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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 7 Odyssée sous contrôle

Keep Watching the Skies! nº 7, mars 1994

Stefan Wul : Odyssée sous contrôle

recueil de Science-Fiction ~ chroniqué par Pascal J. Thomas

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Les Fleuve Noir "Anticipation" des années 50 ont sur les romans de S.-F. américains des années 90 un avantage décisif : la brièveté. Avantage, en tout cas, pour les malheureux critiques pressurés par de puissants et peu scrupuleux patrons de presse tels que notre bien-aimée Sylvie, qui m'a rappelé récemment l'imminence de ces délais de parution… Le problème, c'est que j'ai encore en mémoire quelques petits mots gentils sur le sujet de « pourquoi personne ne me parlerait-il des derniers J'ai lu ou Denoël ? ».

Qu'à cela ne tienne, voici que "Présence du futur" me sauve en trichant quelque peu avec sa vieille devise : « une collection d'inédits au format de poche ». Avec la permission, que dis-je, l'encouragement de KWS, je me suis donc (re)plongé dans les plaisirs simples de la lecture de S. Wul. Michel Maistre, brave jeune premier et agent des services secrets terrestres, se rend donc sur la planète Émeraude pour une mission de confiance : résoudre l'énigme des disparitions qui se sont multipliées depuis quelques mois parmi la population des colons humains. Mais cela ne l'empêche pas, sur le luxueux paquebot de l'espace qui l'emporte vers la planète, de conter fleurette à une charmante jeune poète, Inès Darle.

Ce qui nous vaut l'occasion de découvrir un Wul plus coquin que les dessins animés tirés de son œuvre pourraient le laisser croire. Dès la première page, quelqu'un (Inès, nous allons l'apprendre) renverse un verre sur le pantalon de Michel, lequel « éclata de rire et sortit un mouchoir. Il frotta l'étoffe humide ». Vous vous représentez la scène ! Quelle entrée en matière ! Acte manqué d'Inès ou acte manqué de Wul ? On dit qu'il écrivait avec beaucoup de spontanéité, mais tout de même… Quelques pages plus tard, au bar, Michel se montre encore plus direct : « Vous dînerez avec moi ce soir. […] Avez-vous déjà mangé des quenelles d'aubier rose ? ». Oui, on me dira que j'ai l'esprit mal tourné.

Quoi qu'il en soit, les aventures de Michel Maistre se poursuivent sur un ton beaucoup plus “années 50” : il arrive sur Émeraude, où coexistaient, avant l'arrivée des humains deux races indigènes, les sépodes, sortes de pieuvres intelligentes parées de tous les défauts moraux de la création, et les nains gris, humanoïdes qu'ils tenaient en esclavage, et furent libérés par la généreuse intervention des Terriens. Honnêtes, serviables et travailleurs — bref, de parfaits larbins —, ils sont désormais le meilleur soutien de l'infrastructure terrienne sur la planète. Les cépodes, eux, monstres de cruauté et de duplicité, mènent des actions clandestines contre la présence terrienne…

En 1959, le modèle de cette situation était bien réel et contemporain en Algérie. Dans le rôle des nains gris, mettez Kabyles ou Juifs d'Afrique du Nord, au choix — l'autorité française ne s'était pas privée d'exploiter leur antagonisme à l'égard des Arabes. On se demande donc avec quel niveau de prise de conscience politique et quel positionnement, Wul va traiter la situation. Mais l'action va trop vite pour qu'il s'attarde à de tels détails, et le roman s'achève sur la pirouette que le titre laissait partiellement deviner.

Il y a quelque temps, j'avais relativement éreinté les Océans du ciel du pauvre Kurt Steiner/André Ruellan. Wul mériterait certains des mêmes reproches : en ce qui a trait à son traitement des personnages féminins, par exemple. Pourtant, malgré les défauts de construction de son œuvre, malgré l'hostilité sans mélange qu'il distille à l'égard des cépodes, je suis d'humeur à tout lui pardonner, au bénéfice de son imagination bigarrée. Quand il nous emmène dans les jungles d'Émeraude, quand il décrit les habitants et les quartiers de ses villes, on ne pense plus à rien d'autre, on se laisse mener en voyage.

Le livre est complété par trois courtes nouvelles inédites en recueil qui rattrapent partiellement son statut de réédition. Deux d'entre elles, malheureusement, relèvent de ce que les Américains appellent la “tomato surprise”, à savoir qu'elles reposent sur une chute tellement souvent employée qu'elle ne peut que faire bailler l'amateur de S.-F. En revanche la troisième, "Expertise", si elle se cantonne aussi dans un mode bien léger, passe la rampe grâce à son humour et son astuce.