KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

Sylvie Miller & Philippe Ward : le Chant de Montségur

roman fantastique, 2001

chronique par Jean-Louis Trudel, 2001

par ailleurs :

Comme son nom l'indique, ce troisième roman de Ward et premier de Miller a lieu en pays cathare. Après avoir signé deux autres ouvrages fantastiques se déroulant dans la région pyrénéenne, Ward ne pouvait éviter de s'intéresser aux mythes et légendes de son propre coin de pays. Et qui dit Cathares dit Montségur. Quel autre lieu a rassemblé autant de légendes, de contes, voire de racontars ?

Ward évoque avec son habileté coutumière les mœurs de l'arrière-pays lorsque les touristes sont partis, les secrets d'un passé enfoui mais toujours proche de la surface et le choc de l'irruption dans le présent de créatures issues des plus antiques croyances. Après la figure mythique de l'ours pyrénéen avec Artahé et l'utilisation des figures légendaires de la culture basque dans Irrintzina, Ward fait appel ici aux traditions cathares de l'Ariège.

Miller, selon le préfacier Francis Valéry, a enrichi le style de Ward et a aidé celui-ci à approfondir les personnages. Cependant, si les personnages féminins ont effectivement une profondeur et une épaisseur qui n'étaient pas aussi évidentes dans les livres précédents de Ward, le protagoniste masculin est nettement plus passif que le héros d'Irrintzina et Valéry tend fort justement à le rapprocher du personnage principal d'Artahé, quelque peu ballotté par les événements.

Certes, le chanteur Peire Aicart jouit de circonstances atténuantes. Il vient d'être frappé durement par la mort de sa femme lorsque le roman débute. De plus, il passe presque tout le roman à chercher à savoir ce qu'il doit faire. Ayant autrefois illustré la cause de l'occitan, il devient presque sans s'en rendre compte l'axe d'une lutte mystique pour le trésor des Cathares, perdu depuis la chute de la forteresse de Montségur au treizième siècle. Car beaucoup de monde tourne autour du château aujourd'hui en ruines et des grottes décorées de pentagrammes qui permettraient peut-être de retrouver un trésor depuis longtemps perdu…

Il y a les Dominicains, ces Chiens de Dieu qui furent jadis l'âme de l'Inquisition. Il y a aussi Elke Stroder, l'héritière directe ou indirecte de certains des ésotéristes allemands autrefois fascinés par l'espoir de retrouver le Saint-Graal chez les Cathares. La Société del Gai Saber entretient son héritage cathare et veille sur Peire Aicart, mais elle cache bien le reste de son jeu. Jordanne, quant à elle, est moins secrète : elle aime Peire depuis longtemps et croit le moment venu pour elle de se faire aimer. Il y a même un fantôme, l'énigmatique Kyot qui prétend être la Mémoire des lieux… Et le Drac, surnom local du Diable longtemps maîtrisé par d'anciens enchantements, est aux aguets…

Le nombre de factions en présence complique nettement l'action et enlève au roman la “lisibilité” qu'il devrait avoir pour susciter un vrai suspense. Les Dominicains, éliminés en quelques pages avant le dénouement, ne jouent à peu près aucun rôle dans la conclusion du livre alors qu'ils ont dominé plusieurs chapitres. Kyot fait franchement double emploi avec la Société del Gai Saber et il n'est pas plus disert qu'elle. C'est d'ailleurs une des faiblesses flagrantes du roman : la tension narrative en vient à dépendre beaucoup trop du mutisme de ceux qui savent. Surtout qu'ils se taisent sans véritable justification ; ainsi, Peire interroge en vain Kyot, qui prétend tout savoir du passé :

« Dites-moi ce que je dois faire, Kyot. Je ne sais même pas où se trouve le trésor. Si j'arrive à le découvrir, qu'est-ce que je suis supposé faire ? Aidez-moi !

— Mon rôle n'est pas de t'indiquer ta mission. Je me contente de perpétuer le souvenir. Les signes que tu attends se trouvent en toi. » (p. 234).

Allons, qu'est-ce qui empêche Kyot de mettre au moins Peire Aicart sur la piste en lui parlant du passé ? Ce sont clairement les auteurs du roman qui le bâillonnent, car rien dans la logique de son rôle n'exige un tel mutisme. La Société del Gai Saber attend aussi jusqu'au dernier moment pour apprendre à Peire ce qu'elle sait.

Du coup, la révélation finale de la nature du trésor n'est pas entièrement convaincante, faute de préparation adéquate des lecteurs, et elle est plutôt inattendue, en dépit de quelques indices ténus semés par les auteurs.

Auteurs qui relancent aussi la tension en faisant intervenir le Drac, mais comme ses intentions ne sont pas véritablement claires, puisque le trésor n'a pas été identifié, le Diable reste lui aussi un peu flou. Ses violences erratiques sont censées générer une part de suspense, mais sa brutalité bestiale apparaît presque mesquine en regard de l'enjeu cosmique révélé dans les ultimes pages du livre.

Si ces défauts structurels (surabondance de forces en présence, faux suspense résultant de silences inexplicables, flou inutile des véritables enjeux de l'aventure) sont propres au livre, je dois dire que mon enthousiasme a été un peu refroidi par le choix du sujet. Ward avait fait œuvre plus originale dans Artahé et Irrintzina, mais Montségur, les Cathares et l'occultisme connexe sont des sujets plus que rebattus. On peut donc avoir plus de mal à embarquer dans le fantastique cathare. Même si les pentagrammes qui parsèment le livre sont des parties intégrantes authentiques du décor régional, mille et uns occultistes, satanistes et romanciers de Fantasy ont déjà usé et abusé de ce symbole. Il faudrait sans doute consacrer une dissertation épique à la chose pour ressusciter un peu de l'immanence maléfique du pentagramme.

Enfin, je confesse que je suis légèrement désarçonné par le choix de faire d'une aventurière — qui n'a pas reculé devant la torture requise pour mener un interrogatoire mortel — l'amante de Peire Aicart et celle qui portera l'espoir de l'Humanité. L'épilogue fait état des épreuves qu'elle a “traversées”, mais non des remords qu'elle pourrait éprouver… Curieuse “profondeur” du personnage…

Bref, si le roman demeure intéressant par son évocation de lieux encore sous l'emprise du passé, l'intrigue emprunte de trop nombreux détours pour rester palpitante de bout en bout. Après la réussite d'Irrintzina, ce roman déçoit un peu et nous fera surtout attendre le prochain.

Jean-Louis Trudel → Keep Watching the Skies!, nº 40, septembre 2001

Lire aussi dans KWS une autre chronique de : le Chant de Montségur par Pascal J. Thomas

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