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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 15 la Plage de verre

Keep Watching the Skies! nº 15, octobre 1995

Iain M. Banks : la Plage de verre

(Against a dark background)

roman de Science-Fiction inédit en français ~ chroniqué par Pascal J. Thomas

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Texte chroniqué alors qu'il était encore inédit en français.

Pour donner à ses visions la profondeur de champ, temporel aussi bien que spatial, qu'elles requièrent, le space opera aime à évoquer les époques reculées, à mettre brutalement en contact Antiquité (ou préhistoire, ou Moyen-Age), avec une civilisation futuriste. Bien souvent, l'effet recherché en est diminué : le téléscopage des époques écrase le champ, efface la complexité du chemin qui a pu conduire de l'une à l'autre.

Iain Banks, qui a ces dernières années renouvelé avec maestria le sous-genre du space opera , a toujours évité de tomber dans ce piège, et les planètes qu'il imagine fourmillent d'une complexité due autant à l'accumulation des époques historiques qu'à la variété des cultures qui les habitent. Bref, Banks parvient à donner à ses mondes une texture qui rappelle celle de notre propre planète — l'exploit n'est pas mince.

Si la plupart des space opera nous font rencontrer des bons sauvages ou, au mieux, des sociétés moyenâgeuses (comme l'heroic fantasy, voir l'article de Jean-Louis Trudel sur Hugues Douriaux dans ce même numéro), Banks sait évoquer les modèles beaucoup plus complexes issus du xixe siècle, et se moque impitoyablement des sociétés moyenâgeuses par le biais, dans ce livre, de son royaume des Useless Kings — toute ressemblance avec la monarchie anglaise étant, bien entendu, purement fortuite.

À la longue, et au-delà de la recette joyeusement expliquée par l'auteur lui-même (« je vais écrabouiller les uns sur les autres des gros artefacts, et j'aurai des communistes qui seront des bons, et ils gagneront, prenez ça, M. Pournelle ! »), on retrouve certaines constantes dans l'imagination de Banks. Le rail, par exemple. Banks, qui est écossais, doit être un Victorien refoulé, un nostalgique, qui sait, de l'âge d'or industriel de la ville de Glasgow, ou un fan secret de James Watt ? En tout cas, il multiplie dans ses livres les trains de toute sorte — rappelez-vous le cataclysmique accident de métro au fin fond d'une base militaire millénaire dans une Forme de guerreLa Plage de verre s'ouvre sur un téléphérique, et nous aurons droit, outre un train ordinaire, à une attaque de monorail, et à un système de menottes attachées à des rails muraux dans un château-prison, destiné à guider gardiens et pensionnaires.

Et ce n'est que le début de l'arsenal de moyens de transport employés (et souvent sauvagement ratatinés) au cours du livre : moto, aéroglisseur, navires, sans compter les plus banals vaisseaux spatiaux…

On notera au passage que, malgré sa ressemblance avec les romans de la série, par sa texture, par l'existence de super-technologies anciennes au secrets oubliés, la Plage de verre se déroule sur une planète isolée de toute galaxie, et ne se rattache pas au cycle de la Culture. Banks y manifeste à nouveau son peu de goût pour les religions ou le capitalisme, et son imagination en matière de systèmes sociaux.

L'intrigue du roman a été vue mille fois : la vieille équipe (de mercenaires, de brigands, de défenseurs de la loi, choisissez) se retrouve après quelques années d'inactivité, se fait convaincre, individu par individu, de reprendre la route (personne ne peut refuser, et profiter d'une retraite bien gagnée, ce serait dramatiquement inacceptable), et va se trouver confrontée à une foule d'obstacles inattendus en essayant d'atteindre son but théorique. Le but réel, nous le savons, est pour l'auteur d'accumuler les péripéties afin d'arriver à un livre d'une longueur arbitraire — et ici plutôt confortable. Tout se résume finalement à une de ces querelles de famille d'une amertume irréductible dont Banks est friand, introduite en flash back au cours de l'action avec l'habileté consommée qu'il a démontré pour ce genre de choses.

Banks jette son talent par les fenêtres avec une énergie peu commune ; comme il décrit amoureusement, puis réduit méthodiquement en miettes, une étonnante série de gadgets perfectionnés et d'œuvres d'art inestimables, il lance un feu d'artifice de techniques littéraires et de création de mondes dont chacun pourrait faire l'objet d'un roman entier sous la plume d'un écrivain à l'imagination moins fertile. Et en fin de compte, l'issue de l'action (et la morale ?) semble toujours la même : nous mourrons tous nus. Mais la vie est quand même intéressante. Averti de ce… détail, le lecteur pourra décider ou non de se plonger dans ce roman aussi efficace que sans but.