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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 45 le Baiser aux abeilles

Keep Watching the Skies! nº 45, octobre 2002

Jonathan Carroll : le Baiser aux abeilles

(Kissing the beehive)

roman de littérature générale en relation avec la Science-Fiction ~ chroniqué par Noé Gaillard

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Ne cherchez pas de références S.-F., ou Fantastique, ou autres variantes : vous seriez déçu. Vous pourrez tout au plus y reconnaître quelques données policières éparses — et en grande partie dynamitées. En fait, la présence de ce roman dans une collection jusque-là plutôt consacrée à la S.-F., me semble tenir surtout à la qualité de l'œuvre et au fait que l'auteur a d'habitude tendance à figurer aux catalogues S.-F. [1] . Depuis le Pays du fou rire, son premier roman — dans lequel il est déjà question de biographie —, mon intérêt pour Carroll ne s'est jamais démenti. Tout au plus a-t-il subi quelques hauts et bas : l'Os de lune n'a pas la même puissance que les autres. C'est dire combien ce Baiser aux abeilles, je l'attendais. Je vous conseille sérieusement de vous embarquer dans cette exceptionnelle mise en abyme doublée d'une galerie de portraits dont le présentateur parvient aussi à faire le sien. Exercice de “poupées russes” très réussi.

Sam Bayer (le récitant) est écrivain à succès de romans policiers. Manquant d'inspiration sur un roman en cours, il décide de “revisiter” son adolescence et ses souvenirs en enquêtant sur la mort de celle dont il a découvert le cadavre. Bien sûr, nous saurons qui était responsable de cette mort, mais cela me semble avoir plus d'importance pour les personnages que pour les lecteurs.

Ce roman est pour moi l'exemple type du roman insidieux qui vous passionne progressivement parce que vous voulez savoir le pourquoi et le comment du personnage. Carroll jongle avec notre intérêt pour les divers sujets de son roman : l'enquête sur le meurtre qui mêle le passé et le présent, les rapports entre le romancier et sa maîtresse, entre l'écrivain et sa fille, entre l'homme et ses amis, le rapport entre une vieille Amérique et celle d'aujourd'hui, le fonctionnement de l'écrivain. Et en bon psychanalyste il nous laisse toujours sur notre faim… Chaque fois qu'il est sur le point de donner un avis que l'on pourrait trouver définitif, il passe à autre chose. Et nous sommes, il me semble, aussi bien soulagés que frustrés. Soulagés car nous n'avons pas à accepter ou contredire un avis, et frustrés car nous ne savons pas ce qu'il pense.

Il me semble que ce qui fait la force d'un auteur c'est cette capacité à manipuler l'ambiguïté de son œuvre et dans son œuvre. Un de nos maîtres du genre “ambiguïté” est sans conteste Flaubert or c'est étrangement l'auteur en exergue dans le Pays du fou rire et c'est aussi celui qui dit « Madame Bovary, c'est moi. ». On pourrait sans doute dire : « Bayer c'est Carroll » avec la même ambiguïté.

Notes

[1]  Cf. la chronique de quatre ouvrages de Carroll dans dans KWS 39 — NdlR.