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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 27 le Feld-maréchal von Bonaparte

Keep Watching the Skies! nº 27, décembre 1997

Jean Dutourd : le Feld-maréchal von Bonaparte : considérations sur les causes de la grandeur des Français et de leur décadence

essai ~ chroniqué par Éric Vial

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Il y a des titres qui “font” S.-F. Uchronie pour être plus précis. Et qui font oublier la chape d'ennui promise par un sous-titre, même hautement référentiel. On achète et on se fait avoir. Dans ce cas précis, il y a cependant de la S.-F., même si c'est en moins grande quantité qu'on serait en droit de l'espérer. Et il y a un peu moins d'ennui que le sous-titre ne le promet — peut-être parce que l'ouvrage est bref, et que l'auteur sait écrire — depuis le temps qu'il sévit, c'est bien le moins qu'on pouvait espérer.

Mais, premier problème, c'est un essai. Quelques phrases, quelques échappées, quelques idées, et peu de développement. Les amateurs de romanesque en seront lourdement pour leurs frais. Le feld-maréchal du titre n'occupe guère que les toutes dernières pages, et si on a le détail de la façon dont il arrive à ce titre, cela manque singulièrement de vie. Il est vrai qu'on a d'autres pistes, d'autres hypothèses, d'autres uchronies potentielles. Ce qui pourrait être une compensation. Faute d'histoire, on pourrait se contenter d'une série d'histoires potentielles. Mais, second problème, ces histoires potentielles se réduisent à une obsession, déclinée sur tous les tons et tous les modes : c'est la faute à 1789. Tout. Tous les nationalismes. Toutes les dictatures. Hitler et Staline. Tout, en vrac, en gros, au détail.

Le raisonnement, s'il faut l'appeler ainsi, se fondant sur une vision idyllique de l'Ancien régime, assez courante à vrai dire (« Il est vrai que tout le monde avait bon goût en France, avant 1789 » — no comment). Il se fonde aussi sur la conviction naïvement exprimée que la monarchie protège de toutes les horreurs du progrès — il faut supposer qu'il s'agit de la monarchie absolue, ou que l'ineffable auteur ne sait pas sous quel régime constitutionnel vivent bon nombre de nos amis d'Europe occidentale. Il se fonde enfin sur le retournement d'une doxa naïve, très “Troisième République”, qui a effectivement pu faire de la Révolution française sinon l'oméga, du moins l'alpha de toute chose. Ce n'est plus guère de saison depuis quelques décennies, mais il semble que Dutourd se soit emparé de cette vision, et l'ait retournée… Il part d'un nombrilisme cocardier, et le retourne. Bref, il regarde notre nombril national, et le trouve haïssable. Il n'y a pas lieu de le contredire, d'ailleurs. Peut-être pourrait-on l'inviter à lire Alexis de Tocqueville, ou, si le fait de déchiffrer de petits caractères lui pose problème, de trouver parmi ses petits camarades de l'Académie française quelqu'un qui ait quelque intelligence et quelque culture. D'Ormesson, par exemple. Qui démontra autrefois, avec la Gloire de l'empire qu'il savait ce qu'est une uchronie. Et qui pourrait lui expliquer deux ou trois choses.

Alors, on peut faire vivre Louis XVI jusqu'à 1830 et la bataille d'Hernani, rêver d'un Drouet myope le laissant passer au-delà de Varennes, pleurer sur des châteaux incendiés par les paysans, élucubrer une Révolution qui aurait intégré la France à une Europe supposée immobile, en ajoutant que « redonner sa monarchie à la France, c'était comme de dénazifier ou déstaliniser » [sic], ou même parler, dans “nos” U.S.A., d'États du Nord vivant en bonne intelligence avec des États du Sud francophones, une Louisiane où l'on n'aurait pas liquidé les Indiens. On peut même faire faire à Napoléon la carrière autrichienne du titre, en ne laissant pas les Génois vendre la Corse à la France. Cela se résout en quelques phrases, deux banalités, trois platitudes, une obscénité polie (par exemple : « De Clovis à la fin du xviiie siècle, on a tué bien des gens en France mais, si l'on peut dire, sans y mettre d'intention mauvaise »). Le lecteur, las de s'énerver, s'ennuie. Et voilà comment on gâche un bon titre. Voilà aussi comment on encombre pour rien les colonnes de KWS, entends-je maugréer quelque part…