Sauter la navigation

 
Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 5 Voyage vers la planète rouge

Keep Watching the Skies! nº 5, octobre 1993

Terry Bisson : Voyage vers la planète rouge

(Voyage to the red planet)

roman de Science-Fiction ~ chroniqué par Sylvie Denis

 Chercher ce livre sur amazon.fr

Texte chroniqué alors qu'il était encore inédit en français.

C'en est assez : la coupe est pleine, le vase déborde, la casserole bout, la bouilloire siffle : il faut que je parle, et que je fasse enfin la — longue — liste des tics, manies, facilités et autres gadgets dont l'abondance, en ce début de décennie et fin de millénaire, gache la lecture du plus indulgent des lecteurs de S.-F.

Oyez donc bonnes gens, et tenez-vous le pour dit :

J'en ai assez des descriptions interminables d'engins spatiaux et de leurs mouvements, à terre, en orbite, ou dans l'espace. Je n'aime pas les listes de chiffres, les sigles style “Nasa en direct”, complètement opaques pour le lecteur à moins qu'il ne se soit muni d'un dictionnaire et d'une mémoire à court terme hypertrophiée. Quant aux extraits de journaux, de banques de données ou d'encyclopédies galactiques, je ne fais que les tolérer, dans la mesure où ils n'ajoutent pas deux cents pages inutiles au roman, et parce que je veux bien reconnaître que les auteurs doivent informer leurs lecteurs sur l'état du monde d'une manière ou d'une autre…

J'en ai également soupé de certains personnages : le vieux routier de l'espace, la dame hyper compétente, la jeune fille (ou le jeune homme) à problèmes, l'artiste illuminé, et surtout, surtout, la bêbête de service, chat, chien ou marsupilami, invariablement chargé des moments d'émotion et de comic relief.

Et ce n'est pas fini : j'en ai aussi ras-le-bol des discours sur la conquête spatiale qui faiblit, la planète qui croupit et le futur qui ramollit. Quant aux coups de coude et références — ou révérences — aux auteurs de S.-F., au cinéma de S.-F. et aux livres de S.-F., ils m'exaspèrent, et je voudrais bien que de temps en temps les auteurs songent à écrire avec leurs tripes — ou leur subconscient, ou même leur matière grise, peu importe — avant d'écrire avec leur bibliothèque. Amen.

Enfin, dernière recommandation avant que j'explique pourquoi le malheureux Terry Bisson a ainsi déclenché ma mauvaise humeur, je souhaiterai vivement pouvoir lire des livres sans bande son, c'est-à-dire sans références constantes à tel ou tel groupe de rock, de folk ou de musique sérielle que l'auteur se trouve apprécier. Si encore les romans me parvenaient sur CD-rom, je pourrais entendre les titres en question, ce qui augmenterait ma maigre culture musicale, comme ce n'est pas le cas, ce n'est qu'un tic de plus, et j'apprécierai de ne plus le retrouver dans un roman sur deux…

Voyage to the red planet se déroule à une bien triste époque : suite à une dépression économique King Size, la planète croupit, le futur est bien ramolli et la conquête spatiale n'intéresse plus personne.

Le vieux routier de l'espace s'appelle Bass. Astronaute à la retraite de son état, il est contacté par un producteur de cinéma indépendant — j'ai oublié l'“esprit indépendant” dans ma liste, mais il y est ! Markson est du genre utopiste têtu — les pires. À force de manœuvres diverses, il réussit à convaincre la dame compétente (une ex-cosmonaute russe), l'artiste illuminé (Luis Glamour, un metteur en scène) et un docteur, lequel est indispensable, non seulement pour les plaisanteries/références à la série que vous savez, mais parce qu'il s'agit d'aller tourner un film sur Mars, et qu'un médecin n'est pas totalement inutile pour prendre soin d'un équipage et de deux stars hollywoodiennes en hibernation. C'est le docteur qui introduit clandestinement la bêbête à bord du Mary Poppins, le vaisseau qui doit conduire tout ce beau monde sur Mars. C'est un chat, et il s'appelle Ahab. Ca aurait pu être pire…

J'oubliais : la jeune fille à problèmes s'appelle Greetings Brother Buffalo, et elle joue le rôle du deuxième passager clandestin.

Et tous ces gens de s'embarquer pour Mars sur fond de problèmes de sponsors et de communications avec la Terre.

J'avoue avoir pris plaisir au début du roman : l'écriture de Terry Bisson est plus qu'agréable, ses personnages, s'ils demeurent figés par la suite, sont bien mis en place, les détails concernant les inconvénients de l'hibernation ne peuvent manquer de satisfaire l'amateur. Mais hélas, toute l'histoire, malgré les efforts de l'auteur, est bien légère. Et, si je puis me permettre en ce qui concerne un ouvrage dans lequel les personnages mettent plus de cinquante pages pour quitter l'orbite terrestre, ça ne décolle pas. Évidemment, le « Que la force soit avec nous » lancé par un des personnages au moment où ceux-ci quittent le Mary Poppins pour descendre vers Mars n'a pu manquer d'arracher un sourire au fan éternel de qui vous savez que je suis, mais c'est bien là le problème : si Bisson a voulu écrire un livre léger et distrayant, il fallait en faire plus, et se passer des quelques tentatives d'extrapolation réaliste. Il fallait surtout lui donner un ton qu'il n'a pas, ou du moins pas suffisamment à mon goût. S'il avait envie de s'attaquer à un sujet “sérieux” (la mort de la conquête spatiale, le rôle d'Hollywood), ce sont toutes les références, les gags, les facilités de scénario et le traitement des personnages qui auraient été à revoir.

En réalité, ce livre hésite trop entre la parodie et la comédie pour trouver sa véritable identité. Pour ma part, je n'arrive pas à décider s'il s'agit d'un roman léger, “distrayant”, ou d'un ouvrage facile, superficiel et bourré de clichés mal rafraîchis. La Science-Fiction ne supporte pas les demi-mesures : lorsqu'on veut convaincre de la réalité d'une illusion, il ne faut pas s'en moquer à toutes les pages, ou alors, il ne faut pas espérer que l'ouvrage soit lu comme un roman de vraie Science-Fiction.