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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 15 Theophano 960

Keep Watching the Skies! nº 15, octobre 1995

Pierre Stolze : Theophano 960

roman de Science-Fiction ~ chroniqué par François Rahier

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Annoncé par le service de presse sous le titre de Rage d'images, c'est finalement sous celui, plus ésotérique, de Theophano 960 que paraît le premier roman de Pierre Stolze au Fleuve noir. Ancien élève de Normale Sup', l'auteur a déjà publié plusieurs livres de SF (Cent Mille Images et Intrusions entre autres) et de nombreuses critiques.

Tout commence en 960, au siège de Candie, capitale de la Crète que les Byzantins veulent reprendre aux musulmans. Serions-nous en plein roman historique ? Nicéphore Phokas, commandant du corps expéditionnaire grec et amant de l'impératrice, la belle Theophano, voit soudain surgir dans le ciel un stuka en piqué tout droit sorti de la Seconde Guerre Mondiale. Le réel vacille : à quelle époque sommes-nous en fait ?

La fantaisie de Pierre Stolze, qui joue avec les genres, son style désinvolte, quelquefois négligé, sans respect en tout cas pour un sujet en apparence héroïque, mêlant les registres, le trivial et le soutenu, le lyrique et le cocasse, la façon très particulière enfin dont est rédigée la quatrième de couverture — à la manière du début d'un “Livre dont vous êtes le héros” — rassurent vite le lecteur hésitant, et le réconfortent : pas de profondeurs creuses sur le devenir historique de l'humanité, ou de variations approximatives et ennuyeuses sur les paradoxes spatio-temporels à attendre et à redouter, nous sommes bel et bien dans le monde du jeu, des images et des fantasmes, quelquefois plus près — et on pourra le regretter — de Super Mario que de Van Vogt ou Gérard Klein, en tout cas pris corps et âme dans un tourbillon étourdissant de personnages, de décors, d'actions, dont le caractère inachevé à dessein stigmatise l'inconsistance fondamentale : le réel n'est-il pas autre chose qu'un jeu vidéo à l'échelle de l'univers, l'aventure humaine se réduisant à la course contre la montre de Bart Crew (l'alter ego de Nicéphore) pianotant sur sa game boy pour sauver le Petit Astronaute Vert ? Dérision et humour corrosif souvent rachètent les défauts du livre : Stolze zappe sur ses personnages, éclatant constamment un récit déséquilibré par l'introduction au milieu du roman d'un narrateur qui s'exprime à la première personne, et en rajoute parfois un peu trop sur des sujets qu'il connaît (les bronzes archaïques chinois ou le vaudou), courant le risque de la digression. Mais, par là, et c'est peut-être l'objectif recherché, il donne une réelle consistance à certains personnages purement fictifs (Baron Samdi et les autres loas du panthéon vaudou sont particulièrement réussis), les êtres de chair et de sang promenant dans le récit d'assez falotes personnalités. Tourbillon d'idées, aussi : ce qui intéresse sans doute davantage l'auteur, qui joue avec les concepts comme avec les images ; il y a cent romans dans ce livre, du fantastique à la SF dans toutes ses nuances en passant par l'heroic fantasy qui n'est pas la seule à être parodiée, et un hommage à la fiction : notre soif inextinguible d'images nous amènera peut-être aux simulations en RV, mais pas en toute impunité, nous dit Stolze. Les images peuvent prendre leur autonomie, devenir enragées et dévorer les hommes. Un jour peut-être le virtuel deviendra plus réel que la réalité elle-même. Que ce jour, alors, au fin fond de l'espace, nous rencontrions des pocs-pocs — ces bestioles velues si sensibles qui sont de véritables banques de données montées sur pattes —, et tout peut basculer. Plus qu'une techno-prospective des visages de demain, Theophano 960 relève d'une SF insolite explorant des lendemains qui déjantent avec le détachement insolent qu'en d'autres temps on a connu à Spinrad. Peut-on demander mieux à un tout jeune auteur du Fleuve ?

Notes

››› Voir autre chronique du même livre dans KWS 13-14.