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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 24-25 Endymion

Keep Watching the Skies! nº 24-25, juin 1997

Dan Simmons : Endymion

(Endymion)

roman de Science-Fiction ~ chroniqué par Christo Datso

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Il était une fois un berger d'une grande beauté dont la Lune tomba amoureuse… On dit que la jeunesse éternelle lui fut accordée par les dieux, ainsi qu'un éternel sommeil. La Lune lui rendait visite, peuplait ses rêves et veillait sur sa fortune. La mythologie grecque à l'origine de ce récit, inspira en 1817 au poète romantique John Keats le premier de ses grands poèmes : Endymion. Keats écrivit également par la suite Hypérion et la Chute d'Hypérion, ainsi que Lamia. Dan Simmons marchant sur les traces du poète nous a livré Hypérion et la Chute d'Hypérion, qui rencontrèrent un succès phénoménal. Le cycle d'Hypérion peut d'ores et déjà être considéré comme une des œuvres majeures de la S.-F. Endymion est donc le troisième volume de la saga qui devrait se conclure avec l'Éveil d'Endymion, prochainement annoncé.

« Vous êtes en train de lire ceci pour de mauvaises raisons. » Avec cette phrase choc, le narrateur du nom de Raul Endymion nous alarme d'entrée de jeu et s'en prend à notre curiosité. Veut-il nous signifier que le récit qui va suivre n'est en rien le prolongement d'un livre que nous aurions lu et dont nous attendrions impatiemment la conclusion ? Fort habilement, Dan Simmons, conscient du risque d'écrire une suite, stimule au plus haut point notre envie de savoir, car une fois la lecture commencée, rien ne peut plus nous arrêter, et tant pis s'il y a encore un volume à lire, pour tout comprendre, pour être enfin apaisés. Il fait la preuve une fois de plus de son talent fou à nous entraîner dans une histoire qui nous laissera à la fin avec plus de questions qu'au début.

Nous y retrouverons en effet les grands thèmes des volumes précédents, mais ne serons pas plus avancés pour comprendre, par exemple, le rôle du gritche, protecteur, monstre ou dieu, ou celui des Extros, ces métamorphes humains qui vivent dans leurs essaims à bord du vide spatial. Nous n'aurons toujours qu'une idée lointaine de la guerre que se livrent les Intelligences Artificielles du Technocentre, même si nous savons depuis la Chute d'Hypérion qu'ils sont un des moteurs principaux du cycle. Par contre, le cruciforme, ce symbiote et parasite d'immortalité qui apparaissait dans le récit hallucinant du Père Hoyt, le premier pèlerin d'Hypérion, devient central dans Endymion, car il fait l'objet d'un nouveau sacrement de la part de l'Église Catholique, qui mérite bien ici son nom d'universelle.

Nous ferons connaissance dans ce roman de deux personnages extrêmement attachants, que nous accompagnerons jusqu'au bout de leur quête : Raul Endymion, condamné à une mort aléatoire qui nous écrit l'histoire de sa vie, et la jeune Enée, qu'il a arrachée aux griffes de la redoutable Garde Vaticane. Fille du cybride John Keats et de la détective Brawne Lamia, elle a émergé des Tombeaux du Temps avec la connaissance de l'avenir. Nous les accompagnerons dans leur fuite le long du fleuve Théthys, une ancienne voie distrans qui passe par une centaine de mondes, à la recherche de la Terre. Et tout cela pour quoi, sinon pour satisfaire le désir d'un poète, car Martin Silenus — sans doute le personnage le plus important du groupe des sept pèlerins à l'origine de la saga — est bien à la source de cette quête. N'est-ce pas une façon de dire que la poésie est primordiale ?

Le roman est construit sur deux points de vue différents, la narration à la première personne de Raul Endymion, et le récit du père capitaine de Soya, le chasseur lancé aux trousses d'Enée pour le compte de la toute puissante Église Catholique. L'action se situe trois siècles après la Chute de l'Hégémonie, et nous entraîne dans une succession d'aventures, une véritable épopée qui nous touche d'autant plus que ses héros sont fragiles. Bien que linéaire, portée littéralement par le puissant fleuve, l'histoire et ses rebondissements d'un monde à l'autre se saisit de nous avec ce sense of wonder que seule la meilleure S.-F. peut dispenser. La place très importante occupée par la religion et la métaphysique de la mort dans Endymion, en font bien plus qu'un simple roman d'aventure ; il pose la question du salut individuel dans une société qui vaincu la mort. Pourquoi Raul Endymion refuse-t-il de porter le cruciforme, sinon pour vivre pleinement sa vie, et l'écrire ?

Dan Simmons enrichit la littérature de Science-Fiction avec une œuvre de première grandeur directement inspirée par le romantisme, et où les références à la poésie sont explicites. Le titre même de l'œuvre majeure de Martin Silenus, les Cantos, nous renvoie à l'œuvre du poète américain Ezra Pound qui composa ses Cantos pendant toute sa vie. Ce qu'on a dit de cette œuvre c'est qu'elle constituait une tentative d'écrire une “archéologie de la culture”. C'est ce que cherche peut-être Dan Simmons dans le champ de la Science-Fiction, mais à la différence de Frank Herbert qui incarne le prototype des créateurs de monde avec Dune, et qui nous propose par l'écriture d'habiter un monde imaginaire, les Cantos développent en filigrane l'idée d'un monde comme écriture, référence à d'autres livres-mondes, clé sur la littérature, et n'ayant d'autre finalité que l'écriture, que le plaisir du poète. Pour conclure, nous dirons avec Keats, qui écrit au début d'Endymion : « Tout objet de beauté est une joie éternelle. ».