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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 8 Revues anglosaxonnes diverses

Keep Watching the Skies! nº 8, juillet 1994

Jonathan E. Bond : Pulphouse 16, 1993

Gardner Dozois : Asimov's science fiction, janvier & février 1994

David Pringle : Interzone 80, février 1994

Kristine Kathryn Rusch : the Magazine of fantasy & science fiction, février & mars 1994

Stanley Schmidt : Analog science fiction and fact, janvier 1994

revues anglosaxonnes de Science-Fiction et de Fantasy ~ chroniqué par Sylvie Denis

Pour une fois, je vais commencer par les insupportables du mois. La première est Mary A. Turzillo, qui m'avait déjà un peu agacée avec "the Steel" (Interzone 61) nouvelle dans laquelle, si je me souviens bien, une femme découvrait un serpent dans son évier et finissait enceinte du monstre. Gerbeux au possible et plus inutile qu'un match de foot. Nous voici dans le futur. La biotechnologie règne. Des extrémistes utilisent des virus pour contrôler le langage et les idées de leurs opposants, mais condamnent toute autre forme de biotechnologie., comme par exemple l'implantation d'utérus sur un homme. C'est ainsi que Garry sur le point “d'accoucher”, tandis que le monde s'écroule, croit trouver une amie en Rachelle : mais pas de chance, Rachelle est une “Ninth World native”, et Garry monstre et criminel contre nature se retrouve — entre deux contractions — face au peloton d'exécution.

Pourquoi ce type de récit m'exaspère-t-il ? Parce que sous couvert de dénoncer le fanatisme bigot de certains — on découvre que les fanatiques se comportent comme des fanatiques, grande nouveauté ! —, on n'a d'autre intention que de titiller la fibre voyeuse, de flatter la fascination écœurée — mais contente de l'être —, bref, de frapper au-dessous de la ceinture : c'est autant de la littérature qu'un bouquin porno, et ce n'est pas le genre de texte que j'ai envie de lire dans Interzone.

Mêmes remarques pour "Whiter teeth, fresher breath" de Thomas Marcinko, dont c'est le premier texte publié — pas de chance ! Il s'agit d'extraterrestres aux dents sensibles, en l'honneur de qui l'humanité passe son temps dans les clubs, brosse à dents à la main, à se rincer la bouche avec des machins chimiques aux effets divers et variés. Le hic ? Les extraterrestres sont des vampires psychiques, ils volent la créativité des humains en échange de leurs produits miracles. Étonnant, non ? Certains diront que mes récentes mésaventures hospitalo-dentaires peuvent expliquer mon peu de goût pour ce genre d'histoires : ils auraient tort.

Là encore, la S.-F. n'est que décor et ne sert qu'au développement de quelques scènes plus ou moins ragoûtantes. Ce n'est pas vraiment de mon goût.

Puisque j'en suis à parler “Horreur moderne”, j'expliquerai pourquoi la lecture du nº 16 de Pulphouse ne m'a pas vraiment enthousiasmée.

Ca commence par "No restriction" de Billie Sue Mosiman. Un homme arrive en prison. C'est un “serial Killer”, mais la Justice ne le sait pas. Aussi pense-t-il qu'en se conduisant bien, il pourra sortir plus tôt que prévu… et reprendre ses activités. Hélas, un des prisonniers lui cherche des noises : il doit se défendre. Jimmy, son compagnon de cellule, lui propose son aide, sous forme d'une paire de ciseaux. Mais, malchance, Jimmy n'est pas un altruiste : s'il a donné les ciseaux et monté la garde, c'est pour faire chanter notre héros, lequel, plutôt qu'un avenir en prison, ne voit d'autre issue que la mort, qu'il va chercher en s'attaquant à un gardien.

Inutile de préciser que tous les événements violents du texte sont décrits avec force détails.

