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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 17 the Year's best science fiction 12

Keep Watching the Skies! nº 17, février 1996

Gardner Dozois : the Year's best science fiction 12: 1994

anthologie de Science-Fiction et de Fantasy inédite en français ~ chroniqué par Pascal J. Thomas

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La sélection annuelle de Dozois n'a désormais plus de concurrent (dans le domaine de la SF). Reflète-t-elle les tendances du domaine ou les goûts de son coordinateur ? Les deux, sans doute, mais Dozois lui-même ayant une influence de plus en plus incontournable (au niveau des textes courts), je ne m'échinerai pas à étudier la différence.

Une donnée numérique : dans l'édition de cette année, sur 23 textes, 9 sont issus d'Asimov's science fiction, le magazine dirigé par Dozois. C'est beaucoup, mais ça laisse la place pour trois textes de F & SF et deux chaque d'Omni et Interzone, le reste se répartissant entre des sources diverses, dont pas mal d'anthologies.

Si l'année dernière, le Best de Dozois donnait l'impression de se transformer en dépliant touristique, cette année-ci, il nous offre, pour une moitié du recueil environ, des voyages dans le temps ; la destination la plus recherchée est le passé — ce n'est pas surprenant : les coins perdus des USA où nous emmenait le Volume 11 peuvent être considérés comme des réserves historiques…

Dans la demi-douzaine de textes qui louchent franchement vers le passé, nous avons une uchronie de Walter Jon Williams, une de plus, et encore une qui repose sur le destin d'un personnage célèbre : ici c'est Elvis qui devient un protest singer, l'idée est amusante, même si le texte doit tout à son personnage, et non l'inverse. On notera avec intérêt que, dans la SF comme dans la chanson populaire, les Américains aiment à mêler les leaders, politiques ou religieux, et les musiciens. Pourtant ces derniers en ont beaucoup rabattu de leurs prétentions charismatiques depuis les années 60…

De son côté, Lisa Goldstein nous parle d'un vrai leader religieux, sans beaucoup enjoliver son histoire — voir chronique du recueil Travelers in magic dans lequel, c'est inhabituel, ce texte a connu sa première publication.

Mike Resnick, comme à son habitude, rabâche l'histoire du Kenya dans "Seven Views of the Olduvai Gorge". Quand je pense que ce texte a encore valu à son auteur un prix Hugo… Si Howard Waldrop ne change pas non plus de style avec "The Sawing Boys", il ne court pas, lui, le risque de nous ennuyer, car sa spécialité est la résurrection de chapitres parfaitement obscurs (et jamais stéréotypés) de l'histoire américaine. Une fois de plus, c'est désopilant.

Enfin, les deux très bonnes surprises du recueil sont un texte qui flirte avec le fantastique par son usage de la sorcellerie indienne, "Going after Old Man Oklahoma", de William Sanders — quel humour dévastateur ! — et "Melodies of the Heart", de Michael F. Flynn, seul texte à provenir d'Analog, et bien différent de l'image que l'on se fait de cette revue. Ici le voyage dans le temps se fait dans les souvenirs musicaux d'une vieille dame qui se révèle d'une incroyable longévité. Mais la vie personnelle du chercheur est un objet tout aussi important du texte. Magnifique réussite.

Il est des futurs qui ressemblent au passé, comme celui imaginé par Maureen F. McHugh dans "Nekropolis", qui se situe dans une ville qui pourrait être arabe, où l'esclavage est pratiqué. La vie d'une esclave — humainement traitée, protégée par la loi, mais esclave néanmoins — est très bien vue, mais McHugh a fait mieux.

Une des grandes nouvelles de l'année SF, c'est le retour spectaculaire d'Ursula Le Guin à la SF qu'elle pratiquait dans les années 60, et plus particulièrement à l'univers de l'Ekumen (un recueil est déjà sorti aux USA). Ce retour est représenté ici par deux textes, "Forgiveness Day", histoire d'espionnage et d'enlèvement qui trahit trop facilement les correspondances avec notre propre géopolitique, et "The Matter of Seggri", beaucoup plus intéressante, qui se présente comme une collection de documents historiques sur une planète où domination physique des hommes et développement séparé des femmes ont finalement conduit au triomphe de celles-ci quand le progrès technologique a favorisé les professions intellectuelles. Passionnant comme un livre d'histoire, avec cependant un échantillon de la littérature sentimentale de Seggri…

Je ne saurais décrire le genre dans lequel se place Terry Bisson, humoriste décalé qui a beaucoup de succès en SF (cf. chronique de son recueil Bears biscover fire). Dans "The Hole in the Hole", bien meilleur que "Dead Man's Curve", c'est le futur que nous avions rêvé, la Lune des missions Apollo, qui s'est transformé en passé poussérieux, pire : coté par les antiquaires. Mais le plus beau de l'histoire, c'est ce casseur installé au fond d'un bidonville où le protagoniste est attiré par sa recherche de pièces de Volvo à bon marché… Je ne sais pas si Bisson sait décrire la Lune, mais il sait décrire la pagaille qui règne dans les garages.

Enfin, le passé pèse de tout son poids comme référence littéraire, explicite dans la longue nouvelle policière de Stableford, "Les Fleurs du Mal", implicite dans "Flowering Mandrake" où George Turner reprend avec force détail l'idée de la menace végétale introduite par John W. Campbell avec sa "Chose d'un Autre Monde".

N'allez pas croire que la SF telle que nous la connaissons est en voie de disparition. Vous trouverez dans ce recueil trois textes d'inspiration médicale, c'est-à-dire tournant autour de l'ingénierie biologique qui peut se pratiquer sur le corps humain, dont "None so Blind" de Joe Haldeman (prix Hugo lui aussi, et avec plus de justice) et le génial "Cocoon" de Greg Egan (qui a perdu de peu un Hugo, et l'aurait mérité à mon sens). Le troisième, c'est Nancy Kress, qui frappe ici avec méchanceté, concision… et justesse ? Question d'opinion, mais ça vaut le coup d'être lu.

Deux textes se déroulent dans l'espace, un de Robert Reed qui a distillé en moi l'ennui poli que m'inspire cet auteur, et un autre de Stephen Baxter, que j'ai trouvé génial — dans le style Astounding des années 30, et pourtant sans donner l'impression de la redite.

Dans l'espace aussi, Michael Bishop, avec son vaisseau de colonisation interstellaire, tombe à plat ; mais ce qui compte chez lui sont les connotations politico-sociales, et dans la même catégorie, si Katharine Kerr n'a guère de souffle, Geoff Ryman montre lui tout l'humour épouvantablement noir que l'on peut attendre d'un Anglais vivant dans une société post-thatchérienne, et extrapolant à peine la vie au sein de l'entreprise.

Enfin, Pat Cadigan et Eliot Fintushel portent bien haut le drapeau de l'ambiance jeunesse excitée et style exigeant pour le lecteur.

Bref, il y a peut-être des modes, mais tout le monde peut trouver son plaisir dans ce livre — dont les meilleurs textes sont sans doute au-dessus des meilleurs de l'année dernière.