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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 27 les Survenants

Keep Watching the Skies! nº 27, décembre 1997

René Reouven : les Survenants

roman fantastique ~ chroniqué par Pascal J. Thomas

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Les revenants sont morts, certes, mais eux au moins auront vécu. Les survenants n'auront pas eu cette chance — ils ne sont jamais nés, alors qu'ils auraient pu l'être. Ils ne se manifestent pas par des apparitions, mais par des tentatives de possession de ces vivants dont ils peuvent peut penser qu'ils ont usurpé leur place. Comme dans Futurs perdus, de Lisa Tuttle, et l'Échange, d'Alan Brennert, le sujet du livre est le vertige que l'on éprouve face aux multitudes d'impondérables qui ont pu mener à la venue au monde, puis au façonnage, d'une identité donnée. Ici, toutefois, on n'aura pas droit à la biographie détaillée des protagonistes du récit, Gilbert Gréjac, et Odélie et Philippe Duchâtelet. L'irruption des survenants ne modifie que des comportements, des attitudes souvent superficielles (aimer ou détester les chats, boire ou pas, fumer ou pas…) ou des caractéristiques physiques secondaires (présence ou non d'un diabète, gaucher ou droitier…) Et tout compte fait, l'intrigue — hormis l'enquête sans cesse rongée par le doute et les soupçons de schizophrénie — ne repose que sur les amours contrariées de Gilbert et Odélie, amours au charme bien suranné.

Le Fantastique de Reouven/Sussan se nourrit souvent de parfum passéiste et du recours à une érudition fantasmée, aux références imaginaires qui choquent par leur part de vraisemblance. Duchâtelet, dont le survenant est le descendant potentiel d'un Évariste Galois ayant survécu à son funeste duel, compile une biographie du célèbre mathématicien qui en fait l'auteur, au xixe siècle, de livres dont les titres renvoient à la science de la fin du xxe. Que le génial précurseur de l'algèbre moderne soit le père de la théorie des groupes, soit, mais de là à le voir en prophète des dimensions cachées et d'une physique post-relativiste, il y a un pas difficile à franchir [1] . Passé un certain degré, l'anachronisme cesse d'émoustiller l'esprit pour susciter l'incrédulité. De la même façon, le roman privilégie un Fantastique très fin de siècle, centré sur la découverte progressive — et remise en cause par un personnage de faire-valoir rationaliste, incarné ici par Pojols — de faits extraordinaires, mais jamais sur leurs conséquences à long terme. Ce Fantastique est décalé dans le temps, non seulement par rapport à la date de publication du livre, mais encore aux références explicites du texte à toute une série d'ouvrages de Science-Fiction.

Reouven au pu jouer jusqu'au bout le jeu de faussaire du “à la manière…” auquel il excelle, paraît-il, dans le domaine du policier, et donner un roman mineur mais agréable. Celui-ci ne rentre pas tout à fait dans cette catégorie, et, bien qu'il dégage des émotions parfois prenantes, n'a réussi à me combler ni au titre de moderne, ni à celui de copie d'ancien. Il gaspille, en quelque sorte, une idée qui n'était pas inintéressante.

Notes

[1]  Les profanes doivent se méfier de la nomenclature mathématique : les praticiens du domaine, modestes, ont tendance à donner des noms qui renvoient à des pionniers bien antérieurs. Ainsi connaît-on aujourd'hui bien des objets théoriques dits “galoisiens” dont le pauvre Galois n'aurait pas pu avoir la moindre idée.