore s'agit-il du plus sommaire déguisement : pour le reste, nous avons droit au vieux cliché du traître qui crée une spéculation immobilière en faisant gober à une population crédule que le chemin de fer — pardon, les spaceways — va passer par leur petite planète. Le vieux juge honnête est au rendez-vous, sa belle et tendre fille également, et si le héros arrive en vaisseau doré — toujours ce bon goût ineffable — au lieu d'un cheval blanc, cela n'abusera personne.

Dès lors, la litanie de sornettes se poursuit, d'historiette simpliste en historiette simpliste. Doc Mathusalem débarque sur une planète, généralement par étourderie — il pilote son vaisseau spatial comme aucun automobiliste sobre n'oserait conduire sa bagnole ! —, se pose sur l'herbe verte et part à la pêche, pour se trouver confronté à une belle jeune fille qui implore sa pitié.

Membre d'une Croix Rouge ou d'un Médecins Sans Frontières de l'espace, ce brave Doc piétine joyeusement les règles de base de son ordre, frappant à la racine du mal avec une vigueur qui s'appuie sur sa compréhension éclair de la situation. Admettons qu'il n'a en cela guère de mérite, Hubbard travaillant dans le limpide. À ma droite, les bons, dont la noblesse se lit sur leur visage ; à ma gauche, les méchants dont la cupidité se trahit à leurs mains crispées.

Doc est un médecin, un philanthrope mais pas un pacifiste. Que passe un jupon, surtout en haillons, et notre matamore tire dans le tas avec un entrain sans arrière-pensée. Dans "le Grand monopole de l'air", il abat sans remords des extraterrestres esclavagistes pour sauver une donzelle aux beaux cheveux. Ce serait justifiable, s'il ne manifestait ensuite le plus total inintérêt pour les compagnons d'infortune de la pépée en question. Ce qui laisse supposer que si la mijaurée avait été un laideron, les vilains extraterrestres trottineraient encore à la tête de leur troupeau humain. Bravo, le héros !

La science de Doc est prodigieuse : s'il atterrit par mégarde sur une planète, c'est parce qu'il est encore en train de noter sur ses manchettes dorées le remède à un des mille maux qui affligent l'humanité. Et sa sagesse est légendaire. Nous apprendrons grâce à lui que la criminalité est génétique — et se transmet, c'est plus ou moins explicite, par les femmes. Nous apprendrons aussi que l'esclavage est très vilain — Doc doit passer plusieurs nouvelles à éradiquer ce fléau.

Remarquez, ses dons de persuasion doivent être singulièrement entamés par le fait — une broutille — qu'il possède lui-même un esclave particulièrement obéissant, l'extraterrestre Hippocrate. Ah ! me direz-vous : on connaît ces relations maître-esclave, qui ne sont que le travestissement viril et bourru d'une de ces chaudes amitiés qui font du bien au cœur ! Et d'ailleurs, les relations entre Doc et Hippocrate ne sont-elles pas réminiscentes du couple gentleman du vieux Sud/brave esclave noir (ou nounou acariâtre au cœur d'or, ça marche aussi très bien) ? Certes, ça n'est pas faux, on retrouve là encore l'habitude de Hubbard de transposer de vieux clichés sous de clinquants oripeaux. Mais pour l'amitié bourrue, vous repasserez : figurez-vous que Doc s'intéresse tellement au pauvre Hippocrate que lorsque ce dernier est gravement blessé en défendant le vaisseau, après un nouvel atterrissage au petit bonheur, Doc prend soudain conscience qu'en deux cents ans de cohabitation, il ne s'est jamais préoccupé de connaître la physiologie et l'anatomie de son compagnon ! Ce qui laisse entendre en corollaire que la grande et noble mission du Doc vise surtout les humains 100 %. Comme tout ceci est sympathique !

Le dernier clou dans le cercueil de ce livre est enfoncé d'une patte négligente par le traducteur, Michel Demuth, qui semble avoir expédié ce pensum en pensant à autre chose — ça peut se comprendre mais ce n'est pas très sérieux. On a droit à des approximations agaçantes (billions au lieu de milliards me crispe énormément), des maladresses ahurissantes (« comme d'habitude, il oubliait toujours ses tables d'enregistrement », « Il eut honte d'avoir été à ce point absorbé et irrité au point d'avoir ignoré les sons ambiants »), des négligences curieuses (ça coûtait vraiment plus cher de traduire “Ole” Doc Mathusalem, “Ole Mother” Mathusalem, “Big” Lem Tolliver… entre autres ?) et de franches bêtises (« les agressions et les vols n'avaient rien de neuf sur les chemins de l'Espace, et tout particulièrement sur une petite planète inhabitée comme Spico » — on frémit de songer à ce que cela aurait été si la planète avait été habitée…)

Bref, un bouquin totalement dispensable. Comment peut-on faire traduire de tels tissus d'inepties, alors que tant d'œuvres intéressantes, voire capitales, attendent encore leur tour ?

Décidément, l'image de Hubbard qui s'impose à la lecture de Doc Mathusalem, c'est celle d'un tâcheron nuisible, dont même la tombe n'arrête pas les coupables déprédations.