KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

Fabrice Colin : Vestiges d'Arcadia (Arcadia – 1)

Fabrice Colin : la Musique du sommeil (Arcadia – 2)

roman fantastique en deux parties, 1998

chronique par Pascal J. Thomas, 1999

par ailleurs :

Où se situe Arcadia, le roman ? À Paris en 2012, ou dans le monde d'Arcadia, à Londres en un 1872 que nous n'avons jamais connu ? Les lieux et la chronologie ont-ils un sens quand chaque geste se mesure à ses conséquences surnaturelles, quand tous les niveaux de réalité entrent en correspondance ?

Arcadia — le livre — s'ouvre sur une fin du monde tranquille au xxie siècle, une dépopulation qui laisse miraculeusement les villes en état de marche, et plus particulièrement les musées, aubaines pour les amateurs d'art de ce crépuscule global. Alexandre, Guillaume et Gabriel se disputent à fleurets mouchetés la même femme, Esther, mais peuvent sans coup férir transformer leurs appartements en succursales des musées nationaux, au gré de leurs goûts respectifs. Pourtant, nous ne restons pas longtemps en compagnie de ces protagonistes — ils ne sont que les doubles d'un quatuor de figures historiques de la poésie et de la peinture anglaises du xixe siècle — et merci à l'auteur pour les notices biographiques en fin de volume ! —, eux-mêmes dotés de doubles dans l'univers parallèle et magique d'Arcadia. Univers où la reine Victoria s'appelle Gloriana, les poètes sont tous ministres, et Tennyson est à leur tête.

L'empilement des mondes ne s'arrête pas là : sous Arcadia se dissimulent Camelot, et aux moments cruciaux les personnages peuvent passer de l'un à l'autre. Et je vous fais grâce du Pays des Merveilles de Dodgson, des songes (qui se produisent bien souvent, dans ce monde d'Arcadia pourtant en principe dépourvu de rêves, étant lui-même un rêve), et autres escapades oniriques. À force de se charger de niveaux enchevêtrés et de se draper dans ces concepts abstraits de Mal ou de Pureté, que seul religion ou poésie osent de coutume mettre en branle, les personnages se transforment en archétypes. Ignorons la voix qui me chuchote avec une intensité hallucinatoire « Roland C. Wagner, Roland C. Wagner… ». La démarche de Colin est bien différente. Outre qu'elle ne vise pas à la SF (et que son univers futur n'a pas la cohérence d'une anticipation), mais à la high fantasy, elle collectionne les icônes en les soumettant à beaucoup moins de distorsion que ne le pratique le créateur de la psychosphère.

Un défaut d'Arcadia, à mes yeux, est de se transformer parfois en herbier de la culture victorienne : tout à sa passion pour le name dropping, l'auteur, qui accumule les personnages comme son Guillaume accumule les toiles, ne leur confère pas toujours un rôle à leur mesure, ou une personnalité au-delà des données historiques. Oh, certes, il fournit une astucieuse justification à la nécessité d'aligner neuf champions pour le choc final contre les forces du mal. Mais lesdits champions, occupant peu de place dans un roman qui n'est pas foisonnant — on se réjouira de cette retenue de bon goût —, finissent par faire pâle figure. Seuls se détachent ceux que distingue leur bizarrerie psychologique, pour ne pas dire plus, Charles Dodgson ou Richard Dadd.

En fin de compte, le talent de Colin (et il n'est pas mince) réside dans cette création par collage d'une lutte arthurienne sur un fond victorien. Même si l'intrigue manque parfois de corps, on ne s'ennuie pas dans ce monde tout préoccupé de beauté et de transcendance.

Pascal J. Thomas → Keep Watching the Skies!, nº 31-32, mai 1999

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