KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

G.-J. Arnaud : la Grande séparation

romans de Science-Fiction, 1971, 1972, 1973 & 2000

chronique par Noé Gaillard, 2000

par ailleurs :

Une superbe couverture de Caza qui sait bien dessiner les monstres et les guerriers caparaçonnés, une postface intelligente de Roland C. Wagner et quatre romans d'Arnaud dont un inédit, les Ganéthiens, qui vient boucler (?) le cycle commencé en 1971 avec les Croisés de Mara et rapidement poursuivi avec les Monarques de Bi et Lazaret 3. Trente ans ont passé, mais aussi la saga de la Compagnie des glaces et ses soixante-deux volumes.

Les trois premiers titres de la Grande séparation peuvent être vus comme le galop d'essai de la saga. On y trouve en effet, mais non vraiment développés, les éléments de base de ce qui suivra (exemples : le rool, humanoïde vivant dans les contrées lointaines de Mara, dont le héros se demande si ce n'est pas un être pensant ; la planète isolée du reste de l'empire pour cause de guerre et qui subit un purgatoire…). Mais ils racontent une aventure qui de Mara (la planète où le temps se déroule à plus grande vitesse qu'ailleurs) à Mara en passant par Bi (la planète où animaux, végétaux et indigènes vivent en parfaite harmonie malgré les soldats de l'empire) et Lazaret 3 (le satellite où ceux désireux de rejoindre la Terre sont internés et s'accommodent difficilement d'une vie misérable) fait prendre conscience au héros, Laur — il s'appellera Lien dans la Compagnie des glaces —, et à l'héroïne, Jéa, de l'inutilité des Dieux et autres Messies pervertis par leur propre pouvoir. Le Ganeth qui organise la révolte sur Mara avec l'aide d'androïdes dévoués ne laisse à sa mort que des chefs désireux de maintenir les populations sous la férule de leur pouvoir.

On peut comprendre en lisant cette Grande séparation comment Arnaud a pu écrire la Compagnie des glaces puisque — au moins — les trois premiers titres présentent des univers foisonnant d'inventions, de situations qui chez d'autres auteurs auraient une par une suffi à alimenter un seul roman. (Ne me faites pas dire que chaque volume de la Compagnie des glaces repose sur une seule idée ; la multiplicité des personnages et les idées triturées sous tous les angles interdisent cela.)

Ce qui à mon sens distingue les romans d'Arnaud des autres titres de la collection "Anticipation" du Fleuve noir — à l'époque du moins —, c'est que les personnages ne se contentent pas de réfléchir au meilleur moyen de se tirer d'affaire lorsqu'ils sont en danger — au contraire, ils semblent incapables de penser dans ces cas-là, et on les comprend — ; ils pensent leur monde et ses rapports avec les individus. L'héroïsme, chez eux, est plus une capacité supérieure à penser le monde qu'à se sortir des mauvais pas. Leur vision est large parce qu'ils sont plus cultivés, plus observateurs, plus attentifs, moins guidés par un intérêt personnel, moins dévorés d'ambition que le commun des mortels auquel ils se heurtent. Et Arnaud confère parfois le même statut à certains “méchants” comme la vieille Van de Lazaret 3. En fait, les héros d'Arnaud sont d'abord le jouet des événements jusqu'à ce que leur conscience du monde se réveille, se révèle. Ils tentent alors d'agir sur les événements parce qu'ils se donnent un but (pour Laur : retrouver la Terre ; pour Lien : comprendre comment fonctionne son monde de glace). Et le roman joue des interférences entre le monde et le but sans qu'un jugement moral soit porté — par l'auteur — sur les conséquences de ces interférences.

Certains trouveront sans doute à redire à l'écriture d'Arnaud, la jugeant dépourvue de style ou des qualités particulières qui caractérisent les grands écrivains. Arnaud est un écrivain “populaire”, un feuilletoniste dont le seul souci est de raconter une histoire plaisante, réfléchie et non vaine. C'est pour cela qu'il est plus efficace que littéraire…

Ne gâchez pas votre plaisir.

Noé Gaillard → Keep Watching the Skies!, nº 36, mai 2000

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