KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

Christopher Priest : les Extrêmes

(the Extremes, 1998)

roman de Science-Fiction

chronique par Noé Gaillard, 2000

par ailleurs :

Comment dire ce que l'on ressent à propos d'une réalité tragique (celle des massacres perpétrés dans un moment particulier par des détenteurs d'armes à feu, par exemple ?). Priest répond : de manière romanesque. C'est-à-dire en donnant une analyse possible de ce qui s'est produit et en laissant la trame, les personnages du roman s'assimiler, assimiler la réalité. D'autant plus que chacun d'entre nous se bâtit son petit univers en interférence avec la réalité. Ainsi le lecteur au sortir du roman sera contraint de reconstituer le puzzle que la lecture a fait éclater… Du roman comme moyen de questionnement du réel.

Imaginez que le FBI, pour entraîner ses agents, ait passé un accord avec Sega ou Play Station. Il pourrait ainsi, le procédé de virtualisation ayant été sérieusement amélioré, envoyer lesdits agents dans des situations “extrêmes” avec pour mission de les résoudre. Les meilleurs étant dorénavant ceux qui mettent moins de temps que les autres à réussir. Imaginez une grosse société réalisant des scénarios et des virtualités commercialisés à partir d'événements dramatiques. Et enfin une jeune femme dont le mari, agent du FBI comme elle, est mort tué par un preneur d'otage.

Si la réalité et la virtualité s'affrontent dans le roman de Priest, c'est bien évidemment par l'intermédiaire de ce personnage féminin. Mais comme il l'a déjà fait, et sans doute pour éviter que l'histoire se résume à cet affrontement, ou tout simplement parce qu'il estime que nous sommes tous un peu ainsi, il construit un personnage flou, ambigu, qui a du mal à se situer dans la réalité, qui se cherche parce qu'il ne dispose plus de son double au miroir ou de son double-époux. Le roman nous amène de reconstitutions d'événements en reconstitutions de soi, pour les personnages, à nous demander qui nous sommes.(1) Et il ajoute à cette quête son interrogation sur les massacres, sur les armes à feu, sur la violence Amok. Sa réponse me semble rejoindre le slogan publicitaire qui vante les mérites de Sega.

À ce sujet original traité de manière non conventionnelle s'ajoute une écriture poétiquement répétitive comme la musique de Terry Riley, où de subtiles variations emportent le lecteur vers d'autres confins de lui-même ou du personnage. (À noter une traduction convenable, entachée de quelques maladresses.)

Je n'ose penser que ce roman, qui a été primé par la British Science Fiction Association, ne trouvera pas le public français qu'il mérite, mais je crois que si Priest est peu lu ou peu traduit en français, c'est parce qu'il est un auteur exigeant et difficile préoccupé de ce qui nous dérange : l'identité.

Noé Gaillard → Keep Watching the Skies!, nº 37, juillet 2000

Lire aussi dans KWS une autre chronique de : les Extrêmes par Pascal J. Thomas


  1. Rappelez-vous, pour avoir une petite idée, "Détails de l'exposition" de Jean-Claude Dunyach (dans le recueil les Nageurs de sable).

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