"Monster kidnaps girl at mad scientist's command !" de Lawrence Watt-Evans est sur le même ton que le titre : pas de sang, pas de merde, pas de mort. Du monstrueux comique, si l'on veut. Passons à la suivante : "Phases" de Carrie Richardson, où — si j'ai bien compris, car essayer de décrypter les activités bizarroïdes des créatures de la nuit n'est pas mon activité favorite — une jeune personne se transforme en vampire au moment de ses règles et de la pleine lune et se nourrit de sang menstruel. No comment.

Dans "Motherhood", de Sonia Orin Lyris, une jeune femme met au monde un bébé monstrueux et imaginaire — ou pas — et rencontre un homme qui finit par l'accepter et avec qui elle a un enfant réel. Le lecteur peut décider ce qu'il veut au sujet du bébé monstre imaginaire — ou pas. Je suppose que l'intérêt de ce genre de texte est le sentiment d'étrangeté qu'il procure a qui le lit. Ce genre de jeu sur le vrai/faux/réel non réel ne m'a jamais contentée, mais je n'ai pas d'autre reproche à formuler, la chose étant finalement bien écrite et le personnage plutôt touchant.

"Close to the bones" de Lucy Taylor est une tout autre paire de manches. C'est le récit — à la première personne, ce qui garantit l'exactitude des détails — de la vie de Lisa, qui ne trouve pas de meilleur moyen d'entrer en contact charnel avec les gens qu'elle aime que de les découper en morceaux, parce que son grand-père, en la violant, prétendait qu'il l'aimait, lui aussi. Une excellente étude psychologique, me dira-t-on, qui nous amène à comprendre de l'intérieur comment un être humain peut s'être fait, à cause de ce qu'il a vécu, une idée totalement fausse de “l'amour”, et n'avoir pas la moindre conscience d'être un monstre. Certes. Mais alors, pourquoi, mais pourquoi, quand je lis ce genre de texte — ce qui n'est pas difficile : tous sont bien écrits, bien menés, et je suis bon public : si on sait s'y prendre, il suffit de très peu pour me donner, malgré l'abondance des détails sanglants, irrésistiblement envie de connaître la fin —, pourquoi donc ai-je l'impression d'avoir trempé mon cerveau — auquel je tiens beaucoup, l'objet ne m'ayant été livré par les instances supérieures qu'en un seul exemplaire — dans un seau de vomi ? Pourquoi ai-je l'impression, non seulement de n'avoir rien appris de fondamental sur la nature humaine, mais encore d'avoir été inutilement exposée aux ordures diverses qui croupissent dans l'esprit de certains ?

Je ne sais pas. Je voudrais qu'on m'explique. Si je ne soupçonnais pas la tâche vaine, je consentirais à ce qu'on m'initie aux plaisirs de l'Horreur. Mais je doute : car enfin, que ce soit dans le texte de Lucy Tailor ou de Billie Sue Mosiman, si l'on ôte tous les détails horrifiques, (les viols, la merde, le sang, les cloques de brûlure qui suintent, etc. ; je précise pour ceux d'entre vous qui manqueraient d'expérience) que reste-t-il ? Une histoire d'arroseur arrosé et une étude psychologique pas des plus profondes. Ce n'est pas l'essentiel de ces récits. L'essentiel, ce sont les fameux détails, le “réalisme” de l'horreur. Je suppose que c'est ce que les lecteurs aiment. Ce qu'ils apprécient, c'est le vertige nauséeux que provoquent ces détails et leur accumulation. Que le vertige existe, c'est un fait. Que l'on éprouve, parfois, une fascination pour ce qui écœure et horrifie, c'est probablement humain [1]. Qu'on en fasse des livres, — basés sur une émotion et une seule, de la même manière qu'un livre ou un film porno vise à provoquer une réaction et une seule, d'où ma comparaison un peu plus haut — et qu'on essaie de nous faire croire, sous prétexte que les auteurs ont une certaine technique littéraire, qu'il s'agit de littérature, çà relève de l'escroquerie.

Bien. Voilà qui va m'attirer quelques amis. Passons à autre chose. Il n'y a tout de même pas que du mauvais partout.

