KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

Jacques-Albin-Simon Collin de Plancy : Dictionnaire infernal

essai : textes du début du xixe siècle choisis et présentés par Hubert Juin en 1963

chronique par Sébastien Cixous, 2000

par ailleurs :

Il est difficile de ne pas saluer en ces pages la réédition — même partielle — de ce document exceptionnel, qui ne connut pas moins de six rééditions entre 1818 et 1863. Celui-ci se présente sous la forme d'un inextricable enchevêtrement de superstitions, recettes magiques, contes populaires, faits divers insolites, condensés de nouvelles et romans fantastiques que l'on explore fiévreusement, tenaillé par le désir de s'y perdre. Dans une note de la seconde édition, l'auteur avoue au demeurant avoir puisé, pour partie, la matière de cet ouvrage dans ses précédentes monographies : « En terminant ce Dictionnaire, nous ferons observer que beaucoup d'articles y paraissent transcrits, sans citations, des Contes noirs, de l'Histoire des vampires, du Livre des Bohémiens, de l'Almanach de Merlin, de l'Art de dire la bonne aventure dans la main, etc., parce que tous ces livres ont été publiés sous des noms pseudonymes par l'auteur du Dictionnaire infernal et du Diable peint par lui-même, qui n'a pas jugé à propos de les reconnaître jusqu'à présent. »

Sous l'influence de Voltaire, Collin de Plancy pourfend, dans un premier temps, quantité de superstitions. Il dénonce par exemple la peur du nouement de l'aiguillette, « qui n'a jamais pu exister que dans les imaginations faibles » (p. 32), et rassure ses contemporains quant aux tourments de l'Enfer : « Nier qu'il y ait des peines et des récompenses après le trépas, c'est nier l'existence de Dieu ; puisqu'il existe, il doit être nécessairement juste. Mais comme personne n'a jamais pu connaître les châtiments que Dieu réserve aux coupables, ni le lieu qui les renferme, tous les tableaux qu'on nous en a faits ne sont que le fruit d'une imagination plus ou moins déréglée. Les théologiens devraient laisser aux poètes le soin de peindre l'Enfer et non s'occuper avec acharnement d'effrayer les esprits par des peintures hideuses et des livres effroyables. » (p. 164). Le scepticisme de Collin de Plancy, comme le montre cet extrait, s'estompe avec le temps. Touché par la grâce, il opte bientôt pour la foi catholique et termine sa carrière dans le sillage de l'abbé Migne, au grand dam de ses admirateurs. Nombre d'articles reproduits ici illustrent du reste ce tiraillement entre rationalisme, foi et crédulité, qui pousse notre homme à admettre l'éventuelle efficience de la chiromancie et à réfuter la cartomancie : « Il est certain que la chiromancie, la physiognomonie surtout, ont au moins cela de plausible qu'elles tirent leurs prédictions de signes qui touchent, de traits qui distinguent et caractérisent, de lignes que l'on porte avec soi, qui sont l'ouvrage de la nature, et que l'on peut croire significatifs puisqu'ils sont particuliers à chaque individu. Mais les cartes, ouvrages de l'homme, tout à fait étranger à l'avenir comme au présent, comme au passé, les cartes ne touchent en rien la personne qui les consulte. Pour mille personnes différentes elles auront le même résultat ; et vingt fois pour un même objet elles amèneront des pronostics divers. » (p. 82).

Dans sa préface, Hubert Juin présente Collin de Plancy comme le précurseur d'une « discipline encore inconnue à l'époque » : l'ethnographie populaire. Affirmation qui mérite d'être combattue. Arnold van Gennep signale que les termes ethnologie et ethnographie « existent depuis longtemps » mais ont été appliqués, « presque dès les débuts, par des voyageurs comme Hérodote ou des savants comme Plutarque, à l'étude des mœurs et coutumes des peuples “étrangers” ».(1) L'ethnographie traditionnelle à laquelle paraît vouloir se référer Hubert Juin(2) existe, quant à elle, avant la parution du Dictionnaire infernal puisque la première tentative française de faire du folklore une discipline scientifique remonte à la création, en 1808, de l'Académie celtique(3) dont les travaux furent poursuivis à partir de 1817 par la Société des Antiquaires de France.(4) Hubert Juin semble avoir répercuté l'erreur de Daniel Bourchemin qui, dans les Débuts et la tâche du folklore en France,(5) prétendait que le folklore “authentique” n'est apparu dans l'hexagone qu'en 1886 avec la fondation de la Société des Traditions Populaires par Paul Sébillot. Une longue interruption est certes intervenue entre 1830 et les années 1880, mais on ne saurait en aucune manière faire passer cette résurrection pour une naissance ! Collin de Plancy ne manquait pas de qualités, c'est indéniable. De là à le faire passer pour le père de l'ethnographie…

Sébastien Cixous → Keep Watching the Skies!, nº 37, juillet 2000


  1. Le Folklore de France, tome I, Robert Laffont › Bouquins, p. 13-14.
  2. L'épithète traditionnelle semble préférable à populaire qui génère toutes sortes de confusions.
  3. Instituée par Jacques-Antoine Dulaure.
  4. Ses membres s'appelaient “Antiquaires” car ils cherchaient à relier la civilisation moderne aux civilisations antiques.
  5. Forestié, 1907.

Commentaires

Ajouter un commentaire

Les commentaires sont publiés après validation par Quarante-Deux.