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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 10 Deus ex

Keep Watching the Skies! nº 10, février

Norman Spinrad : Deus ex

(Deus ex)

roman de Science-Fiction ~ chroniqué par Pascal J. Thomas

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Supposons qu'on ait trouvé le moyen de modéliser une conscience humaine — enfin, les réactions d'un esprit humain — par un système expert. Supposons que les gens qui ont suffisamment d'argent puissent ainsi se faire conserver après leur mort dans un système informatique mondial qui ressemble au réseau des cyberpunks, mais qui est surtout un descendant des systèmes d'information en temps réel employés par les cow boys boursiers. D'ailleurs, les systèmes experts en question peuvent et doivent travailler pour gagner l'argent qui paie le loyer de l'espace-disque, histoire de ne pas être effacés. Supposons que l'Église Catholique — le Vatican, ses pompes et ses œuvres, impressionnent encore les auteurs de S.-F., même et surtout s'ils ne sont pas croyants eux-mêmes — se pose sérieusement la question de l'existence de l'âme d'un logiciel, et qu'un héroïque prêtre qui sent sa fin venir accepte de faire l'expérience…

Ce bref roman démarre sur les chapeaux de roues, avec l'intervention — car, si l'expérience se passait sans problème, il n'y aurait guère d'histoire — d'un privé du cyberspace qui, hybridation du roman noir et de son statut de rasta oblige, s'appelle non pas Philip Marlowe mais Marley Philippe. Spinrad ne se prive pas de plaisanter, se livrant à une parodie ouverte mais amicale des cyberpunks d'il y a dix ans. Dommage que sa verve ne traverse pas toujours bien le filtre de la langue française. Le personnage de Pierre De Leone, prêtre intègre, est aussi fort bien rendu sur fond d'une Église plongée dans l'incertitude et l'opportunisme, dirigée par une papesse chicana.

Si la question de Turing (trouver un programme qui soit, dans ses réponses, indistinctible d'un être humain) se pose dans ce roman autant que dans le Problème de Turing, c'est sans aucun détail technique. On sent que Spinrad en connaît à peu près autant en informatique que l'usager de Macintosh moyen, et ne se soucie guère du comment. Les questions morales ou politiques l'accrochent plus, mais le monde environnant — en bien piètre état — n'est qu'esquissé, et la deuxième moitié du livre, au sein de la matrice informatique, finit par manquer de sel. Malgré le dilemme du système expert "Père De Leone", le livre n'atteint pas la force d'un Cas de conscience de James Blish. Il est dommage aussi que Spinrad n'ait guère développé les possibilités de fraudes et de complications inhérentes à son concept d'“entités successibles” — si, par exemple, une copie informatique était faite d'une personne vivante, et se mettait à vivre avant la mort de son modèle ? On peut penser que la procédure se produirait souvent, puisque la mort n'est pas toujours prévisible, et qu'elle pourrait mener à des chicaneries sans fin entre faux jumeaux électroniques…

Quoi qu'il en soit, il est rare, de nos jours, de voir des romans de moins de deux cents pages, et Spinrad mérite au moins des félicitations parce qu'il ne nous ennuie pas : on n'a pas le temps de réfléchir aux lacunes du livre…