Prenons par exemple "Why the world didn't end last tuesday" de Connie Willis (Asimov's, janvier 94) où l'on découvre le total manque d'organisation qui règne dans l'administration des cieux ou bien "Director's cut" (F&SF, février 94) de James Morrow, où Moïse explique à un journaliste quelles scènes on été coupées dans les Dix commandements. Ou encore "Two lovers, two gods and the fable", où les dieux jouent avec les hommes et l'auteur avec les mots. Voilà des textes qui prouvent que légèreté n'est pas vacuité : on pourrait y ajouter "Laddie of the lake" de Kandis Elliott (Asimov's, février 94) ou comment faire de la littérature régionaliste sans en avoir l'air. Toutes les beautés du Wisconsin, un personnage de mamie pêcheuse, et un monstre antédiluvien souffrant de frustration sexuelle. Tout aussi amusant est, dans le même numéro "a Bag of custard" de Michael H. Payne, où le chien du protagoniste lui confie un sac de custard pour le week-end. S'en suivent deux journées infernales, avec chats parlants, corbeaux féroces et souris armées jusqu'aux dents. Délicieusement absurde et parfaitement irrésistible. On pourrait d'ailleurs en dire presque autant de "the Moon garden cookbook" (F&SF, mars 94) où une malheureuse pourvue d'un mari inintéressant et d'enfants qui ne veulent manger que des pâtes trouve un livre de cuisine aux recettes originales. Lesquelles recettes, toutes pourvues de titres qui ne peuvent que ravir les amateurs de jeux de mots que nous sommes, lui permettent de redonner l'appétit à ses enfants — avec des Tempting Tuna Bites et des Persuasives Pickles —, de les empêcher de s'ennuyer —Curiosity cream puffs — avant de se débarrasser du mari — mais en divorçant, pas en utilisant la recette du Rest in peas, ma préférée !

Les animaux qui parlent ne me dérangent pas — même si l'auteur ne se préoccupe pas de justifier le fait, sinon qu'on comprend qu'une sorte de complot est à l'œuvre —, mais les bateaux sauvages, je dois avouer que ça a plus de mal à passer. "the Wild ships of Fairny" de Carolyn Ives Gilman se situe sur la planète Haven, planète sur laquelle on trouve des bateaux (à voile !) à l'état sauvage. Mais, hélas, depuis bien des années, les hordes ont disparu et le port de Fairny périclite. C'est alors que Larkin se met en tête, pour sortir son frère de son mal de vivre, de se lancer à leur recherche. Elle emprunte le bateau (un bateau normal) de l'homme qu'elle aime, mais qu'elle n'ose pas encore épouser de perdre sa liberté et vogue la galère : on part à la chasse aux bateaux sauvages. Après quelques scènes maritimes — on se croirait dans Moby Dick, sauf que je ne suis pas convaincue par des descriptions de bateaux vivants —, les bateaux sont capturés, le frère retrouve le goût de vivre, et la dame, après quelques paroles profondes sur la perte de sa liberté, accepte de s'unir avec l'homme qu'elle aime. Votre critique préférée demeure sceptique, tant sur les bateaux vivants que sur la philosophie de la dame…

Et la S.-F. dans tout ça ? Où sont-ils donc, les textes qui élargissent l'esprit, émerveillent les sens et provoquent la pensée ? Ils sont rares et de plus en plus, c'est l'impression que je retire des magazines des mois précédents. Rares, mais pas totalement absents.

Signalons donc "Busy dying" (F&SF, février 94) du toujours anglais, prolifique et intéressant Brian Stableford, où l'on découvre quels effets psychologiques les bestioles nanotech qui permettent de ressusciter pratiquement à coup sûr quiconque succombe à un accident. Ou comment on peut enfin céder au désir de mort et donner raison à Freud.

Toujours du côté psychologique des choses, "Treasure buried" de Robert Reed, dans lequel un scientifique découvre que des extraterrestres ont caché des messages dans le code génétique de pratiquement toute la création, voit le même scientifique laisser endosser la paternité de la découverte par un de ses collègues, dans l'espoir de l'éloigner de sa femme. La fin est d'un pessimisme sans concession comme je les aime (il a renoncé à la gloire, mais idiot qu'il est, révèle son stratagème et perd l'amour…).

