KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

Francis Berthelot : la Boîte à chimères

nouvelles fantastiques et de Science-Fiction, 2000

chronique par Pascal J. Thomas, 2000

par ailleurs :

Certains auteurs de SF, très marqués par leur appartenance au genre, et au milieu qui va avec, éprouvent un jour le besoin de le quitter, voir d'annoncer la chose avec fracas — en tout état de cause, de la vivre avec déchirement. Un Antoine Volodine ou un Berthelot ont eux opéré ce passage sans bruit, sans rupture, parce que, peut-on penser, la singularité de leur œuvre les avait toujours mis en marge du peloton. Il va sans dire que les deux individualités sont très différentes, et que si Volodine n'a jamais été “dans” le milieu SF, Berthelot, lui, y a été, et en un sens n'a jamais cessé d'y être.

Ce recueil est donc arrivé comme une agréable et flatteuse surprise dans ma boîte à lettres (exemplaire dédicacé, étiquette rédigée de la main de l'auteur). Des trois ou quatre fois que j'ai croisé Francis Berthelot de ma vie, je garde le souvenir d'un homme infiniment sympathique et plein d'humour — mais notre dernière rencontre remonte à bien des années. Tout cela étant dit pour établir l'éventuel préjugé positif du présent chroniqueur !

La Boîte à chimères regroupe donc dix textes écrits entre 1985 et 1998. Les références de parution initiale sont données, et portent la trace des engagements littéraires de leur auteur : deux extraits du collectif Limite Malgré le monde, deux textes parus dans des recueils du groupe Nouvelle Fiction — auquel ce livre est d'ailleurs dédié. Et même un texte paru dans un fanzine, les Lames vorpales, en 1987, "Perplexités d'un visiteur mort", qui est loin d'être le pire du lot !

Alors, et la SF dans tout ça ? Plus présente dans les textes du début, comme "le Point de vue de la cafetière" (situé dans un futur post-cataclysmique) ou "l'Os érectile" (dans un autre système stellaire), elle cède doucement la place au recyclage, constant dès les premiers textes, de mythologies tirées de la religion, des légendes populaires, ou du cinéma ou de la littérature de distraction. "Le Point de vue de la cafetière" était déjà une relecture hardie, et non dissimulée, de l'histoire d'Abraham (Abraark) et d'Isaac (Iscan) ; "le Triton" inverse le mythe des sirènes. Dans le cas des deux textes publiés dans des anthologies de la Nouvelle Fiction, "Vers le dieu Iceberg" et "l'Homme de la mer Morte", les thèmes étaient semble-t-il imposés (King Kong et les momies), mais ils s'insèrent bien dans l'ensemble du recueil. Cette stratégie de recyclage du matériau de la littérature populaire du siècle passé, soit dit en passant, n'est finalement pas si loin de celle des textes qui se réclament du steampunk, même si le traitement est différent. La très blanche quatrième de couverture, après avoir osé l'expression “Merveilleux noir”, arrive à une belle formule : « Francis Berthelot navigue, entre Science-Fiction et Fantastique, sur les eaux du réalisme magique. ».

Au Merveilleux, Berthelot emprunte l'insouciance de la justification : son triton est statufié, puis refondu, et toujours le métal conserve la conscience de l'être hybride des origines. À la Science-Fiction, on peut attribuer la tactique de construction logique qui dote, par exemple, la communauté des sirènes et des tritons de tribunaux pour condamner l'infortuné héros de la nouvelle. Bien entendu, la SF est présente de façon plus explicite, dès le premier texte avec une société future utopienne, ou dans les races extraterrestres de "l'Os érectile". Paradoxalement, cette SF ouvertement affirmée n'est qu'habillage transparent : cette histoire d'amour — et d'initiation — homosexuelle en prison aurait — presque — pu être située dans un cadre contemporain. La nouvelle relèverait donc de la Fantasy — au sens anglais du terme : fantasme, ou rêverie.

Pourtant, les textes plus courts et plus portés sur les pirouettes fantastiques des années 90 ("le Condamné à cinq dimensions", "les Rhinocéros bleus", "les Camionneurs de Noël") m'ont aussi laissé sur ma faim, sans doute parce que l'auteur n'y met pas en place un monde, et se contente de remuer brièvement ses thèmes favoris, avec la dextérité qu'on lui connaît pour les mots.

Personne ne sera surpris que la thématique du recueil fasse une large place à l'homosexualité — souvent mêlée à une obsession de la solitude, de l'incompréhension par le monde, qui peut aller jusqu'au suicide ("Perplexités d'un visiteur mort") ou à la sexualité masochiste ("le Parc zoonirique"). Finalement, les textes sur l'homosexualité heureuse ("l'Os érectile", "les Camionneurs de Noël") ont un côté un peu militant, un peu forcé, et pas si réussi. À côté de cette obsession de l'ostracisme — compensation ? —, Berthelot est un animal social : voir sa participation aux deux collectifs dont les traces sont recueillies ici. Peu importe le paradoxe, puisqu'il nous vaut des textes aussi géniaux que "le Point de vue la cafetière" et "l'Homme de la mer Morte".

Pascal J. Thomas → Keep Watching the Skies!, nº 36, mai 2000

Lire aussi dans KWS une autre chronique de la Boîte à chimères par Noé Gaillard

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