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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 44 le Vieil homme et son double

Keep Watching the Skies! nº 44, août 2002

Joe Haldeman : le Vieil homme et son double

(the Hemingway hoax)

roman de Science-Fiction ~ chroniqué par Éric Vial

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Les titres anglais et français, comme la couverture (une antique machine à écrire dont les touches sont autant de visages de l'écrivain), ne laissent pas place au doute : on a là un hommage à “Papa” Hemingway. Avec un universitaire qui en refabrique les premiers textes, perdus en 1922 dans une gare parisienne, et qui hésite entre jeu et escroquerie, manipulateur associé à un fort authentique escroc. Mais aussi avec un fantôme en service commandé, portrait craché d'Hemingway, et qui intervient largement, et éventuellement brutalement, même si tuer lui vaut des ennuis avec ses supérieurs hiérarchiques, et peut l'envoyer surveiller le xive siècle, lequel semble particulièrement répulsif.

On le voit, il ne s'agit pas seulement des mœurs supposées du petit monde universitaire, ni de fantastique post-moderne. L'arrière-monde est occupé par une sorte de patrouille du temps. Qui n'apprécie guère la situation. Peut-être parce que les valeurs véhiculées par Hemingway, remises d'un coup sur le devant de la scène, risquent fort de modifier la psychologie collective occidentale, ou du moins américaine. Dans un sens quelque peu machiste, bien entendu. D'où des liens avec une fin du monde atomique, liens flous qui laissent un temps se demander si les énigmatiques et incorporels policiers du temps entendent éviter ou assurer ladite catastrophe — jusqu'à ce qu'il soit bien précisé que l'éviter « foutrait un bordel sans nom dans tout l'Omnivers », mettant même en cause, pour des raisons non précisées, l'ensemble de la réalité. Mieux, l'intervention de leur représentant fait involontairement passer le personnage principal d'univers parallèle en univers parallèle, toujours dans des situations comparables, mais avec de sensibles modifications, en particulier quant à sa situation sociale, à l'état dans lequel il a quitté le Viêt-nam, et à la personnalité de son escroc-complice. Sans parler de la très attirante et passablement professionnelle demoiselle que ce dernier lui a discrètement déléguée, histoire de le compromettre, et peut-être aussi histoire d'ajouter un peu de sexe, discret mais torride, à l'histoire. Au total, ce tout dernier aspect étant en option, l'amateur de Science-Fiction se sent tout à fait chez lui, jusque dans la mention, très rapide parce que c'est du quotidien sans importance, d'IA aidant les enfants en difficulté, et dans le fait qu'au détour d'une phrase on se rend compte qu'aucun des univers parcourus, pas même celui de départ, ne peut tout à fait être le nôtre, même si tous lui ressemblent fortement. Tout ceci même si le même amateur, encore qu'entraîné par ses lectures habituelles, peut être perturbé par la fin, rapide, efficace, mais pour laquelle le lecteur est prié de s'accrocher quelque peu.

Et puis s'ajoute la personnalité propre de l'auteur. On a parlé du Viêt-nam, et cela renvoie évidemment à des choses très précises, même s'il peut y avoir circulation entre les blessures reçues là-bas et celles, réelles ou imaginaires, de Hemingway en Italie durant la première guerre mondiale. Qu'il s'agisse, parce qu'elles se mêlent, de la guerre temporelle, de la guerre vécue, de la guerre invalidante — ou parfois trop mais tristement “validante” — jusque dans la sexualité — on ne choisit pas où les éclats frappent —, de la guerre écrite et décrite quitte à pasticher justement Hemingway, le thème de la guerre est omniprésent, alors même qu'il n'est pas supposé, à lire la quatrième de couverture par exemple, être au cœur de l'ouvrage — mais, on le sait, il est à celui de l'œuvre d'Haldeman. Et il y a là un fil rouge thématique à suivre, d'autant que cette guerre est aux antipodes de celles, fraîches et joyeuses, des cours de récréation et de certains space operas pour écran large.

Reste à espérer que, au-delà des amateurs de Science-Fiction, les amateurs de littérature générale, de ceux qui tordent le nez devant la littérature de genre, attirés par le titre, par la couverture, par le caractère supposé rassurant et légitime des références au Fantastique, puissent être amenés à ne se rendre compte qu'un peu tard que ce qu'ils lisent est de la S.-F. Parce que ce livre est un pont entre les genres. Il est par ailleurs inutile de préciser qu'il est excellemment traduit : il suffit de voir qui a fait le travail (Jean-Daniel Brèque) pour savoir que ce serait plus que vaguement pléonastique. Pléonasme probablement redondant, diraient d'aucuns.