Autre personnage peu sympathique que celui de Michael Flynn dans "Melodies of the heart". Celui-ci travaille dans un hospice de vieillards et déteste ses patients. On comprend pourquoi quand on apprend que sa fille est atteinte d'une maladie qui la fait vieillir prématurément. Parallèlement, il découvre qu'une patiente âgée pourrait se révéler bien plus vieille qu'elle ne le pensait. C'est fort bien mené, la découverte de la véritable nature de la vieille dame donne lieu à un suspense, et si la fin est un peu attendue, on ne voit pas comment l'auteur aurait pu faire autrement. Dans le même numéro, pas grand-chose à dire de "Virtual proof" de Doug Larsen : du suspense, de l'action, une histoire d'amour, des flics, un criminel : on ne s'ennuie pas une seule minute.

Finissons donc par Asimov's de février et surtout de janvier. Le texte principal du numéro de février "a Martian childhood", de Kim Stanley Robinson est sans doute intéressant, mais je n'aime pas lire d'extraits de romans : quand ce n'est pas bien, c'est inutile, quand c'est bien, on reste sur sa faim, et c'est agaçant, et je me suis donc abstenue.

Heureusement, le numéro de Janvier comporte deux très bons textes. D'abord "Things of the flesh" de L. Timmel Duchamp. C'est une histoire de virus, et pas n'importe lequel : celui là engendre chez les personnes atteintes un état d'excitation sexuelle permanente. Scandale dans les familles bien pensantes de la Nouvelle Orléans, qui ont de mal à comprendre qu'il s'agit d'une maladie, incompréhension des autorités médicales, bêtise de la presse, etc., tout y est, jusque et y compris la fin de la protagoniste principale, médecin chargée d'enquêter pour le Congrès, sans que l'on sache si un remède pourra être trouvé.

Terminons avec "Remains of Adam" de A. A. Attanasio. Dans un lointain futur, où l'humanité a cédé la place aux néo-sapiens, ou “Maat” et à leurs travailleurs andrones, Munk, un androne, reçoit un message de détresse d'un cerveau humain ordinaire. Le malheureux a été trouvé par le Maat et utilisé pour conduire une sorte de bulldozer. L'androne, ayant décidé de le sauver, enrôle une humaine ordinaire, née dans une réserve terrienne et les voilà partis. Et le jeu en vaut la chandelle, car le cerveau en question n'est pas n'importe lequel : il s'agit de celui d'un humain archaïque, cryogénisé il y a presque un millier d'années. La phrase clé du texte est prononcée par Mister Charlie, l'humain des temps anciens, quand il découvre qui est le Maat : “Sometimes they're called neosapiens. They're what became of humanity after we mapped the human genome and amplified our intelligence.”.

“The next evolutionnary step” Mister Charlie says with startled understanding. “The step we take for ourselves.”

Car il se pourrait bien que l'homme ne tarde pas à devenir la seule créature capable de se transformer elle-même. Pousser des cris d'orfraie à chaque nouvelle avancée dans le domaine de la génétique ne sert à rien : on a rarement vu l'homme ne pas utiliser ce qu'il a inventé. Et qui sait si, ayant enfin compris et accepté ce que nous pouvons faire, nous ne choisirons pas de devenir autre chose, et si de l'humanité originelle il ne restera plus qu'une cité radieuse, qui dressera ses flèches au milieu des cratères de Mars…

Notes

[1] Il y a évidement une autre solution : soit les lecteurs en question ne ressentent rien, soit ils apprécient de lire une scène où l'on sodomise un homme endormi avec des somnifères avant de l'ouvrir comme une sardine. Mais là, est-ce qu'on peut encore les considérer comme humains ?

››› Voir la chronique précédente des revues anglosaxonnes de Science-Fiction dans KWS 7.