KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

Al Sarrantonio : 999

(999, 1999)

anthologie d'Horreur et de Suspense

chronique par Philippe Paygnard, 2000

par ailleurs :

J'avais benoîtement comparé Légendes, l'anthologie de Robert Silverberg, à un livre-montagne. C'est vrai qu'avec ses six cent quatre-vingt-quatre pages, c'était déjà un beau morceau de lecture. Que dire alors de l'anthologie concoctée par Al Sarrantonio ?

Vingt-neuf textes et vingt-neuf auteurs sont au rendez-vous de ce “livre du millénaire des maîtres du Fantastique” et déjà les choses se gâtent. En effet, si l'on se contente de cette affirmation, trônant en couverture et tout aussi présente en quatrième, on ne peut que regretter l'absence d'auteurs de la trempe de Clive Barker, Peter Straub, Dean Koontz, Anne Rice, John Skipp et Craig Spector, Poppy Z. Brite et quelques autres que j'oublie sans doute.

Quant aux romanciers présents dans ce recueil, certains proposent des textes qui n'ont qu'un lointain rapport avec le Fantastique, flirtant plutôt avec le polar pur et parfois très dur. Je pense en particulier aux récits de Thomas M. Disch ("la Chatte et le hibou"), de David “Rambo” Morrell ("le Drame du Rio Grande"), d'Ed Gorman ("Angie") et de Joe R. Lansdale ("un Été de chien").

Mais il ne faut surtout pas se laisser abuser par ce genre d'accroches publicitaires souvent imposées par l'éditeur, car Al Sarrantonio prend le temps de définir clairement le but de son livre dans une introduction qu'il faut absolument lire. Dans ce texte introductif, il ne parle pas de “maîtres du Fantastique”, mais d'une « énorme anthologie originale d'Horreur et de Suspense » dans la droite ligne de Dark forces et de Prime evil. En lisant ces quelques pages d'introduction, on comprend infiniment mieux les objectifs poursuivis par Sarrantonio et l'on se dit qu'ils sont pleinement atteints. De plus, Sarrantonio va jusqu'au bout de son travail d'anthologiste puisque chacun des textes présentés est précédé d'une notice bio-bibliographique suffisamment claire pour introduire les auteurs peu connus et pour éclairer sur la présence des auteurs déjà reconnus. La seule notice qu'Al Sarrantonio n'ait pas signée — il a délégué ce travail à Joe R. Lansdale —, c'est la sienne, puisqu'il est également l'auteur d'une des nouvelles de ce recueil : "la Drôle de corde".

Avec 999, Al Sarrantonio réunit une belle brochette d'auteurs, pas forcément les “maîtres du Fantastique” de la couverture, mais des romanciers et des nouvellistes dont les textes font vraiment frissonner, et il y en a pour tous les goûts.

On retrouve ainsi quelques-unes des grandes figures du genre Fantastique. On croise des zombies dans le récit de Kim Newman ("des Américains morts à la morgue de Moscou"), des vampires dans les textes de F. Paul Wilson ("Vendredi Saint") et de Steven Spruill ("Hémophage"), un monstre aquatique dans celui de Nancy A. Collins ("le Blues de la fille poisson-chat"), du vaudou dans l'histoire d'Edward Bryant ("Styx and bones"), et des revenants dans la nouvelle de Tim Powers ("Itinéraire") et le court roman de William Peter “l'Exorciste” Blatty ("Ailleurs"). Tout un lot de créatures classiques du monde de l'Horreur littéraire, mais que certains des auteurs de 999 se sont ingéniés à aborder sous un angle résolument différent.

D'autres nouvelles laissent la part belle à l'ambiance, voire à une certaine poésie. Dans cette catégorie, le texte de Joyce Carol Oates ("les Ruines de Contracœur") arrive en toute première position de mon classement personnel, mais il y a aussi les nouvelles de Neil Gaiman ("Souvenirs et trésors : une histoire d'amour") ou de P.D. Cacek ("la Tombe").

Certains textes jouent la carte de l'humour. Il est noir et anthropophage pour Chet Williamson ("Extraits du registre du nouveau Zodiaque et du journal de Henry Watson Fairfax"), noir et philosophique pour T.E.D. Klein ("Ces choses qui poussent"), noir et non-sensique pour Peter Schneider ("des Saucisses, sans doute"), noir dans tous les cas de figure.

Chacun des auteurs présents apporte sa pierre à l'édifice monstrueusement majestueux que représente 999. Eric van Lustbader ("À la gloire des mégères") laisse un peu d'espoir à son héros, alors que Ramsey Campbell ("l'Attraction") plonge le sien au plus profond du désespoir. Thomas Ligotti ("Ombre et obscurité") et Dennis L. McKiernan ("Obscurité") jonglent avec la peur du noir, tandis que Rick Hautala ("Qui est là ?") joue avec la solitude dans un texte désormais daté. Le héros de Gene Wolfe ("l'Arbre est mon chapeau") se fait un copain mortel, alors que celui de Michael Marshall Smith ("le Livre des nombres irrationnels") préfère les combinaisons de chiffres. Enfin, si Bentley Little nous invite à visiter "le Théâtre", on peut lui préférer les "Répétitions" orchestrées par Thomas F. Monteleone.

Le tour d'horizon de 999 ne saurait être complet s'il n'était dit un mot sur la nouvelle de Stephen King. Ce n'est certainement pas la plus longue du livre, ce n'est peut-être pas la plus intéressante, mais c'est un inédit et c'est celle qui permet de mettre la marque “Stephen King” en couverture, un tel label apportant la certitude d'un minimum de ventes à l'éditeur. Fort heureusement, "Quand l'auto-virus met cap au nord" n'est pas la pire des nouvelles de King. Cependant, à sa lecture, une question m'est venue à l'esprit : combien la ville de Derry compte-t-elle de romanciers à succès ?(1)

Pour résumer, et de manière fort partiale, 999 contient quelques joyaux, les textes de Stephen King, de Joyce Carol Oates et de William Peter Blatty par exemple, qui rendent son achat indispensable, même et surtout après avoir pris le temps de lire l'introduction d'Al Sarrantonio.

Philippe Paygnard → Keep Watching the Skies!, nº 35, février 2000


  1. Et, question subsidiaire, combien de romanciers à succès encore en vie ?

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