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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 13-14 la Voie terrestre

Keep Watching the Skies! nº 13-14, juillet-août 1995

Robert Reed : la Voie terrestre

(Down the bright way)

roman de Science-Fiction ~ chroniqué par Pascal J. Thomas

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Ils sont arrivés un jour sans prévenir, et ont commencé à installer les portiques qui réuniront la Terre à toutes ses sœurs parallèles par le biais de La Clarté, tunnel entre les univers parallèles : les Vagabonds se sont donnés pour mission l'union fraternelle des humains de toute sorte, et la découverte des mystérieux Créateurs qui ont un jour construit la Clarté. Leur arrivée produit évidemment un effet considérable, au point de pousser des jeunes mal dans leur peau — comme Kyle — à se faire passer pour un des visiteurs venus de l'espace d'à côté, et à en tirer une séduction qu'il n'a jamais possédée.

Mais, alors que la meneuse charismatique et quasi-immortelle des Vagabonds, Jy, reçoit les hommages de ses admirateurs, elle se trouve victime d'une prise d'otage exécutée par un de ses très anciens collaborateurs…

Curieusement, c'est quand il ne se passe rien — au cours des 150 premières pages de présentation des personnages — que le livre est le meilleur. Quand Reed se met à l'action, cela tourne au thriller américain, avec les braves héros cherchant à déjouer les plans des vilains preneurs d'otages, et la résolution finale des grandes questions posées dans le livre me semble trop miraculeuse pour être crédible.

Pourtant, en dépit du côté farfelu de l'invention de cette Bright Way qui relie entre elles les Terres parallèles — et les Terres seulement, semble-t-il, à l'exclusion de tout autre point de l'espace — en dépit de ses occasionnelles âneries (« Il leur fallut cinq semaines et demie pour rentrer chez eux, après avoir vu défiler un demi-million de Terres », p. 344 — on espère qu'ils n'auront pas trop cligné des yeux, vu que cela représente six secondes par monde, jour et nuit, et sans période de transition), Robert Reed sait communiquer l'impression d'immensité inhérente à son infinité de mondes parallèles, et renouvelle agréablement le motif du "premier contact".

Surtout, il donne avec Moliak un “méchant” très crédible parce que très motivé, et finalement sympathique, confronté qu'il a été au mal absolu que représentent les InTrouvés, perversion de l'humanité qui est proprement incroyable — au bout d'une minute de réflexion, on doute de la vraisemblance de la création, mais on peut l'accepter pour son potentiel de peur et son signifiant moral (plus que comme une construction intellectuelle répondant aux canons de la SF “dure”). Ne se combattent que des adversaires suffisamment semblables : s'ils ne l'étaient pas à la naissance du conflit, ils le deviennent, et Reed a su mettre en scène ce principe.

Si ce livre est son meilleur parmi ceux que j'ai pu lire, par l'ampleur de sa vision et par la perversité de la psychologie de certains de ses personnages (qui montre l'auteur prenant ses distances avec le discours “tout le monde il est beau tout le monde il est gentil” des Vagabonds), il comporte néanmoins des faiblesses patentes, voire criantes dans la résolution finale. On aurait aussi aimé en savoir un peu plus sur la vie (au-delà du fonctionnement mécanique) de la société nomade des Vagabonds ; il manque à mon goût une exploitation de la tension entre nomadisme et sédentarité. Sans parler de ce titre français d'une platitude lamentable comparée à l'impact de l'original anglais (n'aurait-on pu trouver quelque chose comme les Vagabonds de la clarté ?). Comme d'autres, je suis un peu surpris que ce roman ait décroché, dans la catégorie étrangers, le Grand Prix de l'Imaginaire 1995. Mais il mérite d'être lu.