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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 10 le Clown de minuit

Keep Watching the Skies! nº 10, février

Alain Venisse : le Clown de minuit

roman fantastique ~ chroniqué par Micky Papoz

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Jean Rollin, écrivain et metteur en scène, est à présent le directeur de la toute nouvelle collection "Frayeur". Comme tout bon directeur, il possède certaines exigences qui vont donner un coup de fouet au Fantastique français — dans son état soi-disant populaire —, et surtout permettre à de jeunes auteurs bien de chez nous de s'exprimer. Pour certains romanciers comme Bernard Florentz avec la Femme morte, Félix Brenner, avec l'Araignée de Yoshiwara, ou comme Lori Anh avec Dégénérescence, c'est même la toute première fois.

La publicité traitée avec un petit côté raccrocheur, les couvertures ornées de couleurs voyantes pour attirer le regard, le mot "Frayeur", énorme, à la limite du choquant — mais un livre de kiosque est fait pour se vendre —, vont hérisser certaines personnes, bien que les illustrations ne possèdent en rien la démesure dans le mauvais goût de celles qui firent les beaux jours de la collection "Gore".

Foin de ces purs et durs qui nous rabattent les oreilles en clamant que seuls les Anglo-Saxons sont capables d'écrire du vrai roman fantastique, les seuls susceptibles de nous tenir en haleine, voire de nous captiver à la limite du supportable. De toute manière, ces mêmes personnes affirmeront aussi que les Français ne sont pas qualifiés pour écrire de la Science-Fiction. N'en déplaise à d'autres, même le prix extrêmement bas des livres (19 FRF) va ravir les nombreux lecteurs qui regrettaient la défunte collection "Angoisse" — la première —, et initier à ce genre ceux qui ne la connaissaient pas. Il est certain que des critiques vont vite snober ces livres pour “faire bien” et écrire, sans même avoir dépassé la couverture, que c'est de la “crotte” — ce synonyme pour ne pas employer le mot plus virulent relevé dans plusieurs fanzines…

Enfin ! devrions-nous clamer, nous allons lire du bon roman fantastique français, inédit, à petit prix, et composé dans des polices de caractère qui ne nous obligent pas à prendre une loupe pour les déchiffrer. Des bouquins qui nous occuperont l'esprit agréablement pendant deux heures sans qu'ils nous tombent des mains dès les premières pages.

Le Clown de minuit inaugure avec bonheur cette série dans un style agréable et soigné, sans redondance et toutefois aisé d'accès.

Alain Venisse, spécialiste du cinéma fantastique et collaborateur de nombreux réalisateurs ou rédacteurs de revues, assure qu'il eut l'idée de ce roman bien avant le fastidieux Ça de Stephen King, et on veut bien le croire. Ici, pas de déblayage sur quelque mille cinq cents pages où l'on attend aux confins de la somnolence, et souvent en vain, des rebondissements. On se contente de cent soixante pages et on entre aussitôt de plein fouet dans l'action. Les courts chapitres sont emplis de mouvements et on appréhende, tout en la souhaitant, l'arrivée de ce clown souriant et facétieux au moment où le protagoniste s'y attend le moins. Les pitreries durent peu. Le clown montre vite sa véritable personnalité et fait subir les pires sévices à ses victimes. Il nous hérisse si bien la peau qu'il est bien difficile de refermer livre avant d'en avoir lu le dernier mot. On est tenu en haleine et c'est ce qui démontre le véritable talent de l'auteur, qui vient de récidiver en octobre avec une Symphonie pour l'enfer (nº 5) qui n'est pas piquée des vers.

Cathy, fillette handicapée physique, est outrageusement gâtée par sa mère. Cathy a ses exigences et ses têtes, et, curieusement, ceux pour qui elle éprouve une quelconque aversion, même parfois passagère, subissent de terribles châtiments de la part d'un clown. Certains chapitres, comme celui où un dentiste se fait casser chacune de ses dents, avant d'avoir les yeux perforés, sont particulièrement intenses. Pour qui connaît le supplice de la fraise, on a l'impression d'en entendre l'agaçant petit ronronnement et de la voir s'approcher de notre bouche grande ouverte, alors qu'on est ligoté sur le fauteuil incapable du moindre mouvement. Alors, Cathy, petit démon auteur de ces crimes effrayants ou adorable angelot subissant une néfaste influence ? Le personnage de la fillette oscille entre celui de la petite possédée de l'Exorciste et celui de Carrie, l'adolescente tourmentée due à la plume de Stephen King, qui avait des dons dont elle ne soupçonnait pas immédiatement l'efficacité. Quant au clown qui salue et fait des pitreries devant ses victimes avant de leur fracasser la tête avec une masse peinte de couleurs vives, qui est-il exactement ?

À la limite du gore sans en posséder le côté sordide que certains lui reprochèrent, le Clown de minuit est un excellent